Dans
un monde aux prises avec plusieurs menaces, dont le terrorisme
international, les journalistes ont le devoir d’en informer la
population. C’est, entre autres, l’accès à cette information
cruciale qui aidera les citoyens à faire la part des choses entre les
dangers réels et les fantasmes et donc à prendre les bonnes décisions au
moment opportun. C'est donc l'accès à cette donnée et non sa
dissimulation qui fera de la population la plus solide et la
plus efficace des défenses face aux menaces qui guettent un pays.
Tout ou presque avait commencé le 13 septembre 2013. L’illustre
journaliste espagnol Ignacio Cembrero avait mis sur son blog ''Orilla
Sur'' hébergé sur le site d’El País une vidéo imputée à Al-Qaïda au
Maghreb islamique (AQMI) et où le réseau terroriste fustigeait la
monarchie alaouite et appelait les jeunes marocains à la renverser. Le
spécialiste du Maghreb au quotidien ibérique avait pris la précaution
d’usage dans le traitement journalistique de ce domaine sensible de
préciser dans sa chronique, entre autres, qu’il s’agissait là d’un
document de propagande du groupe terroriste. Le 17 septembre, son ancien
canard avait retiré la vidéo controversée de son blog. Mais, cela
n’avait pas eu l’air de suffire pour calmer la grogne des autorités
marocaines.
Rejet de la plainte d’Abdelilah Benkirane contre le journaliste Ignacio Cembrero
Le 20 décembre, l’islamiste Benkirane avait, au nom de son
gouvernement, porté plainte contre le journaliste espagnol (et son
patron au moment des faits) pour ''apologie du terrorisme''. Une
démarche intervenue plusieurs semaines après l’arrestation, le 17
septembre, du journaliste marocain Ali Anouzla pour avoir mis sur son
site arabophone d’information Lakome un lien menant au blog du
journaliste Cembrero qui hébérgeait la fameuse vidéo d'AQMI. Sa mise en
garde à l’intention de ses lecteurs à l’effet qu’il s’agissait là d’un
document de propagande de réseau terroriste n’avait pas non plus calmé
la colère des autorités ni lui avait épargné une triple et gravissime
accusation: ''apologie'', ''incitation'' et ''aide matérielle'' au
terrorisme. On y reviendra ci-dessous.
Après avoir ouvert une enquête en date du 20 mars 2014, le procureur
de la plus haute instance pénale d'Espagne s’est rendu compte que ni M.
Cembrero ni son patron de l'époque n’avaient commis le moindre délit et a
par conséquent rejeté en date du 17 juin la plainte du chef du
gouvernement marocain. La plainte a donc été définitivement classée!
Quelques semaines après le dépôt de la plainte de M. Benkirane, le
journaliste Une annonce
qui avait alors choqué, du moins attristé plusieurs de ses lecteurs du
Maghreb et d’ailleurs. Le flot des commentaires outrés sur la page du
groupe Facebook qu’il administre, ''Maghreb Information'', et sur
plusieurs pages personnelles a montré sa popularité et le rejet d’une
telle décision. Le 30 avril, M. Cembrero a quitté son journal.
La décision du magistrat de l’Audience nationale (Audiencia Nacional)
n’est pas une surprise puisque ce qu’avait fait le journaliste espagnol
est conforme aux règles de l’art dans le domaine journalistique.
D’ailleurs, de grands médias électroniques en Occident diffusent assez
régulièrement à la télévision et sur leurs sites web des vidéos de
groupes ou réseaux terroristes car cela fait partie du devoir qu’ont les
journalistes d’informer le public des dangers que représentent de tels
groupes extrémistes pour leur sécurité. Les autorités de ces pays sont
de leur côté conscientes du fait qu’une population informée de cette
menace est mieux à même d’y faire face. C’est pourquoi il arrive
régulièrement dans des pays comme les États-Unis, le Royaume-Uni, le
Canada, l’Australie, à nombre d’anciens agents des services secrets et
de responsables de sécurité nationale de participer, aux côtés de
spécialistes universitaires et de journalistes, à l’analyse de vidéos
diffusées sur le web par des groupes terroristes en général et Al-Qaïda
en particulier.
Et Ali Anouzla dans tout cela?
Comme on l’a vu ci-dessus le directeur du site arabophone Lakome, Ali
Anouzla, reste sous le coup de trois chefs d’accusation inappropriées
et absurdes et court donc le risque d’écoper d’une peine de vingt ans de
réclusion criminelle.
Si le journaliste marocain bénéficie depuis le 25 octobre de liberté
provisoire, c’est grâce à la mobilisation de la société civile
marocaine, à la solidarité internationale d’organisations de
professionnels et de défense des droits humains et aux fortes pressions
exercées par le ministère américain des affaires étrangères sur Rabat.
D’ailleurs, Reporters sans frontières en a fait cette année un de ses
"100 héros de l’information" et l’ONG américaine Project on Middle East
Democracy lui a, le 8 mai, décerné (ainsi qu’au directeur du site
francophone de Lakome Aboubakr Jamaï) le "Prix POMED: Leaders pour la
démocratie".
En dépit de ses différentes démarches, son site demeure à ce jour censuré par l’autorité de tutelle, l’ANRT.
Le Maroc ferait mieux de méditer la triple poursuite engagée contre
le journaliste Anouzla à la lumière de la décision du magistrat espagnol
et tirer les conclusions qui s’imposent... C’est dans l’intérêt du
pouvoir en place d’en prendre acte et d’annuler inconditionnellement et
rapidement les charges qu’on lui reproche. Il en va de son image dans le
reste du monde et au pays.
***
Le journaliste espagnol a donc eu sa revanche sur le chef du
gouvernement marocain et sur son ancien patron. Cela dit, la démarche du
pouvoir marocain dans cette affaire est contre-productive. Dans le
monde fluide dans lequel nous vivons, l’information circule à la vitesse
de la lumière. Toute atteinte à la dignité humaine fait le tour du
monde en un laps de temps très court. Quand un régime engloutit des
sommes faramineuses dans sa campagne de relations publiques en Occident,
la dernière chose dont il aurait besoin, c’est de saboter lui-même sa
propre campagne d’image en s’en prenant par exemple à des journalistes.
19 juin 2014
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