Par Salah Elayoubi, demainonline, 19/3/2013
J’ignore
si vous avez quelques réminiscences de votre plus tendre jeunesse. Pour
ma part, petit garçon, j’imaginais le monde des adultes peuplé de « bon
pères de famille ». Des gens sérieux, travailleurs, intègres, honnêtes
et dignes ! Il ne pouvait en être autrement, dans mon esprit où
s’étaient enracinés les fondamentaux inculqués par le triumvirat
famille, école, sport.
Famille mise à part, l’école, comme la compétition sportive fut un
extraordinaire champ d’expérimentation de la vie sociale. On y percevait
déjà les bribes de ce que chacun d’entre nous allait devenir. Il y
avait les sages, les excités. Les timides, les effrontés. Les courageux,
les lâches. Les surdoués, les maladroits. Les travailleurs et les
paresseux.
Je me souviens que les pires de tous étaient les flagorneurs, ceux
que le langage populaire appelle communément les fayots, les cireurs de
bottes. Encore que le respect que je dois à cette catégorie
professionnelle honnête et besogneuse, m’interdit de l’associer aux
premiers.
Les fayots, un genre honni de tous, y compris par l’objet même de
leur admiration, le maître d’école, le coach ou le gros bras de service,
lesquels, sans doute conscients de leur capacité de nuisance,
surmontaient l’aversion qu’ils leur inspiraient et les gardaient sous le
coude. Ils étaient capables du pire : vous trahir, vous dénoncer,
tricher sur un point décisif ou encore se ranger aux côtés du plus fort
pour vous humilier, vous battre comme plâtre ou vous arracher votre
« quatre heures ».
En grandissant, je compris pourquoi tant de mes compatriotes avaient
renoncé à la politique, dégoûtés par le spectacle puéril du microcosme
politique marocain qui s’était mis à ressembler à ce que je viens
d’énoncer plus haut : une cour de récréation.
Petit flash-back. Souvenez-vous de la photo de classe, le jour de la
nomination du gouvernement actuel. Une véritable foire d’empoignes,
immortalisée par le regard froid des caméras. Elle avait opposé les
ailiers pour leur éviter la relégation au deuxième rang et leur
permettre de se rapprocher le plus possible du centre, objet de toutes
les convoitises. Bassima Hakaoui, en avait fait les frais. Elle avait
proprement disparu, préférant s’effacer, face à la puissante offensive
d’un Benabdallah déterminé, au guidon de sa moustache et de son
légendaire opportunisme et celui de ses collègues, jouant misérablement
des coudes et des épaules.
Des écoliers auraient eu plus de considération pour une camarade
féminine et un extraterrestre qui aurait assisté à cette bataille de
chiffonniers, pour une dérisoire place au premier rang, aurait tout
compris de nos hommes politiques et de la suite dont elle augurait. Avec
Benabdallah et les siens, ces drôles de gauchistes, dont une
malformation congénitale avait placé le cœur à l’extrême-droite et les a
fait depuis toujours, loucher sur la dictature, Comme Chimène sur
Rodrigue (1), on croyait alors, avoir tout vu des trajectoires de la
compromission et de la honte. « Changer les choses de l’intérieur » prétextaient-ils, pour expliquer l’inexplicable.
Avec le PJD, nous avons droit à un remake de l’insupportable. Le même
leitmotiv décliné à la mode barbue. Les déclarations se suivent et se
ressemblent, les signes de la courtisanerie aussi. Comme ce ministre de
la santé publique, absent ou atone, lorsque la mort qui rôdait à Anfgou
ou ailleurs, commandait sa présence, auprès des familles des victimes et
qui se montre soudain si présent et si obséquieux qu’il en devient
lourd et envahissant, dès lors qu’il s’agit du lancement d’un plan
national des urgences médicales , en présence du chef de l’Etat. Un
moment pitoyable où notre homme affiche en tête de liste des motivations
ayant poussé son département à réaliser le projet en question, les
instructions de Sa Majesté. Par la grâce du fayotage, et de la
flagornerie, voilà les souffrances de nos compatriotes, les besoins de
la population, la programmation des réalisations et la loi de finance,
passés à la trappe. Souvenez-vous, le cancre de la classe, n’agissait
pas autrement, lorsque convoqué au tableau, il encensait le maître
pour lui faire oublier ses lacunes.
Et lorsque notre chef du gouvernement reçoit la presse étrangère,
avec un décorum à la gloire du roi, dressé pour la circonstance,
derrière lui, et qu’il entame ses réponses si indigentes, avec « je vais vous dire », ou encore « écoutez », on s’attendrait presque à l’entendre prononcer le fameux « Plouf », annonciateur du rituel de notre enfance « Am, stram, gram, Pic et pic et colégram, Bour et bour et ratatam, Am, stram, gram ».
Soixante trois (63) fois, il aura prononcé « Sa majesté »,
pour expliquer à Isabelle Mandraud (Le Monde), Bruno Daroux (RFI) et
Xavier Lambrechts (TV5) interloqués, qu’il n’a aucun pouvoir et qu’il
ne sait rien d’autre que ce qu’on voudrait bien lui dire de ce Maroc,
dont il est pourtant supposé conduire les affaires. Même lorsque notre
ami fait mine d’endosser un soupçon de responsabilité, comme sur
l’affaire du Mali, le courage ne l’étouffe pas puisqu’il s’empresse
aussitôt de désigner le chef de l’Etat, dans le but de ne pas heurter
l’aile extrémiste de son mouvement, farouchement opposée à l’aventure
malienne : « Ce n’est pas moi, c’est l’autre…..! »
Et comme toute indigence de la réflexion ou des neurones s’accompagne
le plus souvent de brutalités ou de menaces à peine voilées, notre
homme, revanchard, reprend du poil de la bête, dès lors qu’il s’agit
d’affronter la presse marocaine complaisante ou ses collègues du
parlement. Le plus souvent en faisant assaut de hurlements, de
froncements de sourcils et de sous-entendus vengeurs.
Ainsi va la vie dans la plus belle récréation du monde, en attendant
que retentisse la cloche qui renverra tout ce petit monde à ses études.
Salah Elayoubi
(1) Le Cid de Corneille
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