Blog de Omar El Hyani, 4/9/2012
Tunnel de Tichka : un improbable projet pour le Maroc “inutile”
In nihilismus veritas
Si vous n’avez jamais pris la route Ouarzazate-Marrakech via
Tizi-N-Tichka, vous pouvez difficilement imaginer à quelle point le
tronçon montagneux est dangereux. Si les paysages qu’elle offre sont à
couper le souffle, elle reste une route étroite, sinueuse sur 120
kilomètres, avec des virages à angles morts et des ravins dont on ne
voit même pas le fond. Ajoutez à cela une signalisation faible et un
entretien approximatif, et vous obtiendrez probablement la route la plus
dangereuse au Maroc. Et si jamais vous envisagez de traverser cette
route l’hiver, prévoyez des vivres et de bonnes couvertures. Il est très
fréquent que la route soit coupée suite aux chutes de neige.
Si on ne connaît pas, pour le moment, la cause exacte du dramatique accident
d’autocar de Tichka, on peut, vu la nature de la route, se demander si
celle-ci n’est pas la cause directe de l’accident, ou au moins une cause
aggravante, vu que le car a chuté dans un ravin de 150 mètres.
On pourra toujours dire que le conducteur roulait trop vite, avait
sommeil, ou a manqué d’attention au moment de l’accident, ou que
l’autocar était surchargé et que son état mécanique était défectueux,
mais la question de la responsabilité de la qualité de la route dans le
nombre effroyable de victimes est légitime.
La construction de la route du Tichka a commencé en 1924,
sur initiative du Général Daugan, dans le cadre de la campagne de
“pacification” du Maroc, après la signature du traité de protectorat
français en 1912.
Elle fut essentiellement utilisée pour transporter le matériel et les troupes militaires.
Les découvertes minières dans la région, ont incité le protectorat à
trouver des solutions pour faciliter le transport du manganèse, et de
baisser ainsi son coûts de revient. Deux solutions
ont été étudiées : celle d’un téléphérique utilisé pour acheminer le
précieux minerai d’un flanc à l’autre, ou celle d’un tunnel sous
l’Atlas. La première solution fut adoptée et celle du tunnel
temporairement abandonnée (même si selon certaines sources, le
creusement avait déjà commencé).
En 1974, des études
ont été réalisées pour la faisabilité d’un tunnel de 11 Km sous
l’Atlas, réduisant la longueur du trajet de 25 Km et économisant 40
minutes. D’autres études ont suivi en 1996 et 2002 et 2004. mais ont connu toutes le même sort : moisir dans un tiroir.
Pour quelles raisons le projet a-t-il été remis aux calendes
grecques? Si les italiens, suisses, français ou islandais ont
parfaitement réussi des challenges aussi difficiles que la construction
du tunnel du Mont Blanc, du Fréjus , du Simplon ou du Hvalfjörður,
en quoi le tunnel de Tichka serait-il plus difficile à construire? La
seule raison qui parait aujourd’hui freiner le projet, est son coût de
financement. Il est estimé aujourd’hui entre 7 et 10 milliards de
dirhams, soit entre le tiers et la moitié du coût projeté du TGV
Tanger-Casablanca.
Nous vivons donc dans un pays qui s’efforce de trouver les moyens de financer un petit joujou
pour le Maroc “utile”, mais bute sur le financement d’un ouvrage
capable de changer l’avenir de millions de personnes vivant dans les
régions “inutiles” de Deraa, Todgha et Dades. Cette dichotomie si chère
au Maréchal Lyautey, continue donc de prévaloir chez les dirigeants du Maroc au 21ème siècle.
Les attentes des habitants de cette région sont énormes, et la
construction d’un tel ouvrage constituerait une véritable révolution
pour ses habitants, habitués à vivre à la marge du Maroc de “l’autre
coté” de la montagne, celui où on jouit de leurs richesses sans véritable retour.
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