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samedi 21 juin 2014

Zakaria Moumni : « Abdellatif Hammouchi craint la justice française »


Par Zakaria Moumni, 16/6/2014


Zakaria Moumni lors d'une rencontre imprévue avec Driss El Yazami, patron de la boutique des "droits de l'homme" du Makhzen (Photo Demain)
Zakaria Moumni lors d’une rencontre imprévue avec Driss El Yazami, patron de la boutique des « droits de l’homme » du Makhzen (Photo Demain)

Nouvelle reculade du Maroc ! 

La plainte pour diffamation déposée en France contre moi a été abandonnée, sans plus d’explication. Comme je l’annonçais en mai dernier, dans une lettre adressée conjointement au roi du Maroc et à Mme Navi Pillay, Haut-Commissaire des Nations unies pour les droits de l’Homme, alors en visite au royaume, M. Abdellatif Hammouchi, chef de la DGST (NDLR : Direction générale de la sûreté du territoire, la police politique du Maroc) marocaine, n’aura jamais le courage de se présenter face à moi, devant la Justice française.
Sur ce dossier à l’origine du différend diplomatique entre le Maroc et la France, le Maroc n’aura cessé de tergiverser, d’improviser et de se contredire. Une diplomatie brouillonne qui montre ses faiblesses et reconnaît implicitement les exactions de certains de ses hauts fonctionnaires.
Suite à mon dépôt de plainte pour « torture » contre le chef de la DGST Abdellatif Hammouchi, prise très au sérieux par la Justice française, le Maroc a d’abord joué le chantage et l’intimidation : convocation de l’ambassadeur de France à Rabat, suspension unilatérale de la coopération judiciaire, puis demande de révision de ces textes violant le principe de justice universelle et pour conséquence, une véritable « prise d’otage » de plus d’une vingtaine de détenus franco-marocains.

Une reculade en forme d’aveu
Le 25 mars, le Maroc riposte à ma plainte déposée un mois au paravant contre le patron de la DGST en saisissant à son tour la Justice française. L’Etat marocain mandate alors des avocats français et marocains en vue de « déclencher des poursuites judiciaires à l’encontre des auteurs de plaintes, mettant en cause de hauts responsables marocains pour des allégations de torture qu’ils savaient inexactes ». Cette même plainte est finalement abandonnée par le ministère de l’Intérieur, apprend-t-on le 9 juin lors de la première audience à Rabat, exactement une semaine après ma lettre adressée au roi. Elle est remplacée par une plainte sur le territoire marocain pour « dénonciations calomnieuses, outrage aux autorités, dol et diffamation publique ». Il faut croire que l’indépendance de la Justice française fait peur !

Paranoia et vision complotiste
Selon le ministère de l’Intérieur marocain, la procédure judiciaire française aurait pour motivation la « déstabilisation des organes de sécurité relevant du ministère de l’Intérieur, notamment la DGST ». La France aurait même télécommandé la grève de la faim des détenus franco-marocains, entend-t-on. Plus ridicules encore, les propos de l’avocat mandaté par le ministère de l’Intérieur marocain, Me Abdelkébir Tabih : la reconnaissance de la double nationalité des plaignants serait un retour de l’époque coloniale. Selon lui, la justice française aurait dû « prendre en compte le fait que ces individus sont Marocains et que par conséquent, elle n’avait nullement le droit d’exercer un contrôle sur la justice marocaine en acceptant leur plainte en France », ajoutant « le temps du protectorat est révolu ». Des propos assez consternants venant d’un professionnel du droit. Il se trouve que la plainte que j’ai déposée au titre de la compétence universelle ne connaît précisément pas de frontières. Il s’agit d’une compétence exercée par un État qui poursuit les auteurs de crimes graves (crimes contre l’humanité, crimes de guerre, torture), quel que soit le lieu où le crime a été commis, et justement sans égard à la nationalité des auteurs ou des victimes.

Improvisation et cafouillages
Cette façon de naviguer à vue, sans jamais anticiper dans les situations de crise, révèle un Etat confus, désordonné dans sa prise de décision. Les plus hauts fonctionnaires montrent dans cette affaire un amateurisme désarmant. Il en est ainsi du ministre Mohand Laenser. Alors ministre de l’Intérieur, ce dernier m’expliquait qu’il était « mandaté par le roi » pour réparer l’injustice dont j’ai été victime et juger les personnes responsables des tortures que j’ai subies. Ce même ministre, aujourd’hui de l’Urbanisme et de l’aménagement du territoire, reconnaîtfinalement que le Maroc ne me rendra pas justice, les personnes mises en cause étant « intouchables ». Il me faudrait, m’explique-t-il, composer avec le conseiller du roi Mounir Majidi, celui-même qui m’avait menacé de mort, sachant – comme m’a expliqué également l’autre émissaire du roi, Adil Belgaid que « même le roi ne peut rien faire face à ces gens-là ». M. Laenser qui a toujours nié me connaître et avoir eu des contacts avec moi (propos tenus dans le quotidien arabophone Akhbar Elyaoum, le 25 mars 2014) s’est finalement rétracté, apprenant l’existence d’enregistrements en ma possession. Il reconnaît finalement m’avoir contacté plusieurs fois (aveux du 8 avril 2014 dans ce même quotidien).
Le Haut-Commissaire des Nations unies pour les droits de l’Homme, Navi Pillay, en visite fin mai au Maroc, a souligné son inquiétude face à l’utilisation de la torture et de mauvais traitements dans le royaume. Le roi lui a assuré qu’il ne pouvait « tolérer la torture », tout en n’excluant pas l’existence au Maroc de « cas isolés ». Je me réjouis de cette reconnaissance et faisais part de mon espoir au roi dans ma lettre du 2 juin 2014, dans laquelle je l’invitais à agir en conséquence.
Comment interpréter alors cette nouvelle plainte contre moi lancée cette fois au Maroc par le ministère de l’Intérieur, pour « dénonciations calomnieuses » ? Je rappelle que les tortures, la procédure judiciaire et la détention arbitraire que j’ai subies ont été unanimement condamnées par Human Rights Watch (HRW), Amnesty International, la Fédération internationale des Ligues des droits de l’Homme (FIDH), des associations marocaines de défense des Droits de l’Homme ainsi que par le Parlement Européen. Le roi est-il, comme ses propres émissaires et de hauts responsables de l’Etat le disent, impuissant à agir dans son propre royaume au point qu’il ne puisse se débarrasser des brebis galeuses qui l’entourent et souvent le conseillent si mal ? Difficile à croire. J’attends donc que le roi rappelle son autorité et juge ses tortionnaires comme il s’est engagé à le faire. Aujourd’hui, nous en avons un clairement identifié : le chef de la DGST Abdellatif Hammouchi. Une plainte est en cours contre lui. Il est désormais impossible que le Maroc continue à le couvrir. Il doit être immédiatement démis de ses fonctions et jugé.

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