Par J.N. Qandisha le 20/3/2012
Nous avons lancé un appel à témoignages pour des cas de viol. On ne se doutait pas que l’exercice serait aussi éprouvant.
Le but en était de démontrer qu’aucune femme, ayant subi ce préjudice physique et moral, ne pouvait trouver du réconfort dans l’union légale à son agresseur. Cela paraitra absurde pour certains d’entre vous, car tellement évident. Pourtant, l’absurde est bien marocain et l’article 475 le prouve. Cette loi censée s’appliquer dans les cas de détournement de mineurs, de fugue d’adolescentes « amoureuses », est d’autant plus insensée lorsque violence et humiliation ont marqué l’unique rapport entre victime et coupable.
Mais la lecture de ces bribes d’histoires fait prendre conscience que les articles de loi concernant ce dossier ne sont pas les seuls points problématiques. Aucune des témoignantes n’a porté plainte contre son agresseur, de peur de se voir jugée par la société. Et cela n’est rien encore devant l’angoisse de subir le mauvais traitement de la police et de la suspicion qui marque les interrogatoires des femmes violées. Tout au long des lectures, l’absence de soutien moral se fait également ressentir. Les structures habilités à aider ces femmes à se reconstruire après un viol sont absentes et les séquelles sont portées à vie.
Elles sont marocaines ou étrangères résidantes au Maroc.Elles ont témoigné spontanément, à contre coeur certes, mais avec l’espoir que ça puisse changer les choses… Ou ne serait-ce que les soulager de leur souffrance.
A.B :
Aujourd’hui, je suis une femme brisée. Je dors sous antidépresseurs et j’ai peur de sortir seule dehors, les gens me font peur à tel point que je n’arrive plus à travailler. J’ai démissionné de mon poste et mon seul réconfort est mon conjoint avec qui je vis et qui me soutient énormément. Mon poids est faible à tel point qu’on voit mes os, je me sens souvent triste, j’ai besoin de la compagnie des gens, mais je me sens mal à l’aise avec eux.
Ma mère est décédée quand j’avais 16 ans suite à une maladie qu’elle a subie des années durant. Trois ans après son décès, on a diagnostiqué un cancer à mon père. Il devait se rendre régulièrement à Casablanca pour ses consultations. A cette époque, ma grand-mère paternelle est morte. Des funérailles ont été organisées. Les gens venaient nous rendre visite, parmi eux un voisin. Alors que mon père avait pris la route pour Casa avec ma sœur pour consulter, celui-ci est venu frapper à la porte et j’ai eu le malheur de lui ouvrir (même pas le faire entrer).
Le voisin savait que j’étais seule, il a forcé la porte et m’a sauvagement violée. Peut-être qu’il me désirait depuis longtemps car j’étais jolie et libérée, sauf que j’avais des limites, je n’avais jamais eu de rapports intimes avec quelqu’un. Mon premier rapport était un viol.
Le gars est reparti tranquillement après, en emportant le récipient que sa mère nous avait prêté pour la cuisine. J’en ai souffert en silence. Je ne pouvais le dire à mon père malade, mon père avec qui j’avais une relation fusionnelle. C’était un professeur avec des idéaux rares aujourd’hui, il m’a beaucoup appris et m’a soutenue quand tous ses amis essayaient de le monter contre nous. Ce papa que j’aimais, je ne pouvais le briser, alors qu’il savait qu’il allait mourir et nous quitter au milieu de vautours. Ma sœur ainée quant à elle, après lui avoir raconté ce qui m’était arrivé, m’a blâmée et m’a culpabilisée : « tu le mérites », me disait-elle. Sa vie n’a pas été facile, mais ce n’était pas une raison pour qu’elle me détruise alors qu’elle était mon seul soutien.
Aujourd’hui, j’ai la rage. Si je recroise cet homme, je n’hésiterai pas à prendre une voiture, l’écraser et me tuer après.
