- Écrit par Christophe Guguen, 13/2/2013
Le rapport final du Rapporteur spécial de l'ONU sur la torture, Juan Mendez, sera dévoilé dans quelques jours à Genève lors de la 22e session du Conseil des droits de l'homme de l'ONU.
L'argentin Juan Mendez, Rapporteur spécial de l'ONU sur la torture,
présentera son rapport final sur la torture au Maroc dans quelques
jours, à l'occasion de la 22e session du Conseil des droits de l'homme
de l'ONU à Genève.
Ce rapport, le premier du genre, fait suite à sa visite au Maroc en
septembre dernier. Juan Mendez avait passé une dizaine de jours dans le
royaume pour rencontrer les autorités marocaines, des représentants de
la justice, de la société civile, des groupes de défense des droits de
l'homme, des agences de l'ONU, ainsi que des victimes de violences et
leurs familles.
Juan Mendez avait fait part de ses premières observations fin
septembre lors d'une conférence de presse donnée à Rabat. Il affirmait
alors que « le Maroc développe une culture de respect des droits de
l'homme qui est un bon point de départ en vue de l'élimination de la
torture dans un futur proche. Mais le pays est loin de pouvoir affirmer
qu'il a éliminé la torture ».
Il expliquait notamment : "Chaque fois qu'il est question de
sécurité nationale, il y a une tendance à utiliser la torture dans les
interrogatoires. Il est difficile de dire si c'est très répandu ou si
c'est systématique, mais cela arrive assez souvent pour que le
gouvernement marocain ne puisse l'ignorer".
Torture, impunité, prisons secrètes : ce que dit l'ONU
Pour rédiger son rapport final, Juan Mendez a pu s'appuyer sur les
travaux du Comité de l'ONU sur la torture, qui a présenté son rapport
périodique Maroc en juin 2012. Ce document fait en effet un point
complet sur les sujets de préoccupation du Comité, la collaboration de
l'Etat marocain et les recommandations de l'ONU.
Voici ci-dessous les grands axes de ce rapport Maroc, qui n'a fait
l'objet d'aucune publicité dans le royaume depuis sa publication.
Aspects positifs
Le Comité de l'ONU sur la torture se félicite du « dialogue constructif » entre ses experts et l'Etat marocain. Il note également « avec satisfaction »
la ratification par le Maroc d'un certain nombre de conventions
internationales, de la mise en place du CNDH, du vote de la nouvelle
constitution et du lancement de la réforme de la justice.
Définition et criminalisation de la torture
Selon le Comité, le Maroc « devrait s’assurer que les projets de
loi actuellement devant le Parlement étendent le champ de la définition
de la torture, conformément à l’article premier de la Convention contre
la torture. L’État partie, conformément à ses obligations
internationales, devrait veiller à ce que quiconque se rend coupable ou
complice d’actes de torture, tente de commettre de tels actes ou
participe à leur commission fasse l’objet d’une enquête, et soit
poursuivi et sanctionné sans pouvoir bénéficier d’un délai de
prescription.
Utilisation de la torture dans les affaires de sécurité
Le Comité se dit « préoccupé par les nombreuses allégations
d’actes de torture et de mauvais traitements commis par les officiers de
police, les agents pénitentiaires et plus particulièrement les agents
de la Direction de surveillance du territoire (DST) – désormais reconnus
comme officiers de police judiciaire – lorsque les personnes, en
particulier celles suspectées d’appartenir à des réseaux terroristes ou
d’être des partisans de l’indépendance du Sahara occidental, sont
privées de l’exercice des garanties juridiques fondamentales comme
l’accès à un avocat ou durant les interrogatoires dans le but de
soutirer des aveux aux personnes soupçonnées de terrorisme ».
Impunité des responsables de torture
Le Comité « est particulièrement préoccupé par le fait de n’avoir
reçu à ce jour aucune information faisant état de la condamnation d’une
personne pour actes de torture au titre de l’article 231.1 du Code
pénal. Le Comité note avec préoccupation que les officiers de police
sont dans le meilleur des cas poursuivis pour violences ou coups et
blessures, et non pour le crime de torture, et que selon les données
fournies par l’État partie, les sanctions administratives et
disciplinaires prises à l’endroit des officiers concernés ne semblent
pas proportionnées à la gravité des actes commis. Le Comité note avec
préoccupation que les allégations de torture, pourtant nombreuses et
fréquentes, font rarement l’objet d’enquêtes et de poursuites et qu’un
climat d’impunité semble s’être instauré en raison de l’absence de
véritables mesures disciplinaires et de poursuites pénales
significatives contre les agents de l’État accusés des actes visés dans
la Convention, y compris les auteurs des violations graves et massives
des droits de l’homme commises entre 1956 et 1999 ».
