Opinion. Dans un communiqué de la présidence de la
république tunisienne du jeudi 4 octobre, on apprend que le président
Tunisien Moncef Marzouki a présenté les excuses de l’Etat à la jeune
fille violée par deux policiers, le 3 septembre dernier.
Le président a reçu la jeune fille, accompagnée de son fiancé et de
Siham Bensedrine, activiste des droits de l’Homme et présidente du
Conseil National des Libertés. Après avoir entendu les détails de cette
douloureuse affaire, il a exprimé sa totale sympathie à la femme violée
et présenté les excuses de l’Etat en considérant que cet acte dangereux
touche le pays entier.
« Il n’y a plus de tolérance, ni pour les violeurs, ni pour ceux
qui les couvrent ou qui veulent voiler la réalité. La présidence suivra
de près cette affaire pour qu’aucun intérêt partisan n’emporte sur la
primauté de la loi et pour que les Tunisiens soient rétablis dans leur
droit », a indiqué la présidence.
Le président a aussi dénoncé « fortement » ce viol et salué les agents de police qui ont refusé de couvrir leurs collègues, ce qui montre, selon lui, que « le
dérèglement n’est pas dans l’institution sécuritaire mais dans la
mentalité de certains de ses membres qui ne se sont pas aperçus que le
pays a vécu une révolution afin que les tunisiens et les tunisiennes
vivent désormais libres et dans la dignité ».
La dignité, voilà le mot clé, et la valeur suprême sans laquelle
l’Homme ne vit pas entièrement son humanité et sans laquelle la vie tend
à être absurde.
Au Maroc aussi, il y a eu récemment des excuses publiques mais le scénario est différent.
En effet, si en Tunisie, le chef de l’Etat présente des excuses de
l’Etat à une citoyenne, au Maroc, le chef de l’Etat reçoit des excuses
de la part du Chef de gouvernement. Ce dernier a surpris tout le monde
le 9 août dernier en publiant un communiqué d’excuses au roi et ses
conseillers, suite à un article de presse, somme toute banal, qui évoque
les difficultés qu’éprouve le chef de gouvernement à communiquer avec
le cabinet royal.
Ce qui devait constituer un non-évènement est devenu une affaire sérieuse.
En plus, Abdelilah Benkirane affirme en même temps qu’il n’a rien
fait de mal qui puisse justifier ses plates et humbles excuses et que
c’est la faute des journalistes qui ont mal rapporté ses propos. C’est
ainsi que des excuses bien réelles viennent réparer un tort virtuel et
très hypothétique subi par le roi et ses « respectables » conseillers
auxquels le chef du gouvernement multiplie les courbettes.
Déjà, l’ancien premier Ministre Abbès El Fassi n’était pas un modèle
de forte personnalité, mais l’actuel chef de Gouvernement a battu les
records d’obséquiosité vis-à-vis de la monarchie. Son zèle à l’encenser a
pris une allure caricaturale lorsqu’il a hurlé à la face du journaliste
de la chaine de télévision Al Jazeera, Ahmad Mansour, que le Maroc
entier n’existerait tout simplement plus sans la monarchie.
Nous sommes loin de la dignité des Marocaines et Marocains.
En vérité, le mépris et l’humiliation des citoyens sont des
composantes constitutives du pouvoir marocain. Il n’est donc pas
concevable qu’un citoyen puisse recevoir des excuses de la part de
l’Etat et de ses représentants, quelque soit l’injustice infligée.
Lorsque l’Instance Equité et Réconciliation, constituée pour réparer
les torts des années de plomb sous Hassan II, a commencé à éplucher les
dossiers de manquements graves subis par tant de citoyens en vue de
décider des réparations matérielles, certains organes de droits de
l’Homme ont réclamé des excuses de la part du roi au nom de l’Etat. Non
seulement le roi a superbement ignoré cette revendication, mais il n’a
pas jugé utile d’expliquer les raisons de son royal refus.
Aujourd’hui encore, la mentalité makhzénienne que le palais tente de
perpétuer, au détriment du bon sens, de la simple morale et du sens de
l’histoire, demeure basée sur le mépris.
Lorsque les actes de tortures et de viol des prisonniers (à l’aide de
bouteilles) ont été révélés à l’opinion publique – témoignage vidéo de
Bouchta Charef en particulier – aucun responsable politique, à quelque
niveau que ce soit, n’a eu le courage de présenter des excuses.
D’ailleurs, l’homme qui dirige toutes les prisons du pays, Hafid
Benhachem, est un pur produit de l’école Driss Basri, ancien ministre de
l’intérieur d’Hassan II. C’est un fidèle du palais que le ministre de
la justice actuel n’ose pas et n’osera jamais indisposer.
Ces derniers mois, lors des évènements de Taza, de Beni Bouayach dans
le nord et de Douar Chlihate à côté de la ville de Larache, et tout
récemment à Tanger en ce début d’octobre, les forces de l’ordre ont
toujours agi selon le même scénario : usage exagéré de la violence,
accès par la force aux domiciles des citoyens, vols d’objets, menaces de
viol, insultes vulgaires. Aucun responsable parmi les multiples organes
sécuritaires n’a jamais été inquiété et aucune excuse n’a été présentée
aux victimes.
Il y a quatre années, Hassan Yaakoubi, mari d’une des tantes du roi, a
brûlé un feu rouge à Casablanca. Lorsque qu’un agent de circulation l’a
arrêté pour non respect du code de la route, l’homme qui venait de
finir une partie de golf a sorti de la boite à gants de son véhicule un
revolver et a tiré une balle sur la jambe du malheureux policier.
Au lieu d’être arrêté et jugé, il a été ensuite escorté par d’autres
policiers, comble de l’humiliation, jusqu’à son domicile. Un communiqué a
été publié dans la soirée informant les sujets de sa majesté que
l’oncle par alliance de sa majesté est atteint d’une obscure maladie
mentale, le syndrome de Korsakoff (selon Wikipédia: psychose de
Korsakoff ou démence de Korsakoff ou syndrome amnésique avec
fabulations, est un trouble neurologique causé par le manque de thiamine -vitamine B1- dans le cerveau. Sa survenue est liée à l’abus d’alcool ou à une sévère malnutrition).
Le communiqué ne détaille pas dans quelles circonstances et par qui le permis de port d’arme a été délivré à cet individu.
Cet épisode illustre la différence de fond entre les deux situations
dans deux pays, la Tunisie et le Maroc. Le premier a vécu une vraie
révolution, a chassé le despotisme et a arraché sa dignité à celui qui
exerçait oppression et injustice. Par contre, le Maroc a vécu une
fausse révolution, celle que Benkirane, qui n’est finalement qu’un
fonctionnaire avec grade de Chef de Gouvernement, appelle avec fierté la
révolution des urnes.
Sauf que ce sont des urnes bourrées de mépris.
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