Par Omar Brouksy, 17/4/2015
Un projet de réforme du code pénal marocain suscite depuis quelques
semaines de vives controverses. Les modifications qu’il apporte
concernent des aspects aussi variés que sensibles touchant à la vie
politique et sociale d’un pays où l’islam est religion d’Etat, et où la
monarchie dispose de très larges pouvoirs.
Sur le plan politique, les dispositions juridiques les plus
controversées sont enveloppées dans des formules ambiguës, aux contours à
la fois larges et flous. L’article 206 est l’un des plus
emblématiques : « Est considéré comme portant atteinte à la sécurité
intérieure de l’Etat, et puni d’un an à dix ans de prison, quiconque
ayant perçu (…) d’une personne ou d’un groupe étrangers, des
dons, prêts ou autres services en vue d’une activité ou une propagande
susceptibles (…) d’ébranler l’allégeance des citoyens à l’Etat et aux institutions du peuple marocain. »
C’est la première fois que « l’allégeance », un terme ayant
une dimension à la fois politique et religieuse au Maroc, est utilisée
pour réglementer des questions proprement juridiques. Ce mélange des
genres peut véhiculer de grandes ambiguïtés, selon les détracteurs du
projet. Que signifie par exemple la formule « ébranler l’allégeance des citoyens à l’Etat et aux institutions » ?
En l’absence d’une réponse rationnelle, c’est une justice connue pour
son manque d’indépendance qui sera appelée, en vertu de ce nouveau
texte, à « juger » si telle personne ou telle association a« ébranlé » (ou non) l’allégeance des citoyens à l’Etat et à ses institutions…
Autre disposition controversée : l’article 219. Il prévoit une peine d’un an à cinq ans pour « celui qui aura injurié ou moqué les religions, Dieu et les prophètes (…) lors de meetings, de rassemblements ou par le biais d’écrits, dessins, caricatures, chants, comédie ou mimes. » Si le terme « injure »,
utilisé par le texte juridique, a au moins le mérite de la clarté, la
moquerie, elle, relève plutôt de la liberté d’expression. Sa répression
peut donc générer des abus au cours des procès liés aux délits
d’opinion.
Articles « intouchables »
Sur le plan social, la présence de la religion dans la vie
quotidienne est, on le sait, un aspect caractéristique des sociétés
arabo-musulmanes. La norme religieuse y régente les rapports sociaux,
s’insinue dans la loi et détermine dans une large mesure les
comportements sociaux. A commencer par la question de la « liberté de croyance ». Les Marocains étant TOUS supposés de bons Musulmans, « ébranler »
leur foi en vue de les convertir à une autre religion est puni de six
mois à deux ans de prison. Sur ce plan-là, des changements très
attendus, visant à limiter les ambiguïtés du texte, auraient pu être
apportés par le nouveau projet de code pénal.
Idem pour le fameux article 222 sur la rupture publique du jeûne
pendant le mois de ramadan. Il prévoit, faut-il le rappeler, une peine
d’un mois à un an contre quiconque, « connu pour être de confession musulmane », rompt publiquement le jeûne pendant le mois sacré. Là aussi les questions fusent : que signifie la formule « connu pour être de confession musulmane » ?
Connu par qui ? Qui est habilité à « certifier » qu’untel est
musulman ? La justice ? La famille ? Les proches ? Au Maroc, si la loi
interdit la vente de boissons alcoolisées aux musulmans, c’est « l’hypocrisie sociale »
qui l’emporte toujours compte tenu des enjeux financiers que la
commercialisation de ces boissons véhicule, les Marocains étant de gros
consommateurs de vins et de bières.
Il n’en demeure pas moins que pendant les fêtes religieuses et au
cours de tout le mois de ramadan, cette loi s’applique de manière
stricte. Mais là aussi, l’hypocrisie sociale n’est pas bien loin : dans
les restaurants, le « serveur » ou le patron de l’établissement
déterminent, selon le faciès, qui est « Marocain musulman » et s’il sera
donc servi ou non.
Légalisation des « crimes d’honneur »
L’un des articles les plus controversés de ce nouveau projet reste
sans doute le 418. Il indique que des circonstances atténuantes doivent
être prévues pour les crimes commis par l’un des époux lorsqu’il
surprend son conjoint en flagrant crime d’adultère. Pour la plupart des
observateurs, cette « nouveauté » apportée par le projet de code pénal
est, tout simplement, une régression qui légalise les « crimes d’honneur ».
Du reste, l’essentiel de la réglementation relative aux libertés
individuelles a été maintenu, ce qui peut être considéré comme une
déception : les relations sexuelles en dehors du mariage sont toujours
punies d’un mois à trois mois de prison, l’homosexualité de six mois à
trois ans, etc. Autre déception, le maintien de la peine de mort. Alors
que la Constitution révisée en 2011, dans le sillage des printemps
arabes, reconnaît explicitement « le droit à la vie », l’adaptation de la loi marocaine à cette réforme de la charte fondamentale n’est visiblement pas à l’ordre du jour.
En libre consultation sur le site Internet du ministère de la justice
marocain, ce projet de loi fait l’objet de débats passionnés dans les
réseaux sociaux, entre laïcs et islamistes notamment. Mais il brille par
son absence dans les médias publics, contrôlés par l’Etat et dont les
directeurs sont nommés par le… commandeur des croyants.
Omar Brouksy est journaliste indépendant et universitaire,
auteur de « Mohammed VI derrière les masques. Le fils de notre ami », Ed
Nouveau Monde, Paris, 2014.
Source : Le Monde
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