« Transfèrements secrets » de la CIA
Le Comité « prend note des déclarations de l’État partie selon
lesquelles il n’était pas impliqué dans les opérations de
«transfèrements secrets» menées dans le contexte de la lutte
internationale contre le terrorisme. Néanmoins, le Comité reste
préoccupé par les allégations selon lesquelles le Maroc aurait servi de
point de départ, de transit et de destination de «transfèrements
secrets» opérés en dehors de tout cadre légal, notamment dans les cas de
MM. Mohamed Binyam, Ramzi bin al-Shib et Mohamed Gatit. Il note que les
informations lacunaires fournies par l’État partie sur les enquêtes
qu’il a menées à ce sujet ne sont pas à même de dissiper ces
allégations. Le Comité est gravement préoccupé par les allégations selon
lesquelles tous ces «transfèrements secrets» se seraient accompagnés de
détention au secret et/ou dans des lieux secrets, d’actes de torture et
de mauvais traitements, notamment lors des interrogatoires des
suspects, ainsi que de refoulements vers des pays dans lesquels les
personnes auraient été également soumises à la torture ».
Les prisons secrètes du Maroc
Le Comité « prend note des déclarations faites par l’État partie
durant le dialogue selon lesquelles il n’existait aucun centre de
détention secret au siège de la DST à Témara, comme l’attestaient les
résultats des trois visites effectuées par le Procureur général du Roi
en 2004, mais aussi par les représentants de la Commission nationale des
droits de l’homme et par plusieurs parlementaires en 2011. Toutefois,
le Comité regrette le manque d’informations relatives à l’organisation
et à la méthodologie de ces visites, qui au vu de la situation et des
allégations nombreuses et persistantes de l’existence d’un tel centre de
détention secret ne permettent pas de lever le doute sur ce point.
Cette question reste donc un objet de préoccupation pour le Comité. Ce
dernier est également préoccupé par les allégations selon lesquelles des
lieux de détention secrets existeraient également au sein même de
certains établissements de détention officiels. D’après les allégations
reçues par le Comité, ces centres de détention secrets ne feraient
l’objet d’aucune surveillance ni inspection de la part d’organes
indépendants. Pour finir, le Comité est préoccupé par les allégations
selon lesquelles une nouvelle prison secrète aurait été construite dans
les environs d’Ain Aouda, près de la capitale de Rabat, pour y détenir
les personnes soupçonnées d’être liées à des mouvements terroristes ».
Torture au Sahara
Le Comité « est préoccupé par les allégations faisant état
d’arrestations et de détentions arbitraires, de détentions au secret et
dans des lieux secrets, d’actes de torture et de mauvais traitements, de
l’extorsion d’aveux sous la torture et d’un usage excessif de la force
par les forces de sécurité et par les forces de l’ordre marocaines au
Sahara occidental. »
Traitement des migrants et des étrangers
Le Comité « prend note » des informations fournies par le Maroc mais « reste
toutefois préoccupé par les informations reçues selon lesquelles, dans
la pratique, des migrants illégaux ont été reconduits à la frontière ou
expulsés en violation des lois marocaines, sans avoir eu la possibilité
de faire valoir leurs droits. Suivant plusieurs allégations, des
centaines d’entre eux auraient été abandonnés dans le désert sans eau ni
nourriture. Le Comité déplore le manque d’information sur ces
événements de la part de l’État partie, ainsi que sur les lieux et les
régimes de détention des étrangers en attente d’expulsion qui ne
relèvent pas de l’administration pénitentiaire. Le Comité déplore enfin
le manque d’information au sujet des enquêtes éventuellement menées sur
les violences commises par les forces de l’ordre à l’encontre de
migrants clandestins dans les régions de Ceuta et Melilla en 2005 ».
Coopération avec les mécanismes de l’ONU
Le Comité recommande au Maroc « d’intensifier sa coopération avec
les mécanismes des droits de l’homme de l’ONU, notamment en autorisant
les visites, entre autres, du Groupe de travail sur la détention
arbitraire, de la Rapporteuse spéciale sur la traite des êtres humains,
en particulier les femmes et les enfants, et du Rapporteur spécial sur
le droit de réunion et d’association pacifiques ».
Il invite aussi le Maroc « à envisager d’adhérer aux principaux
instruments relatifs aux droits de l’homme auxquels il n’est pas encore
partie, notamment au Protocole facultatif se rapportant à la Convention
contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou
dégradants et au Statut de Rome de la Cour pénale internationale ».
(un projet de loi a été validé en décembre dernier par le gouvernement
pour ratifier ce protocole facultatif à la Convention contre la
torture).
Enfin, le Comité de l'ONU exhorte le Maroc « à diffuser largement
les rapports qu’il a soumis au Comité, ainsi que les conclusions et
recommandations de celui-ci, par le biais des sites Internet officiels,
des médias et des organisations non gouvernementales ».