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mardi 14 avril 2015

"Génocide" : Des responsables marocains poursuivis pour "génocide". Un Français fait part de témoignages de disparus.



 Des responsables marocains poursuivis pour "génocide". Un Français fait part de témoignages de disparus
Des responsables marocains poursuivis pour "génocide". Un Français fait part de témoignages de disparus

Un juge espagnol veut poursuivre 11 Marocains pour « génocide ». Un militant français fait état des témoignages qu’il a recueillis auprès de Sahraouis

En juin 2013, une équipe scientifique espagnole en train d'exhumer les premiers corps de civils Sahraouis assassinés par des militaires marocains en février 1976.
En juin 2013, une équipe scientifique espagnole en train d'exhumer les premiers corps de civils Sahraouis assassinés par des militaires marocains en février 1976.

Après la mise en cause ces derniers mois de plusieurs responsables et policiers marocains par la justice française, c’est la justice espagnole qui mène l’offensive contre le système répressif initié depuis 40 ans contre les Sahraouis. Pablo Ruz, juge à l’Audience nationale (la plus haute instance pénale d’Espagne), vient en effet de demander le renvoi de onze fonctionnaires, policiers et gendarmes, devant un tribunal pour « génocide » contre le peuple sahraoui entre 1975 et 1991. Une période noire de l’histoire de la colonisation du Sahara occidental par le royaume dont les auteurs n’ont jamais été inquiétés jusqu’à présent. Jean-François Debargue, un Français, actif dans l’humanitaire auprès des réfugiés sahraouis d’Algérie, éclaire cette actualité des témoignages qu’il a recueillis depuis des années sur place.
Les onze responsables des forces de l’ordre marocaines poursuivies par le juge espagnol comparaitront-ils un jour devant un tribunal espagnol ? C’est très peu probable si l’on se fie au lobbying puissant qu’exerce le Maroc pour éviter à tout prix que les tortionnaires et autres bourreaux soient poursuivis, qu’ils aient commis leur crime dans le passé ou récemment, comme cela s’est passé ces dernières semaines en France avec la signature d’un nouvel accord de coopération judiciaire taillé sur mesure pour assurer une immunité aux agents du pouvoir du Makhzen.
La réaction du Maroc, dans un communiqué publié le 11 avril, confirme d’ailleurs cette analyse : le Maroc « réitère son refus de principe de toute poursuite judiciaire contre des citoyens marocains à l’étranger pour des faits supposés avoir été commis sur le territoire national et qui demeurent du ressort de la justice marocaine« .

Disparition de plus de 500 Sahraouis

Mais, quoiqu’il en soit, la décision du juge espagnol Pablo Ruz sera une étape essentielle dans le dossier de la répression qu’exerce le Makhzen depuis 40 ans contre les civils Sahraouis. L’enquête a démarré en 2007, menée au départ par le célèbre juge Baltasar Garzon après la plainte déposée par une association et des familles de victimes suite à la « disparition » de plus de 500 Sahraouis depuis la Marche Verte.
Il faut préciser que de nombreux Sahraouis, victimes de disparitions forcées ou d’exécutions extra-judiciaires, avaient la nationalité espagnole.

C’est le cas de cette première découverte :
En juin 2013, une équipe scientifique espagnole avait exhumé les huit premiers corps dans la région d’Amgala puis avait procédé à des analyses qui lui avaient permis de conclure à leur assassinat en février 1976 par des militaires marocains. On peut lire deux articles publiés en France sur cette découverte et le rapport établi par les scientifiques.
Il y a eu d’autres découvertes macabres depuis. Les investigations se poursuivent sur le terrain.
Dans son arrêt, le juge espagnol lance un mandat d’arrêt contre sept suspects déjà mis en examen et délivre quatre commissions rogatoires contre les quatre autres, pour que les poursuites engagées contre elles leur soient notifiées. On peut aisément penser que cette nouvelle offensive d’une justice étrangère au Maroc va se transformer très vite en affaire politique, entre l’ancienne colonie du Sahara et le royaume chérifien.
C’est dans ce contexte que le témoignage -publié sans modification- de Jean-François Debargue, que Nouvellesdusahara.fr a déjà présenté en juillet 2014, sur les récits qu’il a pu recueillir depuis des années auprès de nombreux Sahraouis est particulièrement intéressant car il éclaire cette phase de l’histoire d’un conflit très mal connu.

Une justice éclairant enfin un sombre passé ?
A gauche,Sidi Mohamed Daddach. A droite, Dafa Ali Bachir. Le 26 mai 2009 au camp d’El Ayoun. Photo de JF Debargue
A gauche,Sidi Mohamed Daddach. A droite, Dafa Ali Bachir. Le 26 mai 2009 au camp d’El Ayoun. Photo de JF Debargue

« Nos deux grand-pères étaient frères » me dit en souriant Bassiri, vieil historien aveugle du camp de réfugiés sahraoui d’El Ayoun. Il concluait ainsi notre conversation retraçant la naissance du premier mouvement de libération, précurseur du Front Polisario et l’enlèvement de son cousin, toujours disparu, par les espagnols en juin 1970, lors d’une manifestation d’indépendance.
C’est par lui et des témoignages directs de Sidi Mohamed Daddach, « Mandela » d’Afrique du Nord, emprisonné pendant 27 ans, de Dafa Ali Bachir et de sa femme Ghalia Djimi et de nombreux témoignages anonymes que j’entendrai parler d’arrestations, de disparitions forcées et de tortures, notamment dans la période précédant le cessez le feu, de 1975 à 1991. Parmi les innombrables destins brisés durant ces années, j’évoquerai ce témoignage de Dafa.

