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lundi 13 avril 2015

HRW dénonce la guerre du gouvernement contre des ONGs marocaines



Les autorités marocaines s’obstinent à entraver les activités d’une importante organisation indépendante de défense des droits humains, malgré deux décisions judiciaires statuant sur l’illégalité d’interdictions de réunions prévues par cette organisation, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui.


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Outre ces interdictions, des représentants du ministère de l’Intérieur ont empêché plusieurs sections locales de l’Association Marocaine des Droits Humains (AMDH) de notifier l’administration locale du renouvellement de  leur comité directeur afin de se conformer à la loi. Les autorités ont également averti l’association qu’elle se verrait retirer son statut d’« utilité publique » sous prétexte qu’elle opère comme une « entité politique s’opposant aux institutions de l’État ». Le 15 février, la police s’est introduite de force dans les locaux du siège national de l’association, a détenu une équipe de télévision française présente sur les lieux et l’a expulsée du pays.

« Depuis longtemps, les dires du gouvernement qui prétend simplement demander à l’AMDH de respecter la loi et les procédures établies manquent de crédibilité », a indiqué Sarah Leah Whitson, directrice de la division Moyen Orient et Afrique du Nord de Human Rights Watch. « Les manœuvres administratives, les avertissements et les interdictions du gouvernement marocain à l’encontre de l’AMDH semblent avoir comme seule visée celle d’entraver et de miner ses activités. »


