Le Conseil Supérieur des Oulémas, dont le président est le roi en sa qualité de commandeur des croyants, est consacré par la constitution dans son article 41 comme étant « la seule instance habilitée à prononcer des consultations religieuses (fatwas) devant être officiellement agréées, sur les questions dont il est saisi et ce, sur la base des principes, préceptes et desseins tolérants de l’islam ».
Ce Conseil Supérieur comprend un comité scientifique chargé d’émettre
des fatwas. Ce dernier a publié récemment un livre-recueil comportant
notamment une « fatwa » appelant à l’exécution de l’apostat. Le
livre-recueil indique que cette «fatwa» a constitué la réponse à la
demande écrite du ministère des Habous et des affaires islamiques, qui a
reçu lui-même une sollicitation d’éclaircissement de la part de la
délégation ministérielle des droits de l’homme à propos de la position
de l’Islam au sujet de la « liberté de religion », dans le cadre de la
préparation du sixième rapport périodique de la mise en œuvre du Pacte
international sur les droits civils et politiques.
Cette fatwa a provoqué une polémique pour ne pas dire une panique. En
effet, le prédicateur de la mosquée Ouhoud à Safi, a consacré son
prêche du vendredi 18 avril, en présence du roi Mohammed VI, au thème de
la liberté de croyance dans l’islam.
Dans ce qui ressemble à une tentative de réparer le tort causé par
cette instance royale sensée s’inspirer des desseins tolérants de
l’islam, le prédicateur a souligné devant le roi, Commandeur des
croyants, que la liberté de croyance dans l’islam occupe une place très
importante car elle constitue l’origine des libertés, soulignant que
l’islam ne s’arrête pas seulement à l’adoption de cette liberté, mais ne
comporte aucune sorte de contrainte en la matière. L’Homme embrasse
volontairement la foi qu’il veut par la réflexion et la méditation et la
raison consciente, en citant les paroles de Dieu Tout-Puissant « Nulle
contrainte en religion ! Car le bon chemin s’est distingué de
l’égarement ». Il a ajouté que le Saint Coran a tranché la question de
la liberté en soulignant que l’homme est libre, sinon il ne serait pas
responsable de ses actes.
Cependant, l’imam a glissé dans le même sermon du vendredi, (qui est
validé par le ministère des Habous et des Affaires islamiques, dirigé
par le ministre Ahmed Toufiq qui ne représente aucun parti politique et
ne rend compte qu’au roi) que l’institution de la commanderie des
croyants est la seule habilitée à réguler par la loi les conditions
d’exercice de cette liberté pour éviter qu’elle ne soit prise comme
prétexte pour tenter de jeter le trouble sur la marche du pays, attenter
à sa dignité, car, a-t-il dit, « la nation est sacrée et transcende les
individus ».
Est-ce que cela signifie que le commandeur des croyants dispose d’un
pouvoir discrétionnaire pour réguler la liberté de croyance des
non-croyants, et qu’encore une fois les autres institutions qui font un
Etat moderne, comme la constitution ou le parlement, se trouvent hors
jeu ? Notre brave imam ne s’aventure pas sur ce terrain.
Comment a réagi le champ politique, surtout islamiste, à cette fatwa plutôt ennuyeuse ?
Le cheikh Mohamed Fizazi, figure symbolique du salafisme pur et dur,
et qui a déjà exprimé son intention de fonder un parti politique, s’est
précipité de remercier le conseil des Oulémas pour cette fatwa qui selon
lui représente une vérité absolue et ne saurait souffrir la moindre
nuance.
De son coté, Le mouvement Justice et Bienfaisance (Al Adl Wa Al
Ihssan), par la voix de Omar Iharchane, s’est démarqué de cette
fatwa :«Très clairement et sans hésitation, Al Adl Wa Al Ihssan est pour
la liberté de croyance. Notre position est basée sur les principes de
la Charia et nous considérons la liberté de croyance comme l’un de ses
éléments centraux. D’ailleurs, les nombreuses sourates du Coran qui
évoquent le sujet et affirment la liberté de conscience fournissent les
principes fondateurs de la Charia.»
M. Iharchane considère qu’il «n’existe qu’un seul hadith qui fait dire
au prophète "tuez celui qui change de religion". Or il n’y a jamais eu
de consensus sur ce Hadith qui n’est plus pris en considération
aujourd’hui que par les Ouléma les plus traditionalistes." Il ajoute que
"le régime instrumentalise l’islam et l’utilise pour fuir ses
obligations internationales en matière de respect des droits de l’Homme.
