Au Maroc, le Mouvement du 20 Février (M20F), la variante marocaine du Printemps arabe, soufflera bientôt ses deux bougies. Nous avons rencontré Madmad Tahani, 21 ans, active dans le M20F à Rabat, pour faire le point sur l’évolution de la situation au Maroc.
Le 20 mars 2011, des dizaines de milliers de manifestants sont
descendus dans la rue à Casablanca. Le M20F, à l’initiative de cette
manifestation, est toujours actif, malgré la répression dont il est
l’objet. (Photo Magharebia, Mawassi Lahcen)
Où en est-on dans le M20F ?
Madmad Tahani. Dans presque chaque ville, il y a une
coordination, et chacune fonctionne à son rythme, sans véritable
direction ou coordination nationale. Sauf un mot d’ordre national
d’organiser chaque mois une manifestation dans chaque localité, partout
dans le pays.
À présent, il y a moins de monde qu’avant. Nous pensons que c’est à
cause de la répression. Le régime intervient de plus en plus durement
contre le mouvement. Actuellement, plus de 200 activistes sont en
prison. Nous nous battons pour leur libération, mais la peur s’est
installée et le mouvement est partiellement décapité. En outre, le
régime s’est efforcé d’essayer de discréditer et de dénigrer le
mouvement, en faisant croire que nous sommes manipulés par l’étranger et
servons un agenda « extérieur ». En plus, il essaie de jouer sur les
sentiments religieux des gens en nous présentant comme des athées qui
veulent combattre la religion.
En revanche, il y a maintenant de plus en plus de mouvements sociaux.
Des bidonvilles se soulèvent pour le droit au logement, des quartiers
se révoltent contre la hausse des prix, comme à Marrakech en décembre
dernier. Ces mouvements sont violemment réprimés. Une dizaine de
personnes ont été condamnées à un an de prison à Marrakech. D’autres
mouvements ont éclaté tant au Nord qu’au Sud du pays. Chaque fois autour
de problèmes socio-économiques.
Il y a quelques jours, à Fès, des étudiants ont été sauvagement
torturés suite à des protestations contre les mauvaises conditions
d’hébergement, et un étudiant en dernière année de droit a été tabassé à
mort par les forces de l’ordre. Cela a provoqué un grand émoi et une
mobilisation nationale des étudiants. La famille veut que la vérité soit
établie et demande une autopsie du corps.
Qu’a pu réaliser le mouvement jusqu’à présent ?
Madmad Tahani. Le mouvement a mis sur la table des thèmes
auparavant indiscutables comme le rôle de la monarchie, la Constitution.
Cela a forcé le pouvoir à une réforme constitutionnelle, même si nous
ne sommes pas satisfaits du résultat. Je pense que nous avons aussi joué
un rôle d’élément déclencheur dans les nombreux mouvements sociaux
actuels, comme dans les bidonvilles et les villages isolés.
Il y a un an, les islamistes se sont retirés du mouvement du 20 Février. Cela n’a-t-il pas affaibli le mouvement ?
Madmad Tahani. Je ne pense pas. Le mouvement islamiste Al Adl
Wal Ihsane (Justice et Bienfaisance) ne faisait pas partie du mouvement
au départ et n’a pas participé à son déclenchement. En plus, il
concentrait sa présence dans les grandes villes comme Casablanca,
Tanger, Rabat…, là où étaient les médias, créant ainsi l’impression
d’être la force dominante.
Lorsqu’il était dans le mouvement, cela créait des difficultés pour
faire respecter le principe de l’égalité entre hommes et femmes, par
exemple. Mais en fait leur impact sur les gens n’est pas tellement
important.
Mais ils ont tout de même gagné les élections…
Madmad Tahani. Il s’agit d’une autre composante du mouvement
islamiste, le PJD (Parti de la justice et du développement), qui a dès
le départ choisi de se rallier au pouvoir contre le mouvement du 20F. En
plus, pendant ces élections de 2011, il y a eu énormément d’abstention
(le taux de participation est estimé à moins de 25 %), car les gens sont
dégoûtés des processus électoraux truqués. Le PJD a participé aux
élections et les gens qui ont voté se sont dit « on a tout essayé, sauf
le PJD ». Le pouvoir devait faire croire à un changement et n’avait pas
beaucoup de choix, puisque tous les autres partis sont déjà passés par
le gouvernement. En plus, le discours religieux passe encore mieux pour
la majorité des votants.
Des mouvements ont éclaté tant au Nord qu’au Sud du pays. Chaque fois autour de problèmes socio-économiques.
Depuis fin 2011, le PJD est au pouvoir, et son président, Abdelilah
Benkirane, est chef du gouvernement. Cependant, ils n’ont rien fait pour
les gens, parce que, d’une part, ils n’ont pas de solutions aux
problèmes du pays et, d’autre part, ils n’ont pas le vrai pouvoir. Je ne
pense pas qu’ils regagneront les élections.
Ces deux mouvements islamistes, PJD et Al Adl Wal Ihsan, font un
travail caritatif parmi les plus pauvres et dans les écoles. L’État fait
semblant de les combattre mais, en réalité, il les laisse faire, il les
encourage même pour s’en servir contre la gauche. Si la gauche faisait
ce qu’ils font, le régime serait intervenu depuis longtemps pour
réprimer.
Quel est le rôle de la gauche dans le mouvement ? Joue-t-elle un rôle important ?
Madmad Tahani. La gauche est malheureusement trop divisée,
renfermée sur elle-même, trop occupée par ses querelles internes. Mais
il y a de nouvelles tentatives pour surmonter cela.
Heureusement, il y a le reste de la société civile, et surtout le
mouvement des droits humains et en particulier l’AMDH (Association
marocaine des droits humains) qui joue un rôle important et qui a formé
des jeunes.
Pourquoi le Printemps arabe au Maroc n’a-t-il pas pris la même ampleur qu’en Tunisie ou en Égypte ?
Madmad Tahani. Je pense qu’il y a le poids de l’histoire
répressive du régime marocain, et la crainte qu’ont créées les tournures
des choses en Lybie et en Syrie. Et puis, le mouvement n’a pas été
médiatisé de la même manière au Maroc qu’en Tunisie ou en Égypte.
Al-Jazeera, financée par la monarchie du Qatar, n’a pas eu la même
attitude au Maroc. Enfin, il y a aussi et surtout le soutien
inconditionnel de l’Occident au régime marocain.
Quels sont les problèmes de la jeunesse marocaine ?
Madmad Tahani. Les problèmes commencent à l’école, et même
avant, avec le manque d’accessibilité des soins de santé, des classes de
50 à 60 élèves, le manque de matériel, d’infrastructure… Tout le monde
n’a pas les possibilités d’aller à l’université, où il y a un gros
problème de logement, de manque de matériel et de professeurs… Et, après
d’éventuelles études, c’est le chômage qui attend les jeunes et la
répression du mouvement des diplômés sans emploi. Et puis, il y a aussi
la cherté de la vie, l’absence d’infrastructures culturelles, sportives
et récréatives.
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