S.F:
Je me souviens encore des ecchymoses et du sang sur mon corps et ma tête. Ce n’est pas un violeur qui les ont causés, mais mon père quand il a appris que j’avais subi des attouchements de l’épicier du quartier. A l’époque j’avais à peine 6 ans. Je suis une jolie fille, teint lait, cheveux châtains et grands yeux verts. Quand j’étais petite, les gens adoraient me chouchouter, y compris l’épicier chez qui ma famille m’envoyait pour faire des courses. A chaque fois, j’en revenais avec des bons offerts par x.
Un jour, il m’a fait entrer à l’intérieur de sa boutique, il s’est mis à me toucher le corps.
Le soir en prenant le bain, je racontais à la femme de ménage ce qu’il m’avait fait, naïvement, telle une enfant qui décrit ses histoires avec ses petits camarades de classe. La femme de ménage m’a laissé dans la baignoire et est sortie toute pâle le raconter à ma mère, qui à son tour l’a raconté à mon père à son retour du travail.
Tel un fou, il est sorti crier au scandale et le chercher pour le tabasser. Ne l’ayant pas trouvé, il est rentré à la maison et s’en est pris à moi, jusqu’à ce que je perde connaissance. Le lendemain, je suis quand même allée à l’école, toute couverte de bleus, un œil au beurre noir et des blessures. Mon père est venu me chercher en plein cours pour porter plainte au commissariat. Le commissaire, jadis ami de mon père, en me voyant dans cet état, a blâmé mon père en lui disant qu’il devait le mettre en prison pour ce qu’il m’avait fait. Là, je me suis interposée pour dire « non », car malgré ce qu’il m’avait fait, je refusais qu’on mette mon papa en prison. Je ne me le serai jamais pardonnée.
Jusqu’aujourd’hui je garde les traces d’un double traumatisme : l’abus dont j’ai été victime et la violence de mon père à mon égard. J’ai longtemps culpabilisé, mais aujourd’hui je sais que ce n’est pas de ma faute. Je ne garde aucune rancœur contre mon père, car c’est le produit de sa société. C’est elle qui doit être remise en question.
F.S :
J’étais étudiante. Mes parents pensaient que je serais mieux seule dans un appartement, dans lequel ils pourraient venir quand ils le voulaient. C’est vrai que j’étais bien. Mes parents payaient tout au triple de son prix pour s’assurer que je sois bien et en sécurité. Le concierge et les voisins me surveillaient, des fois un peu trop, mais je ne m’en plaignais pas. Il y avait toujours quelqu’un pour attendre que je prenne un taxi le matin. Ayant grandi dans un village, en raison des fonctions occupées par mon père, j’avais le sentiment que Casablanca n’était qu’une grande famille qui m’avait accueillie à bras ouverts. J’avais confiance en tout le monde. Le concierge m’a à maintes reprises interdit d’accepter les propositions de parfaites inconnues pour me faire le ménage. Je pensais qu’il frisait la paranoïa, surtout que je me sentais en sécurité en raison de la proximité de notre maison de la préfecture de police.
C’est ainsi que lorsque le jeune maçon de l’immeuble en construction en face s’est proposé pour aller me chercher une bouteille de gaz, je n’ai pas refusé. Il était plus jeune que moi et très très gentil. Il faisait des courses pour le concierge et vu que ce dernier n’était pas à la porte, je l’ai laissé me rendre ce service en comptant le payer généreusement. Mais je ne pensais pas que le prix allait être aussi cher.
Il a mis en place la bouteille de gaz et a accepté une limonade à cause de la chaleur. Il sortait quand je l’ai rappelé pour lui donner un billet. Treize ans plus tard, je n’arrive toujours pas à m’ôter de l’esprit que si je ne l’avais pas rappelé à ce moment-là, ces quelques secondes, il serait parti.
Il avait marqué un moment d’hésitation, alors j’ai demandé s’il voulait quelque chose. J’ai voulu être gentille avec un garçon qui n’a pas eu les mêmes chances dans la vie que moi. Il s’est jeté sur moi.
L’incompréhension m’a paralysée. J’ai mis un moment avant de comprendre qu’il me violait. Je n’ai pas pu me débattre. Je l’ai laissé faire. Je n’ai rien senti quand il m’a dépucelé. Je ressentais à peine ses mouvements et la dureté du sol. Je crois même que sur le coup, j’aurais préféré être sur un lit. Je ne me souviens plus de son départ, je crois que je m’étais évanouie. J’ai repris conscience le soir, il faisait nuit et très chaud. J’avais juste le sentiment d’être un bout de viande, un animal comme un autre.
