El Ouassouli Abdelkrim, frère du disparu Omar El Ouassouli, France, 2/2/2010
Le 14 janvier 2010 le CCDH a publié sur son site des extraits de son rapport final de suivi des recommandations de l’IER. On apprend que le CCDH a une conception étrange de la vérité, de l’élucidation du sort des disparus. Il admet également que le concept de la justice transitionnelle tant loué et vendu n’est pas opérationnel dans le cas du Maroc. En effet, comment peut-il l’être dans un processus où il est maintenant certain qu’il n’a été conçu que pour une seule finalité du Marketing politique. L’absence de volonté politique et la consécration de l’impunité sont les obstacles majeurs sur le chemin d’ un règlement juste et équitable du dossier des violations graves des droits humains au Maroc. Depuis la reconnaissance officielle par les autorités marocaines de violations graves des droits humains perpétrés par l’état à l’encontre de citoyens marocains, le pouvoir a toujours œuvré pour réduire le règlement de ce dossier à la simple question d’indemnisation. En effet, l’absence de volonté politique au plus haut sommet de l’état et l’obstination à garantir l’impunité aux criminels sont les principaux obstacles à l’application du standard mondial en la matière pour esquisser un règlement juste et équitable. Malgré une certaine résistance des familles et des victimes, le pouvoir a su conserver la maitrise de la totalité de processus : l’institution du CCDH, de la commission d’arbitrage, la refonte du CCDH[i], la création de l’IER[ii] et en fin le retour au CCDH. Il faut rajouter à ces artifices institutionnels une stratégie communicationnelle pour semer la confusion et absorber certains acteurs du processus en important le concept de la justice transitionnelle qui d’une part a été élaboré au USA afin de garantir une certaine transition démocratique dans des pays d’Amérique latine où les Etats Unis ont constitué un soutien indéfectibles aux dictateurs et qui d’autre part n’a pour but que celui de redéfinir les principe même de la vérité, de la justice et d’assurer l’impunité aux criminels. D’ailleurs, même dans ces états la questions n’est pas totalement réglée. Or comme chacun sait, ce concept même avec ses insuffisances ne peut être appliqué au Maroc compte tenu des conditions politiques requises à son application et notamment celle de la transition démocratique. Les adeptes de ce concept pour l’importer ont pris une position politique qui consistait à décréter de le Maroc est entré dans une phase de transition démocratique. A moins de considérer que les citoyens marocains constitue une catégorie de sous humains pour les priver de l’exercice de leur souveraineté, l’élément essentiel constitutif de toute démocratie.
L’effet de cette stratégie était dévastateur et a conduit à un émiettement dans les rangs des victimes et des familles des disparus. En effet, si un accord presque unanime concernant les exigences de vérité et de justice, la précision du contenu de ces deux notions ont été variables selon les intérêts politiques sous tendus par le degré d’intégration dans le champ politique institutionnel. Ainsi, certains acteurs parmi les victimes ont délibérément semé la confusion par une tentative de conciliation entre les exigences des victimes et le cadre d’une pseudo justice transitionnelle fixé par le pouvoir. Le résultat est édifiant, le FMVJ a toujours été dans l’incapacité d’élaborer une stratégie politique répondant aux aspiration des victimes. Mais nous pouvons aussi formuler l’hypothèse que l’inertie du FORUM était une stratégie politique en soi et auquel cas il l’aurait mené avec succès. Ainsi les victimes et les familles des disparus ont été laissées à l’abandon et ils ont manqué de soutien face au manœuvres du CCDH.
Il est donc utile afin d’illustrer nos propos de rappeler certains faits qui peuvent donner au lecteur une idée globale sur le détournement par le pouvoir du processus de règlement du dossier des violations graves des droits humains pour le vider totalement de son contenu et ainsi le réduire à une simple opération de Marketing politique. Mais face à la dictature du positivisme que certains veulent nous imposer, nous voulons d’abord rappeler certaines évidences :
La justice : on ne peut parler de justice sans que ses éléments constitutifs ne soient établis à savoir la caractérisation du crime et/ou du délit par la réponse à certaines questions qui, quoi, quand où et comment. Cela suppose l’établissement des faits, la désignation de la victime et du et/ou des criminel. C’est donc le volet concernant la vérité. Ensuite et seulement ensuite peuvent intervenir les éléments constitutifs de la justice à savoir la reconnaissance, la réparation et la sanction. Or, il ne peut y avoir justice sans satisfaire complètement à ces pré-requis. Les mécanismes de réalisation et les transactions en matière de réparation et de sanction peuvent éventuellement faire l’objet d’un débat et c’est d’ailleurs l’objet de la justice dite transitionnelle.
La divulgation du sort des disparus : le CCDH a élaboré une étrange conception concernant ce point en le réduisant dans plusieurs cas à une simple déclaration de décès sans fournir de preuves matérielles, sans élucider les circonstances du décès, sans nommer les criminel et surtout sans identifier et /ou localiser le corps. C’est donc une simple déclaration (de foi) que les familles doivent croire et entériner. D’autres fois, le CCDH a utilisé l’acceptation de telle ou telle famille d’être indemnisée pour annoncer la divulgation du sort des leurs. Procédé abject et indigne. C’est avec stupéfaction que nous avons enregistré à ce jour aucune position et/ou déclaration officielle du FMVJ pour dénoncer ce procédé et pour rompre la solitude de certaines familles.
