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lundi 19 mars 2012

Car la vie ne vaut d'être vécue, sans dignité !


par Salah Elayoubi,  19/3/2012

La lecture d’un testament est, en soi, un grand moment de solitude pour ceux qui restent.

Les dernières volontés de celui qui agonise, retenu à la vie par un fil ténu, sont tout simplement insupportables.

Ce que nous a livré Azzeddine Erroussi, à l’article de la mort, du fond de sa cellule, n’est rien moins qu’un acte testamentaire. Qu’il survive aux sévices qui lui ont été infligés ou qu’il en périsse, le récit trouvera sa place parmi le florilège des réquisitoires implacables écrits en lettres de sang et de larmes, par tous ceux qui ont eu, un jour, à subir dans leur chair, la cruauté de la tyrannie marocaine.

De la narration de ses conditions de détention, dans une cellule peuplée, à dessein, par la lie de l’humanité, enrôlée pour briser sa résistance et ses convictions, par les agressions, les coups ou la menace de viol, Azzeddine est passé aux moments qui ont suivi son arrestation :

- « Ils m'ont ligoté et tiré par les pieds jusqu'à la voiture blindée, stationnée devant la fac, porte ouest, du côté du cimetière »

Une constante chez les dictateurs, vous l’avez sans doute relevé, de réserver des emplacements particuliers à la construction des grandes écoles et des universités. Terrains vagues, dépotoirs, forêts, cimetières. Exclure les fils du peuple de la cité, avant de les exclure de sa vie économique, politique et sociale.

Du pain béni, ce cimetière, avec ses gisants. Des citoyens dociles, comme les aime le régime, qui ne voient, n’entendent, ni ne parlent. Emplacement idoine pour une répression à huis clos, menée par des policiers à moitié voyous ou des voyous à moitié policiers. On ne sait, d’ailleurs, plus très bien, depuis qu’en plus de rançonner les honnêtes gens, ces sbires d’un autre temps, s’acharnent, à vandaliser les domiciles, après s’y être introduits, par effraction, pour y bastonner, sans distinction, femmes, enfants et vieillards, coupables de s’y être trouvés, avant de s’en aller dévaliser les étals des épiceries ou des boucheries, sur le chemin du retour, histoire de se payer du dérangement.

A Taza, de l’université au cimetière, il n’y a qu’un pas à franchir, qui peut s’éterniser une vie durant ! Abominable parabole qui illustre à merveille la tragédie marocaine, faite d’attentes déçues, d’espoirs anéantis et de souffrances inouïes, jusqu’à ce que mort s’ensuive !



Vue de l’université de Taza, ses terrains vagues, son cimetière, son bidonville

"Qui se tue, se tue pour ne pas attendre de mourir." Disait Miguel de Unamuno.

Azzedine a eu deux mille six cent vingt huit mots pour dire le choix qui est le sien, se tuer pour ne pas attendre de mourir.

Deux mille six cent vingt-huit mots pour nous rappeler que la vie ne vaut d’être vécue sans dignité. Avec ce moment terrible d’un récit poignant qui vous prend à la gorge, où le père invite son fils à aller au-devant de la mort, sous les yeux abasourdis d’un juge qui caressait le rêve de briser les deux hommes et qui comprend qu’il vient de perdre et la partie et la face, devant tant de courage:

- « je préfère que mon fils meure, plutôt qu’il vive humilié ! ».

C’est pour cet instant, à nul autre pareil, où le courage d’un seul homme rencontre la lâcheté de tant d’autres, qui l’ont agoni de leurs assiduités criminelles, qu’Alexandre Dumas fils semble avoir écrit ces quelques mots :

« Celui qui se donne la mort est une victime qui rencontre son bourreau et le tue. »

Deux mille six cent vingt-huit mots, pour dire combien fut long, terrible et interminable le calvaire et à quel point furent impitoyables, monstrueux et acharnés les bourreaux qui brisèrent les os de la main à leur victime, avant de la jeter sans soins, dans un cul-de-basse-fosse.

On dit raffinées pour parler de ces tortures tellement subtiles, qu’on peine à imaginer qu’elles puissent vous être appliquées par vos semblables. Mais même une once de cette barbarie-là, ne saurait trouver de place, ni de grâce auprès d’un soupçon de subtilité. Elle appartient plutôt au registre de la sauvagerie la plus grossière, la plus inqualifiable. Comme ce moment où l’acte médical se confond avec le monde carcéral et où l’on ignore où commence l’un et ou s’achève l’autre. Pas moins de huit paires de menottes qui côtoient sérum et injections, au milieu des provocations, des invectives, des insultes et des injures qui fusent.

Azzeddine s'éprouve tel Jésus sur sa croix. Il n’y manque, en effet, rien ou si peu. Même pas les aiguilles, qui telles les lances transpercent les flancs du moribond. On croirait presque entendre les légionnaires romains, s’enquérant de la mort du crucifié, lorsque les bourreaux, à voix haute, s’étonnent de la résistance de notre militant :

- « il ne veut pas mourir celui-là encore ?! »

Deux mille six cent vingt-huit mots écrits par ce Jésus-là de Taza, comme le fut, jadis, cet autre Jésus, celui de Nazareth: sans haine et sans reproches pour ses pourfendeurs ! Des mots qui appartiennent, désormais, à l’histoire. Des mots ordinaires qui, de la main du héros qui les a tracés, en sont devenus extraordinaires et qui s’achèvent par un message d’amour et d’adieu à ses camarades de militantisme.

Azzeddine Erroussi livre sans doute un dernier combat, contre ce régime d'un autre âge, qui en a fait une épave ! Une épave, sans doute ! Mais une épave qui sombre debout, comme un homme, face aux tyrans, qui comme nous les avons vu faire ailleurs, se terreront, dans quelque trou à rats, un temps, avant de devoir rendre compte de leurs actes !

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