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dimanche 21 octobre 2012

Lettre ouverte au Ministre de la Culture

Par Mohammed Hifad


Suite à l’affaire de la destruction ou à la tentative de destruction des gravures préhistoriques du soleil par des salafistes dans le Haut-Atlas, je regrette de vous annoncer également la destruction d’un site ancien appartenant à mes ancêtres, un arganier sacré , surnommé Sidi Abdeljalil, il y a quelques mois , près de ma maison, au douar Foulouste , Commune de Sidi Kaouki , Province d’Essaouira.

Cet arganier sacré appartenait à mes ancêtres et je l’ai fait visiter à des milliers de touristes et d’associations de toutes les nationalités. Il a fait l’objet d’un master de l’un des étudiants de notre ami et directeur de la Global Diversity. 

Je l’ai fait visiter à tout un groupe de professeurs de Harvard. Aujourd’hui l’endroit où les habitants déposaient leurs offrandes et où ils allumaient des bougies est complètement détruit de nuit, ni vu ni connu.

Dans le village on a pris le soin de répandre la rumeur des chercheurs de trésor. Il n’ y a pas de trésor sous nos arganiers sacrés. Il n’y a que les dépouilles de nos ancêtres et ces actes criminels constituent la profanation de leurs tombes. Aucune enquête n’a été ouverte à ce jour, presque une année, et les autorités locales et votre délégation de la culture à Essaouira sont restées indifférentes.

Vous n’êtes pas sans savoir, monsieur le Ministre, que de Chiadma jusqu’à Taroudant et Bizakaren, chaque village possède son arganier sacré souvent à son entrée. L’étudiant canadien que j’ai accompagné m’a précisé que les mêmes pratiques se trouvent en Irlande et les gens ne se contentent pas seulement de fixer au tronc de l’arbre des clous en nouant un fil autour, mais ils y enfoncent même des haches certainement de bûcherons ou de guerre comme pour demander la protection de l’esprit de l’arbre sacré , des ancêtres ou de vie .

Un écrivain italien m’a confirmé que les mêmes pratiques existent aussi chez eux .On vend aux pèlerins des clous avec des têtes représentant l’organe malade : la tête , le pieds etc

Autour de notre arganier sacré, il y a des fondations à fleur du sol d’environ quinze sur vingt mètres certainement les restes d’un temple ou grenier-collectif-temple puisque nos forteresses ou dépôts collectifs avaient plusieurs fonctions. C’est là où les anciens rendent leurs jugements, distribuent le travail, autorisent les fêtes et rendent un culte pour leurs divinités avant les religions monothéistes. 

Il y a toujours un puits et un lieu de dépicage (culte agraire) près de cet arganier. Mon arrière grand-mère paternelle, qui avait sa propre troupe de danseuses d’ahwach , apprenait aux filles et aux garçons à danser sur le lieu de dépicage près de notre arganier sacré.

Elle était poétesse, composait ses propres chansons et jouait de taguenza, le tambourin, ce qui a complètement disparu suite au bigotisme auquel ont été soumises les populations. Elle était capable d’improviser un poème pour défendre les siens ou remettre à sa place un arrogant qui lui manque de respect. Elle était surnommée « Tifiste » , l’hygiène, tant redoutée par ses rivaux.

Ce ne sont pas nos arganiers en eux-mêmes qui sont sacrés mais l’ancêtre qui est enterré sous cet arganier, ce qui fait que ses descendants respectent et protègent le site. C’est un culte des ancêtres africain par excellence plutôt qu’un culte de l’arbre. Il existe dans la région de Haha toute une forêt sacrée « agrm-gdal » ( de aggram, prêtre ,et agdal , forêt privée d’arganiers ) , entendre par là un cimetière collectif où chacun connaissait l’arganier sous lequel est enterré son ancêtre homme ou femme. C’est pour cela que parfois on parle de sidi Argan ou Lalla Targant selon qu’il s’agisse d’un homme ou d’ une femme.

Tout est sacré dans cet arbre et personne n’oserait emporter son bois ou ses branches à part ses noix. Lorsqu’une partie de l’arbre est morte, elle est laissée sur place.

Certains arganiers portent des noms de fondateurs de zaouïas ce qui est nouveau car les adeptes de ces confréries se contentaient d’enfoncer un clou dans le tronc de cet arbre pour le transformer pour les habitants en une annexe symbolique du mausolée de leur cheikh dans une autre région du Maroc. 

Ils donnent le nom de leur patronyme à l’arbre sacré sans bousculer trop les croyances des gens sur place. C’est un peu à la manière dont les chrétiens ont reconverti la fête païenne d’origine germanique du culte de l’arbre ou des ancêtres comme nous, en fête de Noël chrétienne.

Nos ancêtres étaient des pasteurs qui passaient presque toute leur vie derrière leurs troupeaux et ce sont souvent eux-mêmes qui choisissent l’arganier sous lequel ils désirent être enterrés. Être inhumé sous un arganier, c’est nourrir de son corps les racines de cet arbre , en faire partie et devenir son esprit .

C’est pour cela que nos amazighs vont y passer la nuit pour recevoir dans leurs rêves les conseils de l’ancêtre. Le Rais chanteur ou musicien doit aussi y passer jusqu’à plusieurs nuits pour recevoir l’accord ou le désaccord de l’ancêtre personnifié par l’arganier sacré. 

Le dernier à ma connaissance à être enterré de cette manière ancestrale a sa tombe, sous son arbre préféré et constamment clôturé par ses descendants, sur la route de Sidi Kaouki, face à l’éolienne, à l’entrée du village de Taziytount. Cette philosophie et vision du monde matérialiste de nos ancêtres présente la mort comme une continuité de la vie et la rend heureuse et supportable par la postérité.

Cette disposition d’esprit pourrait déranger nos adeptes des religions monothéistes d’où notre plainte contre X pour la profanation ou la destruction programmée de notre patrimoine matériel amazigh et nous dénonçons avec indignation l’absence totale de toute protection de nos arganiers sacrés ou autres. 

Si certaines personnes pour des raisons religieuses ou idéologiques viseraient l’éradication de nos anciens lieux de cultes polythéistes , ils doivent savoir que même la Mecque était un lieu d’idolâtrie avant l’Islam et qu’elle subirait les mêmes conséquences à court ou long terme au nom du faux prétexte de l’unicité de Dieu dont elles se serviraient contre les nôtres.

Que le Ministère de tutelle veuille bien me donner l’autorisation de rendre le « mausolée » de l’arganier sacré, connu sous le nom de « Sidi Abdeljali » ,de notre village Foulouste en son état initial dans les moindres détails et de payer pour lui un gardien permanent grâce à des rentrées touristiques ou à nos cotisations. C'est pour ne pas nous reprocher une éventuelle absence d'alternative .

Ce refus de prise en charge de notre patrimoine sous prétexte de moyens financiers et l’interdiction d’y toucher simultanément même pour les héritiers légitimes constitue une autorisation pour leur destruction et disparition et une atteinte flagrante aux droits des autochtones amazighs qui relèvent en réalité du droit international.

Veuillez agréer, monsieur le Ministre, l’expression de ma respectueuse considération culturelle.
Essaouira /Foulouste , le vendredi 19 octobre 2012.
hifadmed@gmail.com

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