Des
insultes et des menaces, le journaliste israélien d'Haaretz, Gideon Levy,
en a reçu beaucoup en trente ans d'une carrière consacrée à la couverture de la
politique israélienne
dans les territoires palestiniens. Jamais comme durant l'opération « Bordure
protectrice ».
Le 14
juillet, interviewé par une télévision dans les rues d'Ashkelon, ville
méridionale d'Israël, le journaliste
de 61 ans est pris à partie par un habitant : « Traître, va vivre avec le Hamas !
», lui hurle l'homme, lui jetant un billet à la figure. L'article qu'il a
écrit le matin même, « Le mal que font les pilotes », lui a valu une pluie de
menaces par téléphone et sur les réseaux
sociaux. « Ils sont la crème de la jeunesse israélienne, (…) ils
perpètrent les actes les plus mauvais, les plus brutaux et les plus méprisables.
(…) Ils sont assis dans leur cockpit et appuient sur le bouton de leur joystick,
jeu de guerre », a-t-il écrit. Dans la rue, où tous reconnaissent son
imposante carrure et son visage tanné par le soleil, les regards se font mauvais
et les insultes pleuvent.
«
J'ai écrit le même article pendant l'opération "Plomb durci" (2008-2009), cela a
suscité beaucoup de colère, mais rien comparé à ce que je vis en ce moment. L'armée et la sécurité
sont la véritable religion de ce pays. Les gens voudraient qu'on ne critique
qu'une fois que l'opération est finie »,
souligne-t-il. Il ne se déplace plus sans un garde du corps. Certains lui
prédisent le même sort qu'Itzhak Rabin, tué le 4 novembre 1995 lors d'un
discours public à Tel-Aviv par Yigal Amir, un extrémiste de droite, opposé aux
accords d'Oslo qu'il avait signés avec les Palestiniens en
1993.
« LA
SOCIÉTÉ ISRAÉLIENNE EST MALADE »
Gideon
Levy n'est pas le seul à subir des menaces, à la
limite de l'agression physique. « Les gens
de gauche ont peur d'aller aux
manifestations, d'être frappés. Le
mot smolani ("gauchiste") est devenu la pire des insultes. On ne peut exprimer aucune
sympathie ou empathie pour les Palestiniens sans être menacé. Les vrais
racistes eux ne se cachent plus. » Le symptôme, selon lui, d'années
d'expansion de l'extrême droite, du racisme et de l'incitation à la haine en
Israël. « La société israélienne est malade. Du sud du pays à Tel-Aviv, les
images de Gaza sont reçues avec indifférence, voire par des expressions de joie.
Il suffit de regarder les réseaux
sociaux et les appels à "les brûler tous". Je
n'avais jamais vu ça », explique-t-il. « Finalement, le mot "fascisme",
que j'essaie d'utiliser le moins
possible, a mérité sa place dans la société israélienne », écrivait-il, le
19 juillet.
Mais
l'homme est décidé à ne pas se taire. Le soutien que
lui apporte la direction de son journal, malgré le désabonnement de lecteurs
outrés et la colère de certains collègues, est inestimable à ses yeux. « Je crois
sincèrement en ce que je pense, parfois je me trouve même trop modéré. Je
regarde Al-Jazira en anglais et je deviens plus radical encore »,
confie-t-il. Celui qui fut pendant quatre ans à la fin des années soixante-dix,
le conseiller et
porte-parole de Shimon Pérès, alors au parti travailliste, n'était pas mû par
l'idéologie, le jour où il a été envoyé par le quotidien Haaretz couvrir la première
intifada (1987-1993). « J'ai peu à peu réalisé que l'occupation est le plus
grand drame d'Israël et que personne ou presque ne la couvre »,
dit-il.
Lire
notre reportage (en édition abonnés) : Paroles d'Israéliens, loin de Gaza
CONDAMNÉ
À OBSERVER LA GUERRE
DEPUIS SON SALON
Beaucoup
le comparent à sa collègue, Amira Hass, qui vit à Ramallah. « Nous sommes
très différents. Elle est très courageuse. Moi, je vis dans ma bulle à Tel-Aviv.
» Depuis son salon, où il est condamné à observer la guerre,
interdit comme tous les journalistes israéliens d'entrer à Gaza depuis
huit ans, il zappe entre les chaînes nationales et internationales, édifié par
la couverture des médias israéliens. «
Ce sont deux mondes parallèles ! Les médias ici ont tellement déshumanisé les
Palestiniens. »
Il
fustige cette opération « plus brutale encore que "Plomb durci"
». « C'est horrible, ça n'a mené à rien. Le gouvernement n'avait aucune
stratégie, aucun objectif clair. Il nous parle de tunnels au lieu de désenclaver Gaza. Ils
ont bombardé des écoles, un marché, la station électrique. Il y a 400 000
réfugiés, dont certains pour la deuxième ou troisième fois. Ils admettent que
plus de 70 % des victimes sont des civils : quelle excuse peut-on trouver à cela ? Ça
ressemble à Damas. »
Le
véritable contexte de cette
guerre, dit-il, a été la fin des négociations de paix en avril, la mise sens
dessus dessous de la Cisjordanie après l'enlèvement de trois jeunes
Israéliens le 12 juin, les obstacles mis à l'accord de réconciliation
interpalestinien et surtout sept ans de siège à Gaza. « Si les Palestiniens
ne lancent pas de roquettes, personne ne parle de Gaza et ne s'en préoccupe.
C'est une cage. Même lors des négociations de paix, ils ne parlent que de la
Cisjordanie », pointe-t-il. « Vraiment, je n'aime pas le Hamas, mais tout
ce qu'il demande c'est que le siège soit levé. »
Pour
lui, seules les pressions de la communauté internationale pourront faire changer la politique
d'Israël. Il n'y a plus personne en face. Le camp de la paix s'est délité depuis
la seconde Intifada et « le mensonge d'Ehoud Barak ». « Il a dit qu'il
n'y avait pas de partenaire pour la paix. Israël a perdu l'espoir et la gauche a
perdu l'espoir. » Gideon Levy lui continue, soutenu par les lettres de ceux
qui le remercient d'être une « lumière
dans la pénombre » ou même de ceux qui, en désaccord avec ses idées, promettent
de « se battre » pour qu'il
puisse toujours s'exprimer.
est-ce Israel qui interdit à ses journalistes d'entrer à Gaza?
RépondreSupprimer