Accusé de possession de drogue, le syndicaliste et conseiller
municipal de Ouarzazate dénonce «un coup monté». Hamid Majdi s'attaque
depuis plusieurs années aux pratiques anti-sociales de certaines
entreprises de la région, notamment de la filiale minière du holding
royal SNI.
Hamid Majdi, secrétaire général adjoint à l'Union locale de la
Confédération Démocratique du Travail (CDT) Ouarzazate, et conseiller
municipal de la ville (PSU), est poursuivi en état de liberté pour
possession de drogue. Il risque de 5 à 10 ans de prison ferme. Les
Douanes réclament également une amende de 800 000 DH.
La dernière audience du procès a eu lieu mercredi dernier au tribunal
de première instance de Marrakech, où le groupe de soutien à Hamid
Majdi ainsi que les mouvements démocratique de la région (CDT, PSU,
PADS, Annajh Addimocrati, AMDH) ont organisé un sit-in de solidarité.
Lors de son réquisitoire, le procureur a affirmé que Hamid Majdi
n'était pas poursuivi pour ses activités syndicales et politiques mais
pour un délit de droit commun, et que tous les indices concordaient pour
déterminer sa culpabilité. Ses avocats qualifient au contraire ce
procès de politique. Ils soulignent les incohérences du dossier et
dénoncent un coup monté pour faire taire leur client.
Hamid Majdi, un syndicaliste qui dérange
Hamid
Majdi, père de famille de 48 ans, est originaire de Demnate, à 100 km
de Marrakech. Il est engagé dans l'action syndicale de la région depuis
plus de vingt ans, au sein de la Confédération démocratique du travail
(CDT). Employé à la préfecture de la province de Ouarzazate, où il a
crée en 1999 une section de la CDT, il est également conseiller
municipal de la ville sous l'étiquette PSU.
C'est d'ailleurs avec sa casquette de conseiller municipal qu'il
dépose une plainte en 2011 contre l'ancienne équipe de la mairie de
Ouarzazate. «J'ai découvert que des millions de dirhams manquaient
dans les caisses de la ville. Où est parti cet argent ? J'ai des
documents qui prouvent ce que j'avance mais malgré ma plainte il ne se
passe rien», affirme t-il à Lakome.
Dans cette région marquée par l'exclusion et la misère sociale, Hamid Majdi est de tous les combats, malgré «les pressions qui ne s'arrêtent jamais».
La CDT Ouarzazate comprend plusieurs sections qui couvrent les secteurs
minier et hôtelier, les deux principales activités économiques de la
région. «A Ouarzazate, nous nous sommes battus contre certains
propriétaires hôteliers qui ne déclarent pas leurs employés à la CNSS ou
qui les ont licenciés lorsque ceux-ci ont entamé une grève. Il y a eu
des décisions de justice en notre faveur : elles ne sont pas
appliquées !», explique-t-il.
Manifestation à Ouarzazate à l'appel de la CDT (janvier 2012) :
Soutien aux mineurs de Managem
Mais le grand conflit social auquel participe Hamdi Majdi depuis plus
d'un an concerne les mineurs de Bou Azzer, localité qui abrite une mine
de cobalt exploitée par SMI (Managem, filiale du holding royal SNI). «C'est
une bataille pour faire appliquer le code du travail. Dès que nous
avons crée un bureau de la CDT à la mine, la direction l'a fermé et a
licencié les syndicalistes. Grèves, arrestations de mineurs, marches
pacifiques ont suivi», affirme Hamid Majdi. Il dénonce les
sous-déclarations à la CNSS et le fait que certains ouvriers sont
engagés par des sociétés de sous-traitance avec des contrats à durée
déterminée de trois mois, renouvelables à l'infini, bien qu'ils
travaillent depuis plus de dix ans à la mine. Il explique par ailleurs
que les conditions de travail sont particulièrement difficiles et que la
sécurité des mineurs n'est pas respectée : 9 mineurs sont morts depuis
2011. «J'ai des documents qui prouvent tout ce que j'avance. On ne
réclame pas des augmentations de salaire, simplement le respect du code
du travail !», lance-t-il.
Marche de solidarité avec les mineurs de Bou Azzer (octobre 2012) :
Novembre 2012 : l'arrestation
Début novembre 2012, alors qu'il participe à une marche de solidarité
avec les mineurs d'Imider, une autre mine de la région exploitée par
Managem, Hamid Majdi reçoit un coup de téléphone. «Il s'agissait
d'une femme, une certaine Nawal, qui se présentait comme une
syndicaliste vivant en France et qui souhaitait vivement me rencontrer.
Elle m'a dit qu'elle était en ce moment au Maroc et m'a demandé de venir
la voir à Skhirat. J'ai eu des doutes et j'ai refusé, bien qu'elle
m'ait rappelé plusieurs fois pour insister», explique-t-il à Lakome.
Mi-novembre, après la fête de l'Aïd, Hamid Majdi décide de se rendre à
Marrakech pour visiter sa famille. Il reçoit alors un nouveau coup de
téléphone de la dénommée Nawal, qui lui apprend qu'elle compte elle
aussi venir à Marrakech ce jour-là pour voir sa mère. «Elle m'a
demandé de venir la chercher devant la gare de Marrakech le lendemain
matin, ce que j'ai fait. Elle devait repartir le soir-même par avion».
