par Demain online, 19/2/2013
Le politologue et professeur d’université Ahmed Benani devait modérer la table ronde du colloque « Le Journal, histoire d’une désillusion marocaine »,
qui s’est tenu à Bruxelles le samedi 16 février dernier. Pour des
raisons de santé il n’a pu se déplacer de Lausanne, en Suisse, où il
réside. Il a envoyé un texte lucide et émouvant qui a été lu en son
absense. C’est un cri et un hommage solennel au « Journal »,
hebdomadaire emblématique et phare de la liberté d’expression disparu il
y a deux ans après la guerre sans merci que lui a livrée le MakHzen et
ses affidés. Demain publie le texte de l’intervention de Benani
pour perpétuer l’hommage au « Journal » et saluer Ahmed Benani
indomptable opposant à l’autocratie alaouite.
Cher(e)s ami(e)s,
Si ma santé m’avait laissé un répit, j’aurais volontiers partagé ces
moments de réflexions avec vous. Je remercie mon ami Radouane Baroudi
pour l’organsation de cette conférence, la pertinence des thèmes proposés
et bien sûr les qualités humaines, intellectuelles de tous les
intervenants. Je le remercie également de bien vouloir vous lire mes
amicales salutations sous cette forme d’une modeste et très courte
contribution réflexive.
La disparition du » Le Journal » est certes un fait autant
détestable que déplorable, faut-il pour autant se focaliser sur la
désolation et aller jusqu’à évoquer la thématique de la désillusion,
comme si rédacteurs et lecteurs portaient la responsabilité de la perte
de notre hebdomadaire préféré ?
Ceux qui tuent la presse libre perpétuent un phénomène aussi
affligeant que désespérément banal, leur doxa, devenue totalement
désuète depuis la mondialisation des réseaux sociaux, tient en une
phrase : Il ne faut pas que celles et ceux qui ont porté des idées
nouvelles puissent être en mesure d’en tirer une quelconque valeur
ajoutée sur le plan des mutations politiques ou des incontournables
transitions démocratiques, il faut les rayer de la mémoire ! Le Makhzen,
on oublie de le rappeler, se fige régulièrement dans la bêtise et les
réflexes archaïques !
En tuant Le Journal, le Makhzen a remporté une dérisoire bataille ;
il faut savoir déceler les permanences sous l’éphémère pour tenter de
dépasser le désespoir et d’engager l’avenir. Le Journal a été et demeure
eu égard à son histoire non achevée, le miroir des vécus collectifs,
des interrogations des intellectuels lors de cette période capitale de
l’entre deux-règnes, de Hassan II à Mohammed VI. Je considère les treize
ans d’existence du Journal comme l’un des socles qui a donné naissance
au « Nouveau Maroc » symboliquement représenté par l’émergence de notre
Printemps, celui que la jeunesse a porté sous l’appellation : Mouvement
du 20 février. Mouvement dont l’histoire reste à écrire mais qui
indiscutablement postule l’émergence de l’individu-citoyen, la
contestation ouverte de l’absolutisme, la revendication populaire d’un
Etat de droit en donnant une tonalité nouvelle et irréversible aux
mutations sociales, économiques et politiques.
Que l’on ne se méprenne pas sur le sens de cette articulation pour
laquelle je sollicite votre attention et vos éclairages. Oui, en amont,
il y a eu Le Journal, comme jadis dans les années 60 la revue LAMALIF.
Mais admettons qu’en aval, on ne peut parler de désillusion. A l’heure
actuelle la société civile marocaine n’est ni dans l’innocence et encore
moins dans la renonciation de ses droits fondamentaux. Merci de vous
arrêter dans le débat de cette conférence sur cette dialectique entre le
récit vivant, la narration profonde, les enquêtes du Journal, ce
briseur de tabous et le cheminement des hommes et des femmes qui portent
les idées de la modernité multiforme dont ils voudraient tatouer de
manière indélébile leur vision d’un Maroc qui surprendra le monde !
Au-delà de la chronique d’une expérience humaine, de journalistes
habités par un même idéal, de la trajectoire d’un hebdomadaire qui a
forgé l’admiration de tous y compris hors nos frontières, au-delà de
l’historicité d’un cas d’école du journalisme, je retiens l’idée
centrale d’une résistance intellectuelle aux formes multiples de
l’adversité et l’apparition sur la scène publique de femmes et d’hommes
qui ont définitivement ou presque rompu avec la culture de la peur et
appris à communiquer dans la transparence par le multimédia et à donner
du sens à leurs mobilisations.
Merci et excellents travaux à Bruxelles
Ahmed Benani
« A la liberté de penser s’oppose, en premier lieu,
la contrainte civile. On dit, il est vrai, que la liberté de parler ou
d’écrire peut nous être ôtée par une puissance supérieure, mais non pas
la liberté de penser. Pourtant, ôter la liberté de communiquer
publiquement ses pensées, n’est-ce pas aussi ôter la liberté de penser.
En second lieu, la liberté de penser est prise au sens où elle s’oppose à la contrainte exercée sur la conscience.
En troisième lieu, la liberté de penser signifie que la raison
ne se soumette à aucune autre loi que celle qu’elle se donne à
elle-même. Car l’inévitable conséquence de l’absence de loi dans la
pensée, c’est que la liberté de penser y trouve finalement sa perte ».
Emmanuel Kant (Qu’est-ce que s’orienter dans la pensée ?)
