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jeudi 25 octobre 2012

Condamner le RIRE est une dérive totalitaire

Condamner le rire / une dérive totalitaire / 
SOUTIEN À ALI LMRABET

par Mohammed Belmaïzi, 6/6/2003, Texte revu et corrigé 25/10/2012




Le premier choc qui s'empare de tout démocrate, concernant la condamnation du journaliste marocain Ali Lmrabet, de 4 ans de prison ferme et de 2000 euros d'amende, plus l'interdiction de ses deux journaux « Demain » et « Doumane », c'est la disproportion entre le motif et le jugement. Est-ce un prélude bien orchestré pour un futur verrouillage des libertés fondamentales ?

Il est vrai que le contexte international favorise aveuglément ces atteintes aux conséquences désastreuses pour l'ensemble des peuples arabes. La multiplication des murailles coercitives autour du monde arabe ne cessent de s'ériger. Des murailles que nous construisons avec nos propres mains et celles qui nous sont imposées par les mains des puissants de ce monde. Comme si le Maroc, dans la douloureuse époque qu'il traverse, jalonnée par un environnement effrité – (la spoliation du peuple palestinien de ses droits les plus fondamentaux tel que la jouissance de sa terre, et les vagues meurtrières sans précédent qu'il subit ; l'inhumaine agression barbare contre Bagdad la martyre et le dépouillement du peuple irakien de sa souveraineté ; l'installation, et pour combien de temps, de la terreur que subissent les innocents en Algérie et aujourd'hui au Maroc…) – avait encore besoin de ce genre de tragédies : la radicalisation des pouvoirs institués vis-à-vis de toutes analyses, de toutes critiques et de toutes revendications assimilées traditionnellement au sein du monde arabe à la « fitna », et donc la probable tragédie de la mort d'un journaliste pour délit d'opinion, que personne n'espère qu'elle sera le dénouement...

Je dois dire que lorsque j'ai découvert les caricatures pour lesquelles Ali Lmrabet avait été condamné lourdement et iniquement, j'étais brutalisé et consterné en tant qu'homme de culture, devant le sérieux affligeant de nos gouvernants qui ne peuvent supporter le rire. Or le rire est ce qui nous reste comme dimension humaine salvatrice, fonctionnant comme soupape pour nous aider à affronter le temps qui nous reste à vivre sur notre belle planète.

La satire, l'ironie et le rire sont reconnues, depuis que l'humanité est humanité, pour leur propriété thérapeutique. Ils peuvent nous aider à triompher des pesanteurs de l'Histoire, et prendre du recul pour les regarder d'en haut. Mais seules les structures dogmatiques autoritaires sont « unilatéralement » sérieuses.

La violence ne connaît pas le rire. Le rire n'entrave pas l'homme, il l'honore. Les portes du rire sont ouvertes à tous. Le dépit, la colère, l'indignation sont des sentiments unilatéraux : ils excluent celui contre qui la colère est dirigée, suscitent la colère en retour ; ils sèment la discorde et la « fitna ». Le rire ne peut qu'unir, il ne peut pas séparer. Et enfin le rire est un hymne cathartique souligné par les sciences humaines...

Punir le rire de cette manière absurde, c'est méconnaître les sociétés humaines et leur attachement naturel à cette faculté. Comment ignorer la portée constante de la « noukta » au Maroc qui tourne quotidiennement les rouages du pouvoir en dérision ? Est-il possible d'aller collecter toutes les « noukta » qui circulent au Maroc pour les éradiquer de la surface de l'imaginaire des Citoyens ? Essayez...

Juger Ali Lmrabet pour ses caricatures, n'est-ce pas condamner tout un pan de notre patrimoine culturel populaire et classique ?

Pour ce dernier, je me permets de mentionner l'art de la maqama. Tous les témoins s'accordent à dire que quand les maqamat de Hamadhani ou de Hariri, sont lues devant la foule assemblée, elles ne manquent jamais de soulever les hilarités insensées et salutaires du public. Ces œuvres littéraires qui comptent aujourd'hui parmi le patrimoine universel, ont en commun une origine spécifique. Elles sont nées dans l'empire abbasside morcelé où l'idéologie du pouvoir est étroitement liée au sujet souverain, « lieutenant de Dieu sur terre » (khalîfa-tu-llah fî-l-ard), et où l'institution califale garante du destin de l'Islam « religion de Dieu » bafoue les principes de justice et d'égalité entre les hommes, en sombrant dans l'hypocrisie et la corruption. Et ce contenu, je ne l'invente pas, il est bel et bien enregistré au sein même des maqamat.

Il me suffit d'énoncer un exemple qui appuie la confrontation entre la parole satirique et celle du pouvoir dogmatique. Cet exemple se trouve dans une séance de Hariri intitulée « L'Alexandrie » qui met en scène un vénérable et rigide Cadi dans une situation de fragilité humaine longtemps masquée. Après avoir écouté le récit d'un accusé, le Cadi ne peut contenir les contours rigides de son autorité. Il « pensa étouffer de rire, et dans ses mouvements un peu vifs, son turban roula à terre. Lorsqu'il se fut remis, et qu'il eut repris sa gravité, il dit… ». Et voilà que le turban, signe d'autorité suprême qui noue et dénoue les affaires terrestres, commence à se promener entre les pieds des assistants…

C'est que, une fois encore, la démarche satirique n'est rien d'autre qu'un levier du défoulement et du déploiement des énergies tant sclérosées qui emprisonnent et étouffent les êtres dans des statuts fugaces et dérisoires d'ici-bas. Alors que la parole juridique, elle, ne peut souffrir la connotation, car elle est « une parole créatrice, qui fait exister ce qu'elle énonce. Elle est la limite vers laquelle prétendent tous les discours performatifs, bénédictions, malé-dictions, ordres, souhaits et insultes. » (Bourdieu).

Je suis donc autant inquiet de cette dérive politique, dans laquelle se trouve entraîné Ali Lmrabet le sarcastique, que de cette déroute qui emporte notre patrimoine culturel aux gouffres des ignorances et des dogmes.

Mais je suis également consterné devant le manque d'emprise de nos gouvernants sur l'Histoire et sur la société moderne. Pour moi, laisser mourir Ali Lmrabet dans sa grève de la faim, c'est opter pour la dictature contre le rire, et pour l'Etat de non droit contre la démocratie.

Si j'ai un message à lancer aux pouvoirs institués, je leur dirais :

« Prenez tout le globe en main si cela vous chante, mais de grâce laissez-nous rire dans la communion et l'accord..., jusqu'à ce que vous daignez descendre envers nous pour rire... et surtout de vous-mêmes ! »

Une leçon de santé démocratique.




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