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vendredi 22 février 2013

Maroc : Interview de Madmad Tahani, du M20F



Au Maroc, le Mouvement du 20 Février (M20F), la variante marocaine du Printemps arabe, soufflera bientôt ses deux bougies. Nous avons rencontré Madmad Tahani, 21 ans, active dans le M20F à Rabat, pour faire le point sur l’évolution de la situation au Maroc.


Le 20 mars 2011, des dizaines de milliers de manifestants sont descendus dans la rue à Casablanca. Le M20F, à l’initiative de cette manifestation, est toujours actif, malgré la répression dont il est l’objet. (Photo Magharebia, Mawassi Lahcen)

Où en est-on dans le M20F ?

Madmad Tahani. Dans presque chaque ville, il y a une coordination, et chacune fonctionne à son rythme, sans véritable direction ou coordination nationale. Sauf un mot d’ordre national d’organiser chaque mois une manifestation dans chaque localité, partout dans le pays.
À présent, il y a moins de monde qu’avant. Nous pensons que c’est à cause de la répression. Le régime intervient de plus en plus durement contre le mouvement. Actuellement, plus de 200 activistes sont en prison. Nous nous battons pour leur libération, mais la peur s’est installée et le mouvement est partiellement décapité. En outre, le régime s’est efforcé d’essayer de discréditer et de dénigrer le mouvement, en faisant croire que nous sommes manipulés par l’étranger et servons un agenda « extérieur ». En plus, il essaie de jouer sur les sentiments religieux des gens en nous présentant comme des athées qui veulent combattre la religion.
En revanche, il y a maintenant de plus en plus de mouvements sociaux. Des bidonvilles se soulèvent pour le droit au logement, des quartiers se révoltent contre la hausse des prix, comme à Marrakech en décembre dernier. Ces mouvements sont violemment réprimés. Une dizaine de personnes ont été condamnées à un an de prison à Marrakech. D’autres mouvements ont éclaté tant au Nord qu’au Sud du pays. Chaque fois autour de problèmes socio-économiques.
Il y a quelques jours, à Fès, des étudiants ont été sauvagement torturés suite à des protestations contre les mauvaises conditions d’hébergement, et  un étudiant en dernière année de droit a été tabassé à mort par les forces de l’ordre. Cela a provoqué un grand émoi et une mobilisation nationale des étudiants. La famille veut que la vérité soit établie et demande une autopsie du corps.

Qu’a pu réaliser le mouvement  jusqu’à présent ?

Madmad Tahani. Le mouvement a mis sur la table des thèmes auparavant indiscutables comme le rôle de la monarchie, la Constitution. Cela a forcé le pouvoir à une réforme constitutionnelle, même si nous ne sommes pas satisfaits du résultat. Je pense que nous avons aussi joué un rôle d’élément déclencheur dans les nombreux mouvements sociaux actuels, comme dans les bidonvilles et les villages isolés.

Il y a un an, les islamistes se sont retirés du mouvement du 20 Février. Cela n’a-t-il pas affaibli le mouvement ?

Madmad Tahani. Je ne pense pas. Le mouvement islamiste Al Adl Wal Ihsane (Justice et Bienfaisance) ne faisait pