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vendredi 19 février 2010

Au Moyen Atlas, vivre solidairement avec les habitants d'Aït Jaber

Par Paula Boyer, La Croix, 18/2/2010
Aït Jaber. C’est un douar (hameau) minuscule au pied des cimes enneigées du Moyen-Atlas. Les amandiers en fleurs ont échappé à l’hiver. Des maison en pisé, basses et blanches, sont éparpillées au milieu des collines couvertes d’oliveraies et de champs de blé ou de fèves. Entre deux averses, des femmes emmitouflées achèvent la cueillette des olives. Chez les Hssissou, l’une des quatre vaches vient de vêler dans la nouvelle maison dont les parpaings grimpent maintenant jusqu’au premier étage. Ici, la vie est rude, les femmes restent au foyer, les salaires sont faibles, le travail rare. Pour s’en sortir, les Hssissou –la grande-mère, un fils et une fille célibataires, un fils divorcé, un fils marié, sa femme et leurs trois enfants- se serrent les coudes sous le même toit. Fatima, vaillante malgré ses 70 ans, régente la maisonnée mais ouvre volontiers sa table aux touristes qui séjournent de l’autre côté du chemin boueux, dans le gîte Tizitounte.
Ce gîte –six chambres- a été construit par l’agence Tizirando (1), un spécialiste marocain du « tourisme solidaire » qui, bien loin du Maroc de carte postale vanté par les spécialistes du « soleil bon marché », s’efforce de faire découvrir à ses clients le mode de vie et la culture des habitants du cru. Et, d’apporter à ces derniers des revenus en échange de repas, nuitées, de location de d’ânes et de mulets, d’accompagnement des randonneurs, etc.
C’est Saïda, la fille de Fatima, qui brique le gîte Tizitounte et cuisine pour les petits groupes emmenés par Tizirando. Parfois, comme aujourd’hui, le repas est carrément pris chez les Hssissou. Au menu, hors d’œuvre variés et tajine au poulet. On mange avec les doigts, à la marocaine. On rit beaucoup, on joue avec le petit Annas, trois ans. Et on se débrouille comme on peut pour échanger sur les réalités de la vie ! Quelques heures plus tard, après une promenade, les randonneurs se retrouveront dans la cour carrée des Hmala où Seltana, la maman, maintenant veuve, offre du thé et un délicieux pain à base de semoule. L’été quand il fait beau, les randonneurs font de longues escapades à pied ou en VTT dans les environs. Parfois, Tizirando les emmène en bus jusqu’au Moyen Atlas pour une journée de marche. Avec le temps frisquet et pluvieux de ce mois de février, il faut se contenter de balades dans les oliveraies voisines et d’une escapade jusqu’au lac Allal El Fassi où Rhazi El Gortat, le directeur de Tizirando rêve d’ouvrir, un jour, une guinguette pour accueillir ses clients.

Eté comme hiver cependant, tourisme solidaire ou pas, la visite de Fès, à vingtaine de kilomètres de là, reste incontournable. Avec l’exode rural, cette cité impériale ne cesse de grandir ! Mais, c’est bien sûr la médina (la vieille ville) et ses céramiques d’un bleu profond qui attirent d’abord : à flanc de colline, des milliers de maisons blanches moutonnent autour des ruelles étroites et tortueuses, serrées autour du minaret de la mosquée El-Qarawiyine et des toits verts du mausolée de Moulay Idriss II ! Fondée en 808 sur la rive droite du fleuve éponyme par un descendant du Prophète, Moulay Idriss, la médina de Fès est la plus vieille du pays et … la plus grande au monde.
Anouar, le fils d’un bazari qui, diplômé de l’université, s’est reconverti en guide touristique, nous fait les honneurs de sa ville, intarissable sur les curiosités–l’horloge hydraulique, la bibliothèque, les medersas-, sur les dynasties successives et aussi… sur ses déboires sentimentaux : sa mère refuse l’élue de son cœur car elle est pauvre et originaire de la campagne ! Si le détour par le quartier des tanneurs –les techniques y restent traditionnelles, les colorants naturels- est de règle, Anouar nous évite d’être assailli, comme tant d’autres, par les marchands des souks. Nous avions demandé une « visite culturelle » et Tizirando y a veillé !
« Nous refusons d’emmener les gens dans les bazars et d’empocher les commissions ! Le tourisme, c’est comme cela que je l’envisage, dans les respect des personnes ! Mais, les principes, ça se paye aussi», insiste Rhazi El Ghortat. Pour le directeur de Tizirando, le rapprochement des peuples, des cultures n’est pas un slogan. Et le partage équitable des revenus du tourisme n’est pas un vain mot. L’aventure de Tizirando a débuté en 1989. Cette agence a été créée par trois amis, dont deux anciens prisonniers politiques, opposants à feu Hassan II. « Nous avons commencé par organiser des randonnées, à pied, à dos de mulets et de dromadaires. A l’époque, c’était vraiment un projet alternatif », se souvient Rhazi El Gortat. Lorsque la randonnée, devenue à la mode, a été proposée par toutes les agences, Tizirando a développé le tourisme solidaire qu’au vrai, elle pratiquait déjà avec le logement chez l’habitant et le financement de projets de développement.
Dès le départ, Tizirando a été conçu comme une « entreprise citoyenne » : « Nous nous sommes toujours efforcés de payer correctement ceux que nous faisions travailler, quitte à perdre des clients parce que nous refusions, pour cette raison, de baisser nos tarifs », assure Rhazi El Gortat. Avec ses bénéfices, Tizirando a financé des projets de développement. Au départ, cela s’est fait en bricolant un peu. Très vite, Tizirando a éprouvé le besoin de clarifier les choses en créant une ONG de développement, la Sodev qu’elle finance tout comme d’autres partenaires, dont le CCFD-Terre solidaire. A son actif, des cours d’alphabétisation, des formations professionnelles, l’aide à la création de coopératives artisanales et aussi la « maison de la jeune fille rurale »: construite à côté du lycée et du collège de Ras Tabouda, cet établissement permet aux filles de manger leur casse-croûte au chaud, à midi, d’écouter des conférences, de prendre des cours d’informatique, de bénéficier d’un soutien scolaire ou tout simplement de se reposer entre deux cours. Jusque là, il n’y avait rien pour les accueillir, ce qui en décourageait beaucoup de poursuivre leurs études dans cette région où leur scolarisation reste limitée. Aujourd’hui, elles restent au lycée plus longtemps et si la plupart se marient tôt, elles sont plus nombreuses que jadis à pousser jusqu’à l’université !
«Ce sont les gains du gîte de Tizitounte qui payent les salaires des deux animatrices », précise Rhazi El Gortat qui ne manque pas une occasion de faire visiter à ses clients-touristes cette réalisation. Tizirando, serait-ce du tourisme pour militant ? Oui et… non ! « Je panache, précise Rhazi el Gortat, je propose, par exemple, un peu de tourisme solidaire avec de la randonnée. Il faut marier les visites et le plaisir, la fête et la découverte, les monuments et les gens ». Partir avec Tizirando, ce n’est pas se condamner au confort simple d’un logement chez l’habitant ou en gîte. Comme les autres agences, Tizirando travaille aussi avec des hôtels et propose des circuits. Mais bien rares sont ses clients qui n’accepteront pas de consacrer au moins une journée à visiter une famille, une coopérative de femmes, une association ou de passer une nuit dans un gîte ou carrément chez l’habitant. « Le tourisme classique, c’est beaucoup plus facile et on gagne plus », soupire Rhazi el Gortat. «Avec le tourisme solidaire, il faut veiller à l’encadrement. C’est très prenant ! Les gens veulent discuter jusqu’à minuit ! ».
(1) www.tizirando.com. A partir de 328 euros la semaine, vol aérien jusqu’au Maroc non compris.

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