C’est bien le régime qui salit la religion en l’utilisant sélectivement
pour justifier sa politique autoritariste.»
Dans le même sillage, le Parti Oumma (à sensibilité islamiste
démocratique, et qui tout comme Al Adl Wa AlIhssan, n’est pas en odeur
de sainteté chez le Pouvoir) est surpris par cette fatwa. Pour M.
Abkrim, professeur universitaire et membre du parti, «le Conseil s’est
probablement appuyé sur un hadith rapporté uniquement dans le recueil
Sahih Muslim (l’un des six plus grands recueils de hadith de l’islam
sunnite) autorisant l’exécution de l’apostat. Ce hadith ne figure pas
dans Sahih al-Bukhari (le plus grand recueil de hadiths). Il explique
que les oulémas spécialistes, après avoir examiné ce hadith, se sont
aperçus qu’il a été rapporté par un homme de la branche des Kharidjites
et, par conséquent, ne l’ont pas pris en considération comme source de
droit islamique. Il a rappelé qu’en de telles circonstances, c’est le
texte du Coran qui est la référence, et ce dernier ne mentionne pas
l’exécution de l’apostat.
Quant au Parti de la Justice et du Développement (PJD), sa position
sur le sujet n’est pas constante et semble évoluer en fonction de la
conjoncture politique. Alors que ses documents officiels du VIIème
congrès indiquaient clairement son adhésion au principe de liberté de
croyance avant le début du processus de réforme constitutionnelle, le
PJD a subitement changé de position pour s’y opposer durant les
consultations sur la rédaction de la nouvelle Constitution.
Et puis revirement lors de VIIIème Congrès tenu en juillet 2012. Dans le
chapitre VIII de son manifeste doctrinal consacré au projet de société,
il est écrit que : «Fidèle à ses documents de référence, notre parti
confirme que sa compréhension de l’islam s’appuie sur la même vision
ouverte et qui a constitué un point fort dans l’expérience historique et
civilisationnelle de la Nation. Cette vision consacre la diversité, le
pluralisme, la coexistence entre les religions et la liberté de
croyance et considère la base de la citoyenneté comme fondement de la
construction de l’État et de la Société».
Ce grand écart n’est pas surprenant, il confirme simplement que le PJD n’est pas à une contorsion près.
Pour sa part, l’association Bayt Al Hikma (Maison de la Sagesse)
présidée par la parlementaire Khadija Rouissi (membre du PAM, fondé par
Fouad Ali Himma, ami et conseiller du roi), a condamné la fatwa en la
considérant obscurantiste.
Ainsi, les amis de l’ami du roi ne sont pas tendres avec une institution
présidée par le roi. Mais Bayt Al Hikma, qui prétend défendre les
valeurs de modernité et de rationalité se fait discrète lorsqu’il s’agit
de protester, par exemple, contre le protocole humiliant de la
cérémonie d’allégeance ou contre le budget colossal de la cour royale.
Enfin, et à titre de comparaison, signalons qu’en Egypte,
l’institution religieuse Al Azhar a tranché cette affaire de liberté de
croyance en publiant en janvier 2012 un manifeste conjoint avec un
ensemble d’intellectuels, consacré aux libertés fondamentales. Il y est
mentionné que « la liberté de religion et le droit qui lui est associé,
relatif à la citoyenneté pleine et entière pour tous, fondée sur
l’égalité des droits et devoirs, constitue la pierre angulaire de la
construction d’une société moderne. Elle est garantie aussi bien par les
textes religieux clairs que par les textes constitutionnels et
juridiques ». Le document va plus loin en criminalisant toute tentative
de contrainte ou de persécution en matière de religion.
Il refuse avec force toutes les tendances d’exclusion et d’expiation,
celles qui s’attaquent aux croyances d’autrui et les tentatives de
vouloir inspecter les consciences des gens en rappelant le hadith du
prophète: « As-tu ouvert son cœur ? ». Il rappelle aussi la règle d’or
selon laquelle « si le texte heurte la raison, il faut privilégier la
raison et interpréter le texte » et cite aussi la règle de droit adoptée
par l’Imam Malik : «Si une parole d’un homme comporte cent parts
d’incroyance et une seule part de croyance, on doit privilégier cette
seule part de croyance ».
En Egypte, dans le sillage de la révolution, aussi bien le Mufti de la
république et le Cheikh Al Azhar ne seront plus nommés par le président
de la république mais élus par les Oulémas.
L’imam Malik est le fondateur du rite Malékite, qui est le rite officiel du…Maroc
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