MAROC : Le tournant historique ?
Fil d'actualité n°4
| Par Micheline Bochet Milon, GADEM, groupe antiraciste d’accompagnement et de défense des étrangers et migrants, 13/12/2013
Extrait du Pleins feux Maroc du fil d'actualité de Loujna Tounkaranké
Décembre 2013
En dépit d’une année marquée par des
drames successifs, conséquences de la recrudescence de la répression,
des violences policières ou du racisme, l’année 2013 sera-t-elle celle
du «tournant historique» des politiques migratoires au Maroc où les
étrangers et migrants se verront enfin reconnus dans la société ? On
voudrait le croire, on pourrait même y croire au vu des événements
politiques qui se sont succédés à un rythme accéléré ces dernières
semaines.
En septembre, le Maroc présentait son
rapport initial sur l’application de la Convention sur la protection des
droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille
devant le Comité des Nations unies (CMW) à Genève. A l‘initiative et
sous la coordination du GADEM, des associations avaient élaboré
collectivement, et remis au Comité, un rapport alternatif soulignant les
nombreuses violations des droits fondamentaux des travailleurs
migrants. Un rapport dont le CMW a, de toute évidence, tenu compte dans
ses recommandations.
Le jour de cet examen à Genève, le CNDH
(Conseil national des droits de l’Homme) a rendu public, les
recommandations d’un rapport intitulé Étrangers et droits de l’Homme au
Maroc. Pour une politique d’asile et d’immigration radicalement
nouvelle. Celles-ci insistaient sur la nécessité pressante d’une
nouvelle politique publique en rupture avec les pratiques actuelles.
Dès le lendemain, le Roi Mohammed VI
s’est exprimé publiquement. Après avoir rappelé « la longue tradition
d’immigration et d’accueil du Maroc due notamment à ses relations
séculaires avec l’Afrique subsaharienne », il réitérait « sa conviction
que la problématique migratoire, objet de préoccupations légitimes et
parfois sujet de polémiques, doit être approchée de manière globale et
humaniste, conformément au droit international et dans le cadre d’une
coopération multilatérale rénovée ».
Quelques jours après ces déclarations,
plusieurs mesures étaient annoncées reprenant en grande partie les
recommandations du rapport du CNDH : la création d’une commission ad hoc
chargée d’examiner les dossiers des 853 réfugiés reconnus par le HCR
afin de leur remettre un titre de séjour ; la réouverture du Bureau des
réfugiés et apatrides (BRA) du ministère des Affaires étrangères,
inactif depuis des années ; la création de deux commissions
interministérielles chargées de la mise à niveau du cadre juridique et
institutionnel de l’asile et de la lutte contre la traite des personnes,
d’une commission visant la coopération internationale et enfin d’une
commission ad hoc pour la mise en œuvre d’une opération exceptionnelle
de régularisation de « certaines catégories d’étrangers en situation
administrative irrégulière » du 1er janvier au 31 décembre
2014. Le 9 octobre, le ministre de l’Éducation nationale publiait une
circulaire ouvrant l’accès à l’école primaire aux enfants « des pays du
Sahel et susahariens ».
Toutes ces mesures soulèvent un
formidable espoir et on ne peut que reconnaitre « une vision nouvelle de
la politique migratoire nationale » qui rompt avec le discours dominant
jusqu’ici, à la fois sécuritaire et discriminant. Mais s’agit-il
vraiment du tournant historique annoncé ?
Sans mettre en doute la volonté du
gouvernement marocain d’écrire une nouvelle page de son histoire, de
nombreuses zones d’ombre subsistent, suscitant interrogations et
inquiétudes. La déclaration conjointe du Partenariat pour la mobilité
conclu avec l’UE en juin dernier évoque plus une « gestion maitrisée de
la migration » se focalisant sur les instruments susceptibles d’être
déployés par les autorités marocaines pour lutter contre l’immigration
irrégulière qu’une réelle promotion de la mobilité. Un axe qui fait
craindre un durcissement de la répression à l’égard des migrants qui
n’entreront dans aucun des cadres définis par la loi. De surcroit, la
signature probable d’un accord de réadmission avec l’UE, auquel le Maroc
s’était pourtant jusqu’à présent opposé, suppose la création de lieux
d’enfermement, et constitue une nouvelle menace sur le respect des
droits humains.
Si depuis ces annonces aucune rafle n’a
été notée à Casablanca et Rabat, les opérations d’arrestations
collectives accompagnées de violences ont toujours cours dans les
régions du Nord et de l’Orientale. Le GADEM déplore plusieurs morts dont
celle de Moussa Seck le 10 octobre et de Cédric Bété le 4 décembre,
tout deux « tombés » du 4ème étage d’un immeuble lors
d’opérations de police à Tanger. Cette situation a conduit le GADEM à
demander un moratoire contre les expulsions et les réadmissions des
migrants non ressortissants.
S’agissant du droit d’asile, malgré la
réouverture du BRA (prévu dans par le décret de 1957 fixant les
modalités d’application de la Convention de Genève), l’examen des
demandes d’asile déjà enregistrées par le HCR et les nouveaux
enregistrements sont à ce jour gelés sans qu’aucune disposition
protectrice de cette catégorie de personnes n’ait été mise en place.
Quant à l’opération « exceptionnelle »
de régularisation, malgré une avancée majeure : la levée de la
conditionnalité de l’entrée et du séjour irréguliers, les critères
annoncés n’apportent pas la nouveauté espérée. Pour trois catégories
concernées (conjoints de Marocain(e)s ou d’étrangers en résidence
régulière au Maroc, et leurs enfants), les critères annoncés s’avèrent
plus restrictifs que les dispositions de la loi 02-03 sur l’entrée et le
séjour des étrangers. La seule vraie nouveauté concerne la
régularisation des personnes pouvant justifier d’une présence de cinq
ans sur le territoire … sous réserve de disposer de pièces nécessaires
et probablement d’un document d’identité, ce qui ne sera pas le cas pour
nombre d’entre-elles. Qu’adviendra-t-il de tous ceux qui arriveront
au Maroc après le 31 décembre 2014 ?
Alors tournant historique ou effet de trompe-l’œil ?
La société civile devra être vigilante
et veiller à ce que cette nouvelle politique migratoire soit élaborée et
mise en œuvre dans le respect des droits humains. |
— En savoir plus :
Communiqué associatif collectif, Le CMW exprime sa préoccupation sur les discriminations et violations des droits des travailleurs migrants au Maroc, 19/09/2013
GADEM, Pour les dix ans de la loi sécuritaire n°02-03, en finir avec la vision répressive des migrations, 26/11/2013
http://www.lacimade.org/minisites/loujnatounkaranke/rubriques/205-Actualit-s?page_id=4748
http://www.lacimade.org/minisites/loujnatounkaranke/rubriques/205-Actualit-s?page_id=4748
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