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par Demain online, 19/2/2013
Le politologue et professeur d’université Ahmed Benani devait modérer la table ronde du colloque « Le Journal, histoire d’une désillusion marocaine »,
qui s’est tenu à Bruxelles le samedi 16 février dernier. Pour des
raisons de santé il n’a pu se déplacer de Lausanne, en Suisse, où il
réside. Il a envoyé un texte lucide et émouvant qui a été lu en son
absense. C’est un cri et un hommage solennel au « Journal »,
hebdomadaire emblématique et phare de la liberté d’expression disparu il
y a deux ans après la guerre sans merci que lui a livrée le MakHzen et
ses affidés. Demain publie le texte de l’intervention de Benani
pour perpétuer l’hommage au « Journal » et saluer Ahmed Benani
indomptable opposant à l’autocratie alaouite.
Cher(e)s ami(e)s,
Si ma santé m’avait laissé un répit, j’aurais volontiers partagé ces
moments de réflexions avec vous. Je remercie mon ami Radouane Baroudi
pour l’organsation de cette conférence, la pertinence des thèmes proposés
et bien sûr les qualités humaines, intellectuelles de tous les
intervenants. Je le remercie également de bien vouloir vous lire mes
amicales salutations sous cette forme d’une modeste et très courte
contribution réflexive.
La disparition du » Le Journal » est certes un fait autant
détestable que déplorable, faut-il pour autant se focaliser sur la
désolation et aller jusqu’à évoquer la thématique de la désillusion,
comme si rédacteurs et lecteurs portaient la responsabilité de la perte
de notre hebdomadaire préféré ?
Ceux qui tuent la presse libre perpétuent un phénomène aussi
affligeant que désespérément banal, leur doxa, devenue totalement
désuète depuis la mondialisation des réseaux sociaux, tient en une
phrase : Il ne faut pas que celles et ceux qui ont porté des idées
nouvelles puissent être en mesure d’en tirer une quelconque valeur
ajoutée sur le plan des mutations politiques ou des incontournables
transitions démocratiques, il faut les rayer de la mémoire ! Le Makhzen,
on oublie de le rappeler, se fige régulièrement dans la bêtise et les
réflexes archaïques !
En tuant Le Journal, le Makhzen a remporté une dérisoire bataille ;
il faut savoir déceler les permanences sous l’éphémère pour tenter de
dépasser le désespoir et d’engager l’avenir. Le Journal a été et demeure
eu égard à son histoire non achevée, le miroir des vécus collectifs,
des interrogations des intellectuels lors de cette période capitale de
l’entre deux-règnes, de Hassan II à Mohammed VI. Je considère les treize
ans d’existence du Journal comme l’un des socles qui a donné naissance
au « Nouveau Maroc » symboliquement représenté par l’émergence de notre
Printemps, celui que la jeunesse a porté sous l’appellation : Mouvement
du 20 février. Mouvement dont l’histoire reste à écrire mais qui
indiscutablement postule l’émergence de l’individu-citoyen, la
contestation ouverte de l’absolutisme, la revendication populaire d’un
Etat de droit en donnant une tonalité nouvelle et irréversible aux
mutations sociales, économiques et politiques.
Que l’on ne se méprenne pas sur le sens de cette articulation pour
laquelle je sollicite votre attention et vos éclairages. Oui, en amont,
il y a eu Le Journal, comme jadis dans les années 60 la revue LAMALIF.
Mais admettons qu’en aval, on ne peut parler de désillusion. A l’heure
actuelle la société civile marocaine n’est ni dans l’innocence et encore
moins dans la renonciation de ses droits fondamentaux. Merci de vous
arrêter dans le débat de cette conférence sur cette dialectique entre le
récit vivant, la narration profonde, les enquêtes du Journal, ce
briseur de tabous et le cheminement des hommes et des femmes qui portent
les idées de la modernité multiforme dont ils voudraient tatouer de
manière indélébile leur vision d’un Maroc qui surprendra le monde !
Au-delà de la chronique d’une expérience humaine, de journalistes
habités par un même idéal, de la trajectoire d’un hebdomadaire qui a
forgé l’admiration de tous y compris hors nos frontières, au-delà de
l’historicité d’un cas d’école du journalisme, je retiens l’idée
centrale d’une résistance intellectuelle aux formes multiples de
l’adversité et l’apparition sur la scène publique de femmes et d’hommes
qui ont définitivement ou presque rompu avec la culture de la peur et
appris à communiquer dans la transparence par le multimédia et à donner
du sens à leurs mobilisations.
Merci et excellents travaux à Bruxelles
Ahmed Benani
« A la liberté de penser s’oppose, en premier lieu, la contrainte civile. On dit, il est vrai, que la liberté de parler ou d’écrire peut nous être ôtée par une puissance supérieure, mais non pas la liberté de penser. Pourtant, ôter la liberté de communiquer publiquement ses pensées, n’est-ce pas aussi ôter la liberté de penser.---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
En second lieu, la liberté de penser est prise au sens où elle s’oppose à la contrainte exercée sur la conscience.
En troisième lieu, la liberté de penser signifie que la raison ne se soumette à aucune autre loi que celle qu’elle se donne à elle-même. Car l’inévitable conséquence de l’absence de loi dans la pensée, c’est que la liberté de penser y trouve finalement sa perte ».
Emmanuel Kant (Qu’est-ce que s’orienter dans la pensée ?)
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