Le 21 novembre 2014, le tribunal administratif de Rabat a statué  que l’interdiction d’une réunion organisée par l’AMDH dans un lieu public violait la législation nationale. Il a notamment cité le droit à la liberté de rassemblement garantie par les traités internationaux et la constitution marocaine. Le même tribunal s’est par ailleurs prononcé dans une autre affaire le 16 janvier 2015, parvenant à une conclusion similaire.
Les autorités ont interdit maintes réunions organisées par l’AMDH et par d’autres groupes de défense des droits humains, depuis le mois de juillet. C’est à cette date que le ministre de l’Intérieur Mohamed Hassad a accusé, sans les nommer, des organisations de défense des droits humains de faire des allégations « infondées » concernant des exactions commises par les forces de sécurité, d’une manière qui pourrait nuire à l’image et à la sécurité du pays.
Le personnel de l’AMDH a expliqué à Human Rights Watch que les autorités se sont opposées à plus de 60 de leurs réunions dans le pays depuis le mois de juillet, en faisant en sorte que les lieux étaient indisponibles le jour prévu de l’événement. Les rares fois où elles ont justifié leurs mesures par écrit, elles arguaient que l’association avait manqué à son obligation de fournir à l’administration une déclaration préalable selon les procédures prévues par la loi. Les événements interdits étaient soit des réunions internes soit des événements ouverts au public, certains se tenant dans des locaux privés, d’autres dans des installations publiques.
Les autorités ont également fait obstacle à certaines rencontres organisées par d’autres associations actives de défense des droits humains et de la liberté des médias, comme la Ligue marocaine pour la défense des droits de l’homme, Freedom Now, Adala (« Justice »), ainsi qu’à une conférence organisée par la Fondation allemande Friedrich Naumann. Ces mesures bloquantes visaient en premier lieu l’AMDH, fondée en 1979 et qui compte aujourd’hui 97 sections locales dans le pays.
La loi marocaine de 1958 sur les rassemblements publics, telle qu’amendée en 2002, ne contraint pas les associations à obtenir auprès des autorités une autorisation de se réunir en public. Toutefois, l’article 3 oblige certains types d’association à prévenir les autorités. L’article dispense expressément de cette obligation de notification les « réunions des associations et groupements légalement constitués ayant un objet spécifiquement culturel, artistique ou sportif, ainsi que les réunions des associations et des œuvres d’assistance ou de bienfaisance ».
Abdelkhalek Benzekri, directeur des relations internationales de l’AMDH, a précisé à Human Rights Watch que ni son bureau central à Rabat ni ses sections locales n’ont jamais informé les autorités préalablement à leurs manifestations publiques ou privées, dans la mesure où l’AMDH a toujours considéré que son statut lui permettait de prétendre à l’exemption, au titre de l’article 3 de la loi, une interprétation que le tribunal administratif défend désormais. S’il est rarement arrivé qu’une section locale prévienne les autorités de la tenue d’une réunion, dans la majorité des cas, l’AMDH convenait simplement des modalités d’utilisation des locaux avec leurs responsables, a affirmé Benzekri.
Ces arrangements ne posaient généralement aucun problème jusqu’au mois de juillet, date à laquelle les autorités ont commencé à intervenir pour empêcher la tenue de quasiment tous les événements organisés par l’AMDH dans des lieux autres que ses bureaux, a indiqué Abdelkhalek Benzekri. Depuis lors, l’AMDH a généralement continué à ne pas prévenir les autorités.
Les autorités marocaines ont démenti avoir interdit quelconque réunion de groupes de défense des droits humains. En réponse au communiqué de presse de Human Rights Watch daté du 7 novembre 2014 et qui critiquait les interdictions des rassemblements publics, le gouvernement a cité le nombre élevé de réunions publiques que des associations avaient organisées sans incident. Les autorités agissent « dans le plus grand respect des dispositions de la loi en vigueur et peuvent interdire des réunions ou des rassemblements dans les cas très exceptionnels où elles n’ont pas été prévenues conformément à la législation », a indiqué Mahjoub al-Haiba, Délégué interministériel aux droits de l’homme, dans un courrier daté du 14 novembre.
Majdoline Halimi, membre du Bureau des libertés publiques du ministère de l’Intérieur que Human Rights Watch a rencontrée à Rabat le 30 janvier, a expliqué que « le Maroc compte 118 000 associations dont 5 150 œuvrent dans le domaine des droits humains ». Elle a ajouté qu’en 2014, ces associations ont organisé 1 391 448 activités sans entrave, précisant que « seulement 60 activités ont été interdites pour des raisons d’indisponibilité de telle ou telle salle dans 52 cas, suite à des travaux de rénovation ou autres, et de non-respect des procédures dans les 8 autres cas ».
Dans une lettre adressée à Human Rights Watch le 19 janvier, Mahjoub Al-Haiba a indiqué que la loi sur les rassemblements publics exige un préavis des organisateurs. Toutefois, sa réponse a omis de prendre en compte l’article 3 dispensant certaines associations de cette obligation et les deux récentes décisions rendues par le tribunal administratif de Rabat, stipulant que l’AMDH fait partie de ces associations.
« Faire valoir le fait que des milliers d’événements sont librement organisés par des associations marocaines ne peut pas occulter les efforts concertés du gouvernement visant à entraver les activités de l’AMDH, l’un des groupes marocains les mieux établis et les plus critiques à l’égard des autorités », a conclu Sarah Leah Whitson.

Les affaires judiciaires et restrictions imposées à l’AMDH et à d’autres groupes sont détaillées ci-dessous.

-  Affaires judiciaires citant le respect des principes de liberté de rassemblement
Les interdictions de réunion pesant sur l’AMDH depuis 2014 suivent habituellement trois scénarios, nous a expliqué Abdelkhalek Benzekri. Dans le premier, les responsables des lieux acceptent de louer leur salle, puis annulent par la suite leur engagement sans justification écrite. Dans le deuxième scénario, ils informent les organisateurs de l’AMDH qu’ils ne pourront pas utiliser leur salle sans obtenir au préalable une autorisation officielle, malgré qu’il n’y ait aucune obligation de le faire. Enfin, dans le troisième scénario, les organisateurs de l’AMDH réservent une salle, mais une fois sur les lieux, l’accès est physiquement bloqué par le cadenassage des portes ou par la présence de la police.
Selon l’AMDH, les autorités ont remis un avis d’interdiction dans seulement quelques-unes des 60 réunions citées par l’association. Dans l’un des avis, le bacha, un représentant local du ministère de l’Intérieur de la ville d’Imzouren, informe la section locale de l’AMDH que le débat sur la démocratie et les droits humains qu’elle souhaite organiser dans le complexe municipal le 1er novembre est interdit pour des « raisons de sécurité » non précisées. Dans un autre avis, le conseiller municipal de Madiq, près de la ville de Fnadeq, informe par écrit le président de la section locale de l’AMDH qu’elle ne pourra pas utiliser le Centre culturel le 28 mars puisqu’elle n’a pas averti les autorités locales de manière conforme à la loi.
C’est un avis d’interdiction signé par le gouverneur de Rabat-Salé-Zemmour-Zaïr, empêchant la tenue d’une conférence publique sur les médias et la démocratie les 27 et le 28 septembre dans la Librairie nationale de Rabat, qui incitera l’AMDH à poursuivre en justice le gouverneur, devant le tribunal administratif de première instance de Rabat. L’AMDH a argué que le gouverneur a illégalement interdit l’événement au motif que les organisateurs n’avaient pas suivi les procédures légales prévues par la loi sur les rassemblements publics.
Dans une autre affaire portée devant le même tribunal, l’AMDH a déposé une plainte pour inexécution de contrat contre le ministère de la Jeunesse et des Sports, qui a fait cadenasser le Centre Bouhlal à Rabat le jour où l’AMDH l’avait réservé, au mois de septembre. Le directeur du Centre a expliqué à l’huissier dépêché par l’AMDH que l’interdiction d’accès émanait des autorités locales, comme l’a relevé le tribunal.
Le 21 novembre, le tribunal administratif de Rabat a statué  en faveur de l’AMDH dans l’affaire contre le gouverneur. Il a rejeté tous les arguments clés de l’État partie, articulés autour du prétendu non-respect des procédures d’avertissement prévues à l’article 3 de la loi sur les rassemblements publics.
Le  tribunal a statué qu’en tant qu’association à vocation « culturelle », l’AMDH était dispensée d’avertir les autorités de la tenue de sa conférence sur les médias et la démocratie, et que cette dispense s’appliquait indépendamment du lieu du l’événement. Le tribunal a également estimé que l’événement en question était cohérent avec les principes directeurs de l’AMDH énoncés dans sa charte. Le tribunal a ordonné à l’État d’indemniser l’association d’un montant de 100 000 dirhams (10 500 USD) pour « préjudice moral ».
Dans la deuxième affaire contre le ministère de la Jeunesse et des Sports, le Tribunal administratif de Rabat a validé ces trois points le 16 janvier, concluant que les missions de « l’AMDH sensibilisent les personnes à la question des droits humains et contribuent à leur promotion et à leur défense. De facto, elle a le droit d’organiser ses activités où elle le souhaite, sous réserve qu’elle n’enfreigne pas l’ordre public qui n’était a priori ni menacé ni entravé si un séminaire de formation devait être organisé au Centre Bouhlal. »
Le tribunal a ordonné à l’État d’indemniser l’AMDH d’un montant de 50 000 dirhams (10 500 USD) pour « préjudice moral ».
Dans la première affaire, le jugement évoque la protection de la liberté de rassemblement prévue par la Constitution marocaine, la Déclaration universelle des droits de l’homme (article 20) et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (article 21) auquel adhère le Maroc.
L’État a fait appel des deux jugements auprès de la Cour d’appel administrative où les deux affaires sont en instance.

