Quand sous les balles perfides, tu
vacillas, la terre s’est dérobée sous nos pas, nous, tes orphelins. Quand ton
sang rougit le sol, mille colères ont grondé et sonné le tocsin de leur règne
chancelant. Quand la pieuvre s’attaqua lâchement à tes mots de braise, le
tonnerre a soulevé nos rues. Quand les loups ont volé le chant de Nadhem Ghazali
sur tes lèvres, un volcan est né qui emportera leurs cris hideux.
Roc majestueux, où puiser la force
de te survivre, toi qui as donné ta vie avant le temps, à l’heure de la
traitrise, quand tu découvris le visage de la lâcheté de ces « assassins que
craignent les panthères » ? A l’heure de l’adieu, tu brisas les barreaux de nos
peurs et les portes cadenassées de nos angoisses.
Ils s’attendaient au silence,
espéraient que la terreur nous étoufferait, que nous serions hagards et
pétrifiés, que les mots gèleraient au fond des gorges, que le sel des larmes
nous aveuglerait. Mais, « Dieu quel fracas que fait un Camarade qu’on tue »… Un
bruit assourdissant emplit nos rues, la clameur couvrit leurs appels au meurtre,
leur projet exécrable, leurs mots qui charrient rejet, accusations calomnieuses,
déferlante de haine.
Roc majestueux, où trouver les
mots pour dire l’ignominie, un jour de deuil, quand pour museler les slogans de
feu, ils lancèrent leur déluge de fumée âcre et brulante, seule réponse à la
douleur qui triture les entrailles, aux mots ciselés pour dire la fidélité à ta
mémoire, aux sanglots épineux pour te dire cet amour que tu enfantas pour ce
pays de miel et d’amertume ?
Roc majestueux, comment dire la
déconvenue de l’adieu, quand les tirs de lacrymogène étranglèrent les voix
coléreuses et les mots d’amour tressés un jour de tristesse pour l’ultime
hommage, quand, sous les larmes du ciel, défila ton cortège ? Comment dire la
honte ? Y a-t-il des mots pour crier la colère de voir ta dépouille inondée de
cette fumée irrespirable et les pas précipités et apeurés de ta famille et des
compagnons de lutte ? Comment te dire la chair frissonnante quand des youyous te
saluèrent de cette longue plainte, cri de joie à l’heure de tes noces avec
l’Histoire ?
Comment te dire ce chapelet de
mots vibrants, ultime offrande d’un pays blessé, tumultueux, mais vivant ?
Comment te dire les cris écartelés de tes pleureuses, la dignité de tes
compagnons et le désespoir des jeunes militants ? Entends-tu les cris
assourdissants « d’un pays qu’on enchaine ? » Entends-tu la clameur à venir,
celle qui, telle une houle, fracassera l’édifice des assassins et de leurs
complices, celle qui fera voler en mille éclats leur projet funeste : terreur,
vandalisme, meurtres.
Il n’y aura ni peur, ni frayeur,
ni épouvante car à l’heure de l’adieu, sera scellé ce pacte sacré de poursuivre
ce chemin de croix, les pieds meurtris par la longue marche, les yeux rougis de
veille et de fumée amère, persuadés que « contre les violents tourne la
violence ». Demain à l’heure où étincelle l’espérance, tu tourneras la tête vers
un pays libéré et vivant, revenu de l’exil et de l’errance.
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