La mystérieuse "Nawal"
Lorsque Hamid Majdi arrive devant la gare, «Nawal» est accompagnée
d'une vieille femme, qu'elle présente comme étant une domestique de sa
mère qu'il faut déposer au domicile familial. Le syndicaliste s'exécute
puis se rend dans un café avec Nawal devant l'hypermarché de la ville. «Je sentais que quelque chose ne tournait pas rond mais tant qu'on était en public, je ne craignais rien»,
affirme-t-il. Hamid Majdi prend alors congé de Nawal et se rend chez sa
famille. Une heure plus tard, nouveau coup de fil de la mystérieuse
femme, qui lui demande de passer la chercher en fin d'après-midi pour
l'amener à l'aéroport. Elle lui donne rendez-vous dans un café.
Problème : Hamid Majdi s'y rend mais n'y trouve personne. Le téléphone
de Nawal est désormais éteint. Après avoir attendu près d'une heure, il
décide de partir.
C'est en sortant de ce café, alors qu'il s'apprêtait à entrer dans sa voiture, que des policiers en civil surgissent. «Ils
étaient huit et ont encerclé mon véhicule. Ils ont pris la clé, m'ont
mis derrière la voiture et ont commencé à fouiller. Je n'ai pas vu ce
qu'ils faisaient. Un des policiers est alors revenu vers moi en
brandissant des sachets de drogue, de la chira et de la cocaïne, en
disant qu'ils l'ont trouvé dans ma voiture, sous mon siège et côté
passager !», explique le syndicaliste.
Les incohérences du dossier
Il est alors arrêté et amené au commissariat. La maison de sa famille
est également fouillée mais les policiers ne trouvent rien. «Ils m'ont amené avec eux, j'étais menotté devant ma mère, comme un vulgaire trafiquant, c'était dur... ». Après être passé devant un juge d'instruction, il est relâché et poursuivi en état de liberté pour possession de drogue.
Lors de son interrogatoire, Hamid Majdi raconte aux policiers
l'histoire de la mystérieuse Nawal, qu'il pense être au moins complice
de ce qu'il appelle «un coup monté». Les policiers se rendent à la gare
de Marrakech pour examiner les caméras de surveillance. Et là surprise :
ils se rendent compte que la dénommée Nawal n'est pas arrivée en train à
Marrakech, elle était déjà sur place ! Les caméras l'identifient
clairement : elle est entrée dans la gare puis en est ressortie dès que
le syndicaliste est arrivé devant le bâtiment. Les caméras la montrent
aussi entrer dans la voiture de Majdi, côté passager.
La suite est alors invraisemblable : les enquêteurs n'ont pas cherché à
retrouver cette femme ! Ils n'ont pas non plus relevé ses empreintes
sur la voiture de Majdi (qui a été saisie par la police). Les avocats du
syndicaliste ont également demandé à prélever les empreintes sur les
sachets de drogue, afin de les comparer avec celles de l'accusé. Demande
rejetée...
Le dossier précise que la police a été informée ce jour-là par un
coup de fil anonyme. Lors du procès, qui s'est ouvert en décembre
dernier, le mystérieux témoin ne s'est pas présenté, le procureur
invoquant la protection des témoins. Les avocats de Majdi ont demandé à
ce que le juge le rencontre quand même en privé. En vain...
«Le dossier est complètement vide, le procureur dit simplement
que je suis coupable car la police aurait trouvé la drogue dans ma
voiture. Pourquoi refusent-ils d'examiner les indices, la voiture, les
empreintes, les téléphones, les vidéos ? Lorsque mes avocats ont demandé
ça, le procureur n'a rien répondu !», lance Hamid Majdi.
Selon lui, il est impossible de savoir ce que va décider le juge, alors que le verdict est prévu pour le 22 mai prochain. «Normalement
je ne devrai pas être inquiet, ils savent très bien que je suis
innocent. Mais au Maroc la justice n'est pas indépendante, c'est un
procès politique. Tout peut arriver et ça fait peur...».
Hamid Majdi demande deux choses : que son innocence soit reconnue et que la vérité soit faite pour trouver «qui se cache derrière ce complot».
Manifestation de soutien à l'ouverture du procès Majdi (décembre 2012) :
Le «précédent» Sokrate
L'affaire Majdi fait bien sûr penser à celle du jeune blogueur Mohamed Sokrate,
ancien militant du 20 février, condamné en appel en octobre dernier à
un an et demi de prison ferme pour "possession et trafic de drogue". Il
avait été arrêté il y a un an, en mai 2012, à la sortie d'un cybercafé à
Marrakech. Les policiers affirmaient avoir trouvé sur lui 400 grammes
de haschich. Son père et son frère avaient également été interpellés,
«enlevés» selon eux, et relâchés après que Sokrate ait signé le
procès-verbal de la police. Le jeune blogueur, dont la condamnation a
provoqué l'indignation de la société civile marocaine et des ONG internationales, est toujours incarcéré.
Il fait d'ailleurs partie des 206 détenus politiques recensés par
l'AMDH et le collectif Mamfakinch dans leur base de données récemment
mise en ligne, freekoulchi.org.
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