Ce n’est pas fini…
- Par : Karim Boukhari, Tel Quel, 15/2/2013
(DR)
Le Mouvement du 20 février
se prépare à souffler sa deuxième bougie. Deux ans, ce n’est peut-être
pas assez pour renverser un régime ou révolutionner une mentalité, mais
c’est suffisant pour amorcer une vraie tendance de fond.
Né
à l’aube du Printemps arabe, à l’époque de tous les possibles, le
mouvement a rapidement grandi en séduisant les jeunes de tous bords et
en intégrant invariablement gauchistes et islamistes. Un mois après sa
naissance, il a pu rassembler plusieurs dizaines de milliers de
personnes, qui ont manifesté dans le même temps à travers tout le
royaume. Du jamais vu. Les raisons de ce succès fou, tel que le recul
nous permet aujourd’hui de les examiner, sont évidentes. L’explosion des
réseaux sociaux et la création d’une nouvelle communauté horizontale,
communiquant librement et en temps réel, telle que le Maroc n’en avait
jamais connue, en est une, et majeure. Nous vous expliquons la genèse et
la réalité, aujourd’hui, de cette véritable révolution par le Net .
Ce qu’il s’est passé à ce niveau est proprement
extraordinaire. Le premier verrou à sauter a été celui de la peur. La
presse ne peut pas caricaturer le roi par crainte d’interdiction, de
prison et de sanctions économiques ? Eh bien, les jeunes internautes
n’ont pas la même contrainte, alors ils se lâchent. Zéro tabou, zéro
interdit, les langues se sont déliées, l’information, l’analyse et le
commentaire ont été soudainement décuplés, démultipliés, “démocratisés”
et complètement ouverts aux quatre vents. Malgré les dérives inhérentes à
ce genre de situation nouvelle, sans encadrement et sans frein (les
insultes, la désinformation), pratiquement tout le monde s’est jeté dans
l’arène, même ce Maroc qui ne lisait pas ou se disait dépolitisé, pas
concerné, ringardisant au passage les moyens de communication et les
sources d’information classiques (télévision et journaux officiels). Ces
bouleversements en série ont rapidement érigé de nouveaux référentiels,
voire de nouveaux champions (les blogueurs et les “twitteurs”),
éveillant des vocations, et une conscience politique que l’on croyait
perdue. Tout un monde underground a pu émerger à la surface. Ce monde,
que l’on appelait généralement “la jeunesse”, et que l’on jugeait
cyniquement “oisif, désœuvré, désinformé, sans conscience sociale ni
politique”, a renversé la vapeur en étant désormais pris au sérieux. Il
est réel, actif, il a des opinions, quelque chose à dire. Il ne peut
pas, il ne peut plus être tenu en laisse.
Bien
entendu, l’émergence de ce Maroc dormant doit aussi beaucoup au
stimulateur externe qu’aura été le vent des révoltes arabes. Mais ce
vent a agi aussi bien en accélérateur qu’en décélérateur. L’euphorie qui
a accompagné la chute des Ben Ali, Moubarak et Kadhafi a été suivie par
une phase de désenchantement née des difficultés de l’après-révolution
dans les pays concernés. Contrairement à ce que l’on pourrait hâtivement
croire, l’apathie qui traverse actuellement le monde arabe n’a pas tué
le Mouvement du 20 février. Elle n’a pas renvoyé la jeunesse à son
underground ni replongé le Maroc dormant dans le sommeil. Il faudrait
être sourd et aveugle, et se couper les mains de son clavier et les
pieds de la rue, pour le croire. Le contrecoup et l’effet ressac des
révoltes arabes n’ont pas dégarni les rangs des contestataires. Ils ne
les ont pas assagis mais sont, au contraire, en train de leur offrir une
plus grande accumulation et un vécu plus riche. Les deux années que
l’on vient de vivre ne sont pas une parenthèse que l’on referme avant
d’aller se rendormir, mais le début de quelque chose de plus grand.
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