« Un véritable guet-apens »
« Le 20 novembre 1987 une visite importante de l’ONU et de l’OUA devait avoir lieu au Sahara Occidental. Pour pouvoir expliquer leurs revendications, les résistants sahraouis ont dû alors quelque peu sortir de la clandestinité, se découvrir pour la circonstance, en un mot: « s’exposer ». De nombreuses réunions ont lieu rapidement, notamment pour demander des nouvelles de prisonniers disparus depuis 1975.
Dès le 18, de nombreuses arrestations ont lieu, la police marocaine favorisant la délation de sahraouis pro-marocains.
De plus Hassan II demanda à repousser d’une journée la venue des délégués. Ce fut un véritable « guet-apens » où il fit arrêter un grand nombre de sahraouis venus attendre en vain la délégation. Sans le savoir, l’ONU commençait à servir le jeu et les intérêts du pouvoir marocain.
Dafa est arrêté le 19 novembre à 18 heures et enfermé au centre de police. Celle qui sera sa future femme, Ghalia Djimi (LIRE SON TEMOIGNAGE PARU SUR NOUVELLESDUSAHARA.FR), aujourd’hui vice-présidente de l’ASVDH (Association Sahraouie des victimes des Violations des Droits de l’Homme par l’état marocain) sera arrêtée le lendemain. Comprenant le français, elle entendra pendant un interrogatoire, la consigne de suspendre les arrestations, le temps de la visite de la délégation. Interrogés et torturés pendant plusieurs jours, ils seront transférés à la prison d’Elbir, ancienne base militaire espagnole, dans le but de vider les locaux des prisonniers, le temps de la visite de la commission. Dix-sept femmes y seront enfermées dans une pièce de 4 mètres carrés. Dans une autre pièce à peine plus grande y seront entassés plus de soixante-dix hommes. Serrés, battus, ils resteront treize jours sans manger, buvant l’eau des toilettes, enfermés dans ces réduits. Dafa évoque alors avec émotion Mohamed El Khalil Ayach à côté duquel il se trouvait.

« Vive l’indépendance »…
Entendant sa mère se plaindre dans la pièce des femmes, Mohamed s’insurge et s’indigne à voix haute qu’une femme âgée et innocente ait été arrêtée et emprisonnée en ces lieux. Sorti par les gardiens et sommé par ces derniers de crier : «Vive le roi», il crie : «Vive l’indépendance». Battu et gravement blessé aux reins, il agonisera au bout de deux jours, soutenu par Dafa. Dans l’autre pièce, une vieille femme, sa mère, continuera d’appeler son fils unique, pendant plusieurs jours.
Pendant ce temps, la délégation Onusienne sera «promenée» sur deux routes quasiment désertes attestant de la tranquillité du pays… Après leur départ, on sortira ces hommes et ces femmes malades, blessés, affamés et assoiffés de cet enfer enduré pendant presque deux semaines et dont ils ne pensaient plus sortir vivants. Ramenés à la prison d’El Ayoun, ils seront régulièrement «interrogés» par un groupe de la police spéciale. Dafa y restera enfermé pendant trois ans et trois mois. Une centaine d’hommes et une douzaine de femmes ont alors vécu avec un bandeau en permanence sur les yeux, réveillés toutes les deux heures, frappés par les gardiens, voire attaqués par leurs chiens, sous alimentés et malnutris. Comme d’autres prisonniers Dafa attrapera la tuberculose. Isolé dans une cellule d’1,5 x 4,5 mètres avec d’autres contagieux, à côté de celle des femmes, Dafa peut communiquer avec Ghalia Djimi, lors de l’éloignement des gardiens. Trois de ses compagnons mourront dans cette cellule. Au total sur une centaine d’hommes emprisonnés, quarante-cinq survivront.
En proportion du nombre d’habitants, les « disparitions forcées » au Sahara Occidental durant cette période ont été plus importantes qu’au Chili, sous le régime de Pinochet. Les dictatures ou les régimes totalitaires enterrent des causes qui se doivent d’être, tôt ou tard, exhumées. 
 Malgré des preuves nombreuses et accablantes, l’impunité dont bénéficie le Maroc continuera-t-elle d’étouffer les violations des Droits de l’Homme, les disparitions forcées, la vie sacrifiée d’au moins trois générations de réfugiés dans les camps du Sahara, des arrestations sommaires et des condamnations injustes dans les territoires occupés ?
Cette volonté d’impunité a donné lieu le 31 janvier 2015 à un accord Franco-Marocain donnant priorité au système judiciaire marocain pour enquêter sur tout crime ou délit commis au Maroc, dès lors qu’est potentiellement mis en cause un ressortissant marocain.
Il est à souhaiter que le juge Pablo Ruz et la justice espagnole se saisissent en toute indépendance d’accords politiciens de la recherche de la vérité et du droit, étape pour que puisse se clore cette trop longue décolonisation dont Felipe Gonzalez disait en novembre 1976 : « Nous sommes honteux, non pas que le gouvernement ait fait une mauvaise colonisation, mais une pire décolonisation ».
Jean-François Debargue, le 11 avril 2015

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