L’annoncer à mes parents les aurait tués. Je n’avais pas le droit de leur faire ça. Il avait disparu de toute façon.
Ça fait 13 ans que je suis traitée pour des TOC (troubles obsessionnels compulsifs) et pour tentative de suicide. Il m’est arrivée de me saigner le vagin tellement je le nettoie. Il m’est arrivé quelques fois de rencontrer des hommes qui ne me donnaient pas envie de gerber, mais je développe automatiquement un vaginisme (1) malgré mes 10 ans de traitement psychologique.
Je ne sais pas si un jour je pourrais vivre normalement. Je témoigne pour vous aider à protéger d’autres femmes.
H.M :
Je ne sais pas si un témoignage de Française vivant au Maroc est « valable » pour la cause que vous défendez. J’ai été violée par un Marocain sachant que c’était un ami. J’ai toujours été de nature confiante. Je n’ai jamais osé porter plainte. Je suis Française seule, avec deux mômes et je reçois des hommes chez moi alors que c’est interdit : que faire ? En plus je le connaissais bien ! Enfin je croyais.De l’eau est passée sous les ponts mais je suis fâchée contre ces hommes qui, parce que nous sommes seules avec enfants et « gaourya », pensent que nous sommes facilement « baisables » ou en manque, car plus vierges. J’ai fait de la boxe, je me suis défendue ce soir-là je suis tombée sur un plus costaud que moi.
Je regarde ma page blanche depuis deux jours et même si les faits, les actes de ce soir là sont gravés dans ma mémoire, j’ai du mal à les écrire sur cette feuille. Mes mots, ma vie de ce soir là vont être lus par d’autres yeux, et je ressens un grand malaise à cette idée. Pourtant il le faut.
J’ai été violée et je connaissais cette personne, je la fréquentais amicalement. Nous nous retrouvions souvent pour discuter, parler de nos problèmes, pour sortir. Il venait des fois chez moi pour parler, jouer aux cartes. On regardait un film, on échangeait des points de vues. Il dormait parfois aussi quand il était trop tard pour rentrer chez lui, dans le salon. Nous avons dormi ensemble un soir tout habillés, trop fatigués d’avoir trop parlé, un peu bu et fumé. Nous avons même fait l’amour une fois pour essayer mais c’est tout, nos discussions ont repris le dessus. Et il y a eu ce soir de trop, ce soir là.
J’ai pas compris comment, ni quand cela a basculé. Je me rappelle que nous écoutions de la musique, je me rappelle m’être retournée pour attraper un CD que je voulais lui faire découvrir. En ce moment même où j’écris ces mots, la surprise et la frayeur reviennent.
Il me plaque contre la banquette, je me sens me débattre et crier : mais qu’est tu fous ça va pas?
Sa claque dans ma tête : ta gueule! tu vas aimer!.
Je me débats et j’arrive pas à me libérer, j’ai fait un sport de défense, mais là il est plus fort que moi, j’y arrive pas : mais arrêtes ça tout de suite, t’es malade ?
Ses mains m’écrasent la tête dans les coussins. J’étouffe, j’ai peur. il s’appuie sur moi de tout son poids. Il baisse mon sarouel et ma culotte, il écarte mes jambes et là ça fait mal. je veux m’enfoncer dans cette banquette qui étouffe mes cris et disparaître à jamais. Il tire ma tête en arrière par les cheveux. ça fait mal : alors salope c’est bon hein !
Je pleure je le supplie d’arrêter, mais il continue… je veux que ça finisse j’ai mal, que ce cauchemar finisse je veux me réveiller .