Mais revenons à la nécessité de faire un rappel historique pour comprendre la dynamique
Grâce à une lutte acharnée des militants des droits de l’homme, des prisonniers politiques, de leurs familles, de l’ensemble des forces démocratique et du soutien international que le pouvoir marocain a été contraint d’ouvrir le dossier des violations graves dans notre pays. Le pouvoir marocain va commencer à entamer son adaptation à cette nouvelle donnée et un premier groupe de prisonniers politiques, militants de la nouvelle gauche, va bénéficier d’une grâce le 6 mai 1989. En 1991, des survivants du bagne de Tazmamart vont réapparaître. La même année Abraham Serfaty va être libéré et expulsé vers la France. En 1994, près de 400 prisonniers politiques sont libérés. Le pouvoir va tenter de clore le dossier des violations graves des droits humains par la création du Conseil Consultatif des Droits de l’Homme (CCDH) en 1990. Il faut rappeler que cet organe a été critiqué tant sur la forme que sur le fond de ses prérogatives.
Le CCDH publie une liste de 112 disparus en les répartissant en plusieurs catégories. Les associations des droits humains ont considéré que ce chiffre était très en deçà du nombre de cas recensés et qu’il était très inférieur au nombre de cas déclarés disparus par les familles et les organisations DDH. De leurs cotés, les familles des disparus ont été révoltées par la manière dont le dossier a été traité d’autant plus que le CCDH les a considérées avec un mépris total. Le 9 avril 1998, le CCDH va publier une nouvelle liste qui comporte toujours les 112 noms de disparus, mais quelque peu remaniée sur la forme. La Coordination des Familles des Disparus va initier différentes formes de luttes par l’organisation de plusieurs grèves de la faim à Casablanca pour réclamer la vérité sur le sort des leurs. Cette lutte soutenue par le mouvement des droits humains va obliger le pouvoir à reconsidérer son approche. Le 23 juillet 1999 intervient la transition au plus haut sommet de l’état. Le CCDH nouvelle version va être instituée avec l’annonce d’une « nouvelle approche ».
Or il s’avère que cette nouvelle approche n’est basée que sur la simple question d’indemnisation comme solde de tout compte. Les victimes et les familles des disparus vont créer, le 27 et le 28 novembre 1999 un forum intitulé justice et vérité a été crée en toute légitimité en vue d’apporter des lumières sur les violations des droits des victimes de la répression et de l’arbitraire.
A l'initiative de l'AMDH, de l'OMDH et du Forum Vérité et Justice, un symposium national a été tenu à Rabat du 9 au 11 Novembre 2001 sur les violations graves des droits humains au Maroc. Ont pris part au symposium de nombreux acteurs des milieux de défense des droits humains et des milieux politiques, syndicaux, officiels et des institutions nationales, ainsi que des personnalités de la société civile. Cette étape de la lutte a été couronnée de succès par la constitution d’un comité de suivi et par l’émission d’un ensemble de recommandations à savoir :
-Les mesures urgentes · La divulgation de la vérité par la mise en place de la commission de la vérité,
-Le repentir public et officiel de l'État,
-L'indemnisation, la réparation du préjudice, la réhabilitation et la restitution des dépouilles à leurs familles,
- La sauvegarde de la mémoire collective de la société
-Les réformes institutionnelles, législatives, administratives, éducatives et de protection,
- La commission du suivi.
Le premier point qui figure dans ces recommandations est celui de La divulgation de la vérité par la mise en place de la commission de la vérité. L’architecture de cette commission indépendante restait à définir et les contours de ses prérogatives restaient à dessiner. Il va de soi que le pouvoir ne voit pas d’un bon œil le consensus qui est en train de se dessiner autour de cette question et il va entreprendre une nouvelle/ancienne approche. Ainsi, Le pouvoir va approcher certains responsables du Forum, dans un premier temps pour répandre la bonne parole et essayer de convaincre de la réalité de l’existence d’une volonté incontestable d’un règlement juste et équitable.
Ce processus a abouti à l’intégration de plusieurs membres du FMVJ dont son ancien président au sein du CCDH et ils vont devenir par la suite des opérateurs efficients dans l’exécution de la nouvelle approche du pouvoir.
En effet, la nouvelle approche du pouvoir s’articulait autour de quatre pôles :
Se servir de l’indemnisation comme facteur d’affaiblissement du FMVJ ,
Se servir de l’ensemble du corpus conceptuel conforme au standard international, tout en le vidant de sa substance, pour légitimer son approche,
Continuer à recruter des relais parmi les victimes afin de neutraliser le FMVJ et marginaliser ses forces de résistance
Ne rien céder sur le fond concernant les questions de la vérité et celle de l’impunité
Ainsi les conditions de la création de l’IER ont été réunies. Le CCDH va adresser une recommandation au chef de l’État pour la création d’une Instance dite ‘’Équité et Réconciliation’’ (IER) qui verra le jour le 6 novembre 2003. Les réactions vis-à-vis de cette nouvelle instance ont été multiples et variés. Notons simplement que bien qu’elle a consacré l’impunité comme la règle absolue et sous des arguments fallacieux, le FMVJ a adopté une position dite « collaboration critique ». Nous pensons que cette position a été guidé par des intérêts politiques des relais du pouvoir au sein du FORUM.
