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vendredi 17 mai 2013

MAROC. Pourquoi un choc des élites semble de plus en plus inévitable







Relativement préservé des tourments du printemps arabe, le Maroc connaît depuis quelques semaines une période de tension au sein de son exécutif. Au delà d’une rivalité de façade qui oppose les islamistes du PJD aux nationalistes conservateurs du parti de l’Istiqlal, se trame dans l’ombre un véritable bras de fer. Décryptage d'Abdelmalek Alaoui.

Édité par Henri Rouillier  Auteur parrainé par Céline Lussato
Le Premier ministre Abdelilah Benkirane, à la Valette le 5 octobre 2012 (A.MEDICHINI/SIPA).
Le Premier ministre Abdelilah Benkirane, à la Valette le 5 octobre 2012 (A.MEDICHINI/SIPA).

Ces deux-là auraient pu être jumeaux. D’un côté, le chef du gouvernement, l’islamiste Abdelilah Benkirane, jamais à court d’un trait d’humour pour déminer les questions difficiles. De l’autre, Hamid Chabat, vibrionnant maire de Fès et patron du parti de l’Istiqlal, arrivé deuxième aux élections législatives de novembre 2011. Les deux hommes se ressemblent : même sens de la répartie, mêmes qualités de tribun, et mêmes relents populistes qui font les beaux jours des gazettes marocaines.

Un équilibre fragile

L’affrontement entre les deux hommes monte en puissance depuis plusieurs mois et s’est intensifié depuis que Chabat a annoncé le retrait de "ses" ministres du gouvernement en fin de semaine dernière, menaçant de faire chuter la majorité gouvernementale.




Les ministres seront finalement maintenus suite à une ferme injonction du Roi, qui a exigé que la stabilité de l’exécutif prime sur les querelles partisanes. Mais combien de temps cet équilibre précaire pourra-t-il être maintenu ?

Face à cette mise sous pression, et craignant de devoir quitter les allées du pouvoir alors même qu’il commence probablement  à y prendre goût, Abdelilah Benkirane a déroulé une subtile stratégie de préservation.

2M, la chaîne de télé qui cristallise les tensions

Celle-ci a consisté à envoyer certains de ses lieutenants parmi les plus radicaux pour "mettre le feu" au parlement en s’attaquant notamment aux médias publics, en particulier à la deuxième chaîne 2M, accusée par les islamistes – en des termes peu amènes – de parti pris à leur encontre dans son traitement de l’information.

Or, ce n’est pas la première fois que cette chaîne est visée. Au printemps dernier, 2M avait déjà fait l’objet d’une tentative de "réislamisation" de ses programmes par le jeune ministre islamiste de la communication, Mustapha El Khalfi. Devant la levée de boucliers qu’avait suscité alors sa tentative de supprimer les journaux télévisés en français, le ministre avait dû reculer mais 2M est restée depuis comme une arrête en travers de la gorge du PJD.

En s’attaquant à nouveau à cette chaîne, le chef du gouvernement veut faire oublier sa majorité qui se fissure, tout en touchant à un symbole.

Ce canal est né dans les années 90 de la volonté du roi Hassan II de pluraliser le paysage médiatique, et surtout, de donner un espace d’expression moderne et plus ouvert à une nouvelle élite marocaine qui a émergé durant les années 70 et 80.

Face à Benkirane, une élite qui rejette l'islamisme

Cette dernière est plus urbaine, plus moderne, et tient une bonne partie de l’appareil de production économique, ainsi que la technostructure administrative. Elle est hétéroclite, éduquée pour partie à l’étranger mais a aussi fréquenté les bancs des grandes écoles marocaines et des universités du Royaume au sein desquels elle s’est politisée. Elle regroupe les enfants de la bourgeoisie d‘État mais également les enfants du peuple. Le point commun entre toutes ses composantes est idéologique : le rejet de l’islamisme.

Dès son arrivée au pouvoir début 2012, le chef du gouvernement aura à cœur de chasser ses représentants méthodiquement de la tête des grandes administrations publiques et des agences étatiques, afin d’y placer des hommes jugés plus "sûrs" et PJD-compatibles. Certains patrons d’agences publiques, au cours des derniers mois, apprendront ainsi leur limogeage par la presse.

Or, cette volonté d’écarter  une frange de la population de la gestion des affaires alliée à la volonté des islamistes de "mettre au pas" les médias publics, constitue peut-être le premier acte d’un "choc des élites" au Maroc.

Vers une division irréversible

En effet, bien que minoritaire, cette élite marocaine est très importante car elle incarne "une certaine idée du Maroc". Elle contribue ainsi à ce que le pays conserve son modèle unique fondé sur la tolérance, qui en fait la seule nation du monde arabe à sanctuariser la notion d’identités plurielles dans sa constitution, en y incluant les juifs.

Cette nouvelle élite marocaine est également fondamentale car elle est très active sur le plan économique et elle n‘hésite pas à entreprendre et à commercer avec le monde.

Enfin, elle a accumulé de l’expérience dans la gestion de l’administration, et sa mise à l’écart progressive créée d’ores et déjà des poches de défiance au sein des pouvoirs publics, déclenchant une formidable capacité d’inertie.

En poussant ses troupes à aller à l’affrontement avec cette frange de la population, et en s’attaquant à un média qui a accompagné la transition démocratique du Maroc, le chef du gouvernement marocain est peut être en train de sacrifier sur l’autel des calculs politiques la possibilité de réaliser un dessein autrement plus ambitieux.

Celui qui se promettait de rassembler tous les Marocains à l’aube de son arrivée au pouvoir serait-il en train de devenir celui par lequel la division arrivera ? L’histoire le dira certainement au cours des

 http://leplus.nouvelobs.com/contribution/863653-maroc-pourquoi-un-choc-des-elites-semble-de-plus-en-plus-inevitable.html

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