Son râle signe la fin de mon supplice, je suis réveillée. C’est le moment de me sauver, là, il est plus faible je ne sais pas où j’ai trouvé l’énergie pour le repousser, je roule, je me relève et je fonce à la salle de bain. Je verrouille et là je me traite de conne de m’être enfermée chez moi. j’ai même pas pensé à mon téléphone. Je suis assise derrière ma porte et j’attends, je pleure de colère, de rage, de honte, je me traites de tous les noms et j’attends. Je tremble , j’ai froid, très froid, et envie de vomir.
La porte d’entrée claque. J’attends. J’ai toujours froid, je tremble, j’attends une heure, deux heures… Je ne sais plus. Il n’y a plus de bruit, j’ai encore peur, je sors et je fais le tour de mon appartement. Il est parti. Je verrouille tout et retourne dans la salle de bain et je me lave, me lave, me lave, toute l’eau chaude y passe jusqu’à ce qu’elle soit froide. Je me sens sale, souillée dehors et dedans. Il faut que je j’enlève tout cette souillure immonde. Je me sens un peu plus propre, je prends mes vêtements, je les mets à laver. Je sens son odeur partout . c’est horrible, c’est fini.
Je prends mon téléphone j’appelle la police, ça sonne et je raccroche avant d’avoir quelqu’un, qu’est ce que je vais dire : allo, bonjour, je viens de me faire violer par un ami Marocain ? j’imagine la suite du dialogue : mais que faisait un homme chez vous, une femme seule?
B.T:
J’ai commencé à avoir des flashs, je n’arrivais pas à distinguer si c’était des mauvais rêves ou une réalité éloignée. Ces flashs ont commencé vers l’âge de 13 ou 14 ans. C’est sans doute en raison de la rigidité de ma famille vis à vis de mes rapports aux garçons. « C’est une question d’honneur » disaient-ils. Mon père me mettait en garde en me suivant en voiture, me terrorisant avec ses menaces pour que je n’aie aucune histoire avec un garçon. Un souvenir a refait surface à l’insu de mon plein gré.
Ces flashs ont commencé à se répéter de plus belle, même dans mon sommeil. J’avais la sensation d’un pénis entre mes cuisses, un frottement répétitif. Je me rappelle aussi du coton que je mettais dans ma culotte, et j’ai encore des doutes sur une scène : quand les femmes de ménage de ma grand-mère se montraient ma culotte en se demandant si c’était du sang ou autre chose. Je vois encore une des femmes de ménage, mais je n’ose pas lui poser la question.
Je sais où ça s’est passé, mais je n’ose pas pousser la recherche. Après tout à quoi ça sert si ce n’est provoquer un scandale à ma famille ?
J’avais 4 ou 5 ans, mon frère était plus âgé que moi d’un an. En été, toute la famille se réunissait chez mes grands-parents. Pour ne pas être dérangés par les cris et l’agitation des enfants, notre grand-père nous emmenait à la piscine d’un hôtel 4 étoiles à côté de notre maison. Il donnait des sous au maitre-nageur pour qu’il nous surveille et qu’il apprenne à nager à mon frère.
Quand j’ai eu besoin d’aller aux toilettes, j’ai demandé au maitre-nageur de m’orienter. Je me souviens de ma réticence, quand il m’a emmené aux toilettes du sous-sol, sales, pleins de papiers et de sachets par terre (c’est clair que ce n’étaient pas les toilettes des clients). Lorsque j’ai eu fini de faire mes besoins, je lui ai demandé du papier toilette, il a alors rétorqué qu’il n’y en avait pas, mais qu’il allait m’essuyer et m’a demandé d’ouvrir la porte. J’avais mon maillot de bain une pièce mauve enlevé, il m’a demandé de me tourner contre le mur. Jusque-là, je ne comprenais rien, j’ai juste obéi. J’ai alors senti un gros truc qu’il frottait activement en bas, et à chaque fois que je me retournais pour voir, il me demandait de regarder le mur. C’était comme ça à tout le temps durant les vacances d’été. J’ai eu la malchance de tomber sur un pédophile et si ça se trouve mon frère a subi les mêmes actes.
Des dégâts psychologiques sont apparus par la suite, le comportement sévère de nos parents n’a pas arrangé les choses.
Aujourd’hui je me dis que ma famille ne m’a pas protégé, alors leur honneur qu’ils le gardent pour eux.
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