- Par : Nina Kozlowski, 29/4/2014
Crédit photo : Rachid Tniouni
Coalition avec
des partis de gauche, boycott des élections, appel à une monarchie
parlementaire et à une nouvelle constitution … la chef du PSU s’explique
sur les orientations et la stratégie de son parti.
Nabila
Mounib arrive avec une heure de retard et entame directement la
conversation avec un réquisitoire révolutionnaire : critique du
libéralisme et du néocolonialisme, appel à la laïcité, révolution
culturelle… La secrétaire générale du PSU rêve de profonds changements,
tout en ayant l’intime conviction qu’elle ne les verra probablement pas
de son vivant. Pour se consoler, elle philosophe et se dit que ce n’est
pas grave, que l’être humain est éphémère et qu’il a un petit rôle à
jouer. Franche du collier, drôle, à l’aise avec son image de « belle
nana », la leader gauchiste n’en est pas moins un animal politique, qui
use et abuse des éléments de langage pour asséner ses convictions et sa
vérité.
Le PSU, de
front avec le Parti de l’avant-garde démocratique et socialiste et le
Congrès national ittihadi, fait partie de la toute nouvelle Fédération
de la gauche démocratique. Quelles sont vos ambitions ?
Un
nouveau schéma politique se dessine au Maroc. Le système makhzénien se
renforce de plus en plus, puisque de nombreux partis l’ont rejoint et
qu’il en a lui-même créé, notamment le PAM. On assiste aussi à
l’expansion de courants islamistes qui se présentent comme l’unique
alternative et la seule force d’opposition, alors que le PJD, par
exemple, a prouvé son inefficacité à changer les choses. Au milieu de
ces deux entités, il y a une gauche fragile, balkanisée, qui a
complètement raté le rendez-vous de 2011. Aujourd’hui avec la
Fédération, nous passons à l’étape supérieure pour replacer notre
courant au centre. Nous nous sommes renforcés grâce à des structures
locales et régionales, et nous nous sommes mis d’accord sur un projet
commun centré sur la séparation des pouvoirs, une constitution
démocratique et l’avènement d’une monarchie parlementaire.
Pourtant, vous n’envisagez toujours
pas de participer aux élections législatives. Comment comptez-vous concrétiser votre projet ?
Nous
avons choisi la lutte démocratique. Nous sommes présents dans chaque
région et commune du Maroc, en tant que militants et en tant qu’élus. Le
but est d’ouvrir les consciences, d’aiguiser l’esprit critique des
Marocains et de lutter avec eux contre l’injustice, car le changement
doit venir de la base. Nous cherchons également à attirer les élites,
plongées dans un profond attentisme, afin de les encourager à lutter par
la création intellectuelle et culturelle.
Vous ne regrettez donc pas d’avoir boycotté les élections législatives et le référendum constitutionnel, en 2011 ?
Cette
année-là, le Mouvement du 20 février est descendu dans la rue avec les
mêmes revendications que le PSU. Nous y avons cru, car les attentes
étaient très fortes. Juste avant les élections, notre parti a exigé
qu’une instance autonome organise les élections à la place du ministère
de l’Intérieur. Nous avons également exigé la mise à jour des listes
électorales et l’ouverture des médias aux sensibilités d’habitude
muselés. Aucune de nos revendications n’a été entendue. Les élections
n’ont pas été totalement libres et la Constitution n’était pas
démocratique. Pourquoi participer à cette mascarade ?
Qu’est-ce qui différencie le PSU d’une association ou d’un think tank ?
Le
PSU est un parti indépendant avec une grande histoire. Nous proposons
des solutions aux problématiques posées dans leur globalité, alors que
les actions menées par les associations, souvent utiles et importantes,
demeurent ponctuelles. Le militantisme sur le terrain, les mémorandums
et les projets de réformes envoyés au gouvernement ne suffisent pas,
mais nous avons fait le choix d’une troisième voie. Celui d’être une
véritable force d’opposition au système makhzénien et aux courants
islamistes non démocratiques.
Vous croyez vraiment à l’avènement d’une monarchie parlementaire ?
Je
crois qu’à des moments politiques cruciaux, il faut aller vers des
ruptures. On a beaucoup entendu parler de transition démocratique, mais
ce n’était qu’un leurre. Un régime de monarchie parlementaire, appuyé
sur la souveraineté populaire et l’Etat de droit est incontournable pour
le maintien de la cohésion et de la paix sociale. Le fait d’adopter des
choix non démocratiques menace la stabilité et le développement du
pays, mais également la pérennité même de l’institution monarchique.
L’injustice sociale est grandissante, la corruption sévit toujours et le
peuple se réfugie dans la haine ou la désillusion. Pendant ce temps,
les politiques font la sourde oreille avec leur bricolage et leur
terrorisme culturel. Et le Maroc demeure dans la stabilité de la
médiocrité, de l’injustice et du sous-développement.
Vous n’avez pas l’impression de faire partie d’un mouvement marginal ?
Je
me sens marginalisée par les outils de destruction organisée, qui ont
anesthésié le peuple et sapé les mouvements de gauche. Le discours du
PSU est écouté et apprécié par les Marocains que nous rencontrons,
notamment les jeunes et les femmes.
Sincèrement, vous n’avez pas fait un peu dans le jeunisme en intégrant plusieurs membres du M20 dans votre parti ?
Le
PSU a toujours cherché à intégrer des jeunes, sans y parvenir
efficacement car certains considèrent que la politique sert les intérêts
personnels et non l’intérêt général. Plusieurs membres du M20 ont
intégré le parti et quelques éléments nous on déçu. Le militantisme
c’est avant tout un engagement sincère, de l’humilité, de l’honnêteté,
du courage et du travail. Ce n’est pas une question de vedettariat.
Aujourd’hui, beaucoup plus que dans
le passé, la laïcité est au centre de vos discours. Pourquoi ?
Il
est assez difficile d’évoquer ce concept dans un pays où le climat
culturel est gagné par le conservatisme et l’archaïsme. Il faut beaucoup
de courage pour parler de laïcité. Nous sommes dans une bipolarisation
entre un intégrisme laïque et un extrémisme religieux. Le mieux serait
de créer des espaces de débat pour en parler sereinement, mais aussi
d’avoir une école publique ouverte afin de développer la conscience
citoyenne et l’esprit critique.
Croyez-vous à une réforme de l’islam ?
L’Islam
en tant que religion ne constitue pas le problème, c’est
l’instrumentalisation du religieux à des fins politiques qui en est un.
Je ne suis pas contre une relecture de l’islam, mais c’est un chantier
parallèle que les intellectuels doivent mener. Je crois d’abord à l’Etat
de droit, où la religion peut être un terreau de valeur et non un
instrument politique. Il y a une manipulation de la religion qui fait le
jeu des forces impérialistes et qui embourbe le monde arabe dans le
sous-développement.
Profil : 1960. Voit le jour à Casablanca 1985. Intègre l’Organisation de l’action démocratique et populaire (OADP) 2011. Défend le boycott des élections et du référendum constitutionnel 2012. Est élue à la tête du Parti socialiste unifié (PSU) |
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