Par la suite, les événements ont démontré qu’il n’a eu ni la collaboration, ni la critique. Le FMVJ s’est complètement marginalisé du processus. Cette position a été prise soit disant au nom du positivisme mais nous pensons qu’en réalité, elle était un des effets directs de la stratégie du pouvoir. Il n’était nullement besoin d’une prophétie pour savoir l’absence totale de volonté politique chez le pouvoir concernant les deux volets les plus importants dans le processus d’un règlement juste et équitable que sont la question de la vérité et la question de l’impunité. En effet, le reste en découle.
L’IER a entretenue délibérément la confusion et l’amalgame pour mettre sur le même plan le bourreau et la victime. Elle a aussi œuvré pour mettre en opposition deux concepts que sont la justice et la discorde.
Par ailleurs, elle a martelé un autre argument qui est plus politique et qui tend à mettre en évidence que le Maroc est réellement sur la voie d’une transition démocratique et que la période exige de la modération dans les revendications légitimes des victimes pour ne pas créer de l’instabilité et donc gêner le processus de démocratisation. Cet argument a trouvé un écho chez une élite déjà Makhzanisée en recherche de la bénédiction du pouvoir dans l’espoir d’une intégration méritée. Elle s’est montrée l’allié indéfectible de l’IER et donc du pouvoir. Seulement ceci ne trompe personne et notamment lorsque au plus haut sommet de l’état on proclame que la continuité est de rigueur.
Sur un autre plan, plus opérationnel et notamment concernant la question des disparus, l’IER a choisi une approche d’investigation qui ne serait ni recevable, ni acceptable dans aucun système démocratique digne de ce nom. Elle a institué une certaine circularité qui commence par les autorités et qui finit par elles sans donner de possibilité aux familles d’exercer leurs droits qui relèvent du principe du contradictoire. La vérité est supposée jaillir de ce procédé où le criminel est maître du jeu. Le plus étonnant encore est l’attitude de l’IER vis à vis des familles des victimes et des organisations des droits humains marocaines .Elle a tout fait pour les tenir à l’écart.
Des témoins ont été écarté par l’IER, d’autres témoignages ont erronés volontairement pour ne dire falsifié. Le résultat est connu.
L’interdiction aux familles d’accès aux documents et aux informations collectés par l’IER.
Mais, nous enregistrons également la passivité du FMVJ face à ce processus qui va conduire à la négation de la vérité. Rien, aucune critique conceptuelle sur la méthode utilisé, ce qui constitue en soi une approbation et donc laisser le champ libre à l’IER dans un face à face avec les familles. On se demandait à quoi peut-il servir le FMVJ. D’ailleurs son président avait proposé la dissolution du FMVJ, je suppose que ce n’est pas pour les même raisons !!!. Or dans ce genre de dossier, la méthodologie la plus fonctionnelle et les détails sont les plus important. Les généralités ne constituent en général et en la matière qu’un écran de fumé.
Par la suite l’IER a remis son rapport sans révéler de vérités, elle a émis certaines recommandations et le CCDH a été chargé de les mettre en œuvre. Le CCDH de Monsieur HARZENI a utilisé les mêmes recettes pour aboutir globalement aux mêmes résultats : ni vérité, ni justice et ni divulgation de sorts des disparus. Il a seulement émis certaines affirmations de décès pour toute vérité en demandant aux familles de le croire sans apporter d’éléments matériels et sans élucider les circonstances du crime. Étrange vérité comme l’avait crié l’une des familles. L’autre étrange vérité est l’absence à ce jour de réaction du FMVJ alors que le CCDH a publié le 14 janvier 2010 sur son site les éléments de son rapport final concernant le suivi des recommandations de l’IER.
En somme, nos amis positivistes vont continuer à louer « la transition démocratique », continuer à venter le travail de l’IER et du CCDH. Solidarité oblige !! Ils vont continuer à fustiger, peut être en silence, toute voix qui n’acceptera cette supercherie, toute famille qui refuse que vérité et justice soient sacrifiées sur l’autel de l’impunité.
L’État et le pouvoir marocain détiennent la vérité et ils la maintiennent séquestrée. Aucun ne peut et n’a le droit de proclamer la clôture du dossier sans que la vérité ne soit connue et sans que la justice ne soit dite. L’absence manifeste de volonté politique pour clore le dossier d’une manière juste et équitable rend nécessaire la lutte pour la constitution d’une commission vérité indépendante dotée de pouvoir contraignantes et coercitifs vis-à-vis des services de l’État et vis-à-vis des personne présumées impliqué dans les exactions afin de pouvoir mener des investigations dignes de ce nom et pouvant conduite à l’établissement de la vérité, à faire la justice.
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