Par Saïd, L’ESSENTIEL, 17/4/2015
Depuis plusieurs années, à l'abri des portes closes du Conseil de sécurité de l'ONU, la France use du pouvoir de dissuasion que lui confère son droit de veto pour tenir les Nations unies à l'écart des questions touchant au respect des droits de l'homme dans le territoire annexé par son allié marocain en 1975.
Faute d'un mandat approprié, la mission de l'ONU au Sahara
Occidental (Minurso) est restée aveugle tout au long des événements qui
ont opposé le mois dernier les forces de l'ordre marocaines aux
militants sahraouis – les troubles les plus graves depuis le
cessez-le-feu de 1991. A cet effet, le Fond d'aide aux étudiants et
Universitaires internationaux, une organisation estudiantine
norvégienne, mène depuis lundi dernier une campagne contre l’occupation
du Sahara occidental. Le SAIH place sur le même pied d’égalité le roi
Mohamed VI et le président François Hollande, la France était le
principal soutien du Maroc dans la politique colonialiste. Pour attirer
l’attention de l’opinion internationale au sujet de ce qui se passe au
Sahara Occidental, le Fond d’aide aux étudiants et universitaires
internationaux a choisi comme affiche de sa campagne, une caricature du
Président français François Hollande et Mohammed VI contemplant avec
fierté le désert du Sahara Occidental occupé par le Maroc. Un choix
explique l’organisation qui est dicté par « le rôle joué par la France
dans ce conflit ». Le président de SAIH, Jørn Wichne Pedersen estime
que « beaucoup de personnes pensent que la période coloniale est
terminée, et n’ont pas entendu parler du Sahara Occidental, la dernière
colonie d’Afrique. Le Maroc occupe le Sahara Occidental depuis 40 ans,
même si les Nations unies et la communauté internationale reconnaissent
le droit du peuple Sahraoui à l’autodétermination ».
A l’occasion de
cette campagne, le Fond d’aide aux étudiants et Universitaires
internationaux a publié un rapport détaillé sur les dernières
violations des droits de l’homme commises contre la population sahraouie
dans les territoires occupés de la dernière colonie en Afrique. Dans ce
rapport de SAIH, intitulé « Agir dans l’impunité », l’organisation a
relevé un total de 256 violations des droits de l’Homme commises au
Sahara Occidental durant l’année 2014.
Droits de l’Homme : la France indifférente
Les derniers événements qui ont embrasé El-Ayoun, la capitale du
Sahara occidental, devaient convaincre la diplomatie française de
changer de cap sur un dossier peu connu, mais qui embarrasse jusqu'aux
plus aguerris de ses diplomates.
Si ces
événements s'étaient déroulés en République démocratique du Congo, en
Haïti ou au Soudan, des experts en droits de l'homme de l'ONU auraient
immédiatement été dépêchés sur place pour établir une version objective
des événements et informer le Conseil de sécurité, contribuant ainsi à
apaiser les tensions. La présence d'observateurs de l'ONU aurait aussi
pu s'avérer dissuasive pour les forces de sécurité marocaines qui ont à
plusieurs reprises, selon une enquête du quotidien français Le Monde,
passé à tabac des personnes arrêtées à la suite des troubles. Toutes les
missions de maintien de la paix de l'ONU établies depuis 1991 disposent
de ces mécanismes, qui reposent sur le constat que toute paix durable
s'appuie sur le respect des droits de l'homme. Partout ailleurs, du
Darfour au Timor Leste, en passant par le Kosovo, la France soutient
pleinement l'intégration croissante des questions touchant aux droits de
l'homme dans les missions de l'ONU. Il n'y a que sur le dossier
sahraoui que Paris s'arc-boute, persistant à défendre une anomalie
historique.
L'ONU embourbée par la France
Le renouvellement prochain du mandat de la Minurso offre à la
diplomatie française une chance de corriger la situation. Il est temps
que Paris reconnaisse que, sans un strict respect des droits des
Sahraouis, garanti par l'ONU, les deux camps continueront à se livrer à
des campagnes de désinformation qui ne font que compliquer les efforts
du Conseil de sécurité en faveur d'une solution politique. Il est à
signaler que le mandat de l'ONU a progressivement évolué vers
l'assistance aux réfugiés, l'aide au développement économique et la
désactivation des milliers de mines posées autour du mur de sable, qui
continuent à faire des victimes chaque année. Il est d'ailleurs à noter
que la Minurso est la seule mission de l'ONU au monde dont le mandat ne
comprend pas de volet sur les droits de l'Homme. L'ONU est donc
incapable d'agir en cas de violations de part et d'autre, comme en 2013
lorsque six militants sahraouis avaient accusé la police marocaine de
torture. Malgré de lourdes critiques à l'intérieur de l'ONU sur ce
point, la possibilité d'une introduction des droits de l'Homme dans la
mission de la Minurso est bloquée par la France et son droit de veto,
pour le compte de son allié marocain. Comme le mandat de la Minurso
contient toujours l'objectif d'organiser un référendum
d'autodétermination pour les Sahraouis, chaque nouvelle nomination au
sein de l'organigramme de l'instance onusienne est l'occasion pour le
Maroc d'attirer l'attention sur sa cause en accusant l'ONU et ses
envoyés d'être «partiaux» et «pro-Polisario». Une manière comme une
autre de relancer la question et d'échanger quelques piques avec Alger.
L’envoyé spécial du Secrétaire général des Nations Unies, Christopher
Ross, est d’ailleurs au centre d’un véritable jeu de poker-menteur. La
presse marocaine a fait état d’un «ras-le-bol» de l’envoyé, qui
multiplie les rencontres bilatérales depuis de nombreux mois sans
parvenir à fluidifier le dialogue entre les différentes parties. Des
rumeurs de démission ont même été lancées par la presse fidèle à Rabat,
immédiatement démenties par la presse sahraouie, accusant au passage le
Maroc de bloquer des négociations qui seraient «en bonne voie».
La France craint pour ses intérêts au Maroc
Il est à rappeler que la querelle diplomatique entre le Maroc et la
France de février 2014, née de plaintes déposées à Paris contre un haut
responsable marocain, s’est exacerbée, au point d’amener François
Hollande à contacter le roi Mohammed VI afin d’apporter des «
clarifications ». Le Maroc, un proche allié de la France, est monté au
créneau depuis l’annonce du dépôt, par une ONG, de deux plaintes pour «
complicité de torture » contre le patron de son contre-espionnage,
Abdellatif Hammouchi. Le royaume est en particulier furieux contre la
descente effectuée par sept policiers à la résidence de son ambassadeur
pour notifier à M. Hammouchi une convocation émanant d’un juge
d’instruction. Il reproche notamment aux autorités françaises d’avoir
ignoré les canaux diplomatiques. Dans un communiqué, le Quai d’Orsay a
tenté d’apaiser la tension, évoquant un «incident regrettable » et
promettant que « la lumière » serait faite. Mais le Maroc a signifié
qu’il jugeait cette démarche insuffisante en décidant unilatéralement du
« report » d’une visite de Nicolas Hulot, « envoyé spécial du président
français pour la planète », prévue lundi et mardi.
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