-  Autres groupes visés par des interdictions de réunion
Les autorités ont interdit la tenue d’événements organisés par d’autres groupes de défense des droits, avant et depuis les décisions rendues par le tribunal administratif.
Par exemple, selon Adala, une association qui défend l’équité des procès et l’indépendance judiciaire, les autorités ont empêché le déroulement d’un séminaire en collaboration avec la Fondation allemande Heinrich Bőll, prévu le 12 décembre à l’hôtel Ibis, à Rabat. Le séminaire s’intitulait « L’Internet  entre le respect de la vie privée et la liberté d’expression : le droit au respect de la vie privée à l’ère du numérique ». Lorsque les organisateurs ont essayé de transférer l’événement au Goethe Institut, un local associé à l’ambassade allemande, les autorités marocaines auraient convaincu l’ambassade de s’y opposer pour des raisons de sécurité, , contraignant les organisateurs à déplacer l’événement dans les modestes locaux de l’association, selon un communiqué d’Adala daté du 15 décembre.
Les organisateurs d’une conférence sur invitation seulement, avec pour thématique les médias et la liberté en Afrique du Nord, organisée par la Fondation allemande Friedrich Naumann les 24 et 25 janvier à l’hôtel Tour Hassan à Rabat, ont dû déplacer l’événement à la dernière minute, dans le siège de l’AMDH. L’un des organisateurs, Maâti Monjib, a indiqué à Human Rights Watch que l’hôtel, qui accueille régulièrement des conférences tenues par des organisations non gouvernementales, avait consenti à louer la salle sous réserve qu’une autorisation écrite du gouvernorat lui soit remise. Or, d’une part la loi ne l’exige pas et d’autre part le gouvernorat ne l’a pas accordée.

- Autres restrictions du gouvernement imposées à l’AMDH
Les autorités locales se livrent à des manœuvres administratives pour empêcher 16 sections locales de l’AMDH de se conformer à la loi, a précisé Abdelkhalek Benzekri. L’article 5 de la loi sur les associations de 1958 exige des associations qu’elles préviennent l’administration locale par écrit de tout changement relatif à leur comité exécutif ou à leur charte, en contrepartie d’un récépissé. Sans présentation de ce récépissé, elles s’exposent à des restrictions, telles que l’exclusion de leur participation à des événements et des programmes de subvention de la municipalité.
Abdelkhalek Benzekri a indiqué à Human Rights Watch que 10 municipalités avaient refusé d’accepter les documents remis par les sections locales de l’AMDH et que 6 autres les avaient acceptés en refusant toutefois de remettre un récépissé.
Le gouvernorat de Rabat-Salé-Zemmour-Zaïr a par ailleurs menacé l’AMDH de lui retirer son statut d’association « d’utilité publique », ce qui la priverait de certains avantages financiers et du droit à participer à des actions en justice en qualité de « partie civile », au titre de l’article 7 du Code de procédure pénale.
Dans une lettre datée du 17 décembre, le gouverneur, également représentant du ministère de l’Intérieur, a averti l’AMDH qu’il pourrait lui retirer son statut d’association d’utilité publique au motif qu’elle prend position, agit d’une manière qui déroge aux principes directeurs énoncés dans sa charte et opère plutôt comme une « entité politique opposée aux institutions constitutionnelles de l’État ». L’AMDH a rendu publique la lettre du gouverneur.
L’association y est accusée de « répandre des allégations infondées » et de porter outrage aux « intérêts des institutions de l’État » et à « l’intégrité territoriale » du Maroc, en référence à la revendication du Maroc sur le Sahara occidental, dans le « but de perturber l’ordre public ». La lettre avertit l’AMDH qu’elle doit respecter les principes directeurs de sa charte dans un délai de trois mois, au risque de perdre son statut « d’utilité publique », en vertu de l’article 9 de la Loi sur les associations, telle qu’amendée en 2005.
Le délai de trois mois s’est récemment écoulé sans que l’administration de Rabat ne se manifeste sur la question.
Le 15 février, des policiers se sont introduits de force et sans mandat dans les locaux du siège national de l’AMDH. Quand Rabia Bouzidi, membre du comité administratif de l’AMDH, a refusé de leur remettre les clés du bureau, ils l’ont bousculée et fait tomber, a-t-elle expliqué à Human Rights Watch. La police a détenu deux journalistes de la télévision française qui se trouvaient alors dans les locaux, et s’est emparée de leur matériel. Les autorités ont confisqué leur équipement et expulsé les journalistes du pays le lendemain, arguant qu’ils filmaient au Maroc sans autorisation. Les journalistes, qui préparaient un documentaire pour France 3, ont déclaré qu’ils avaient préalablement fait une demande d’autorisation auprès des autorités marocaines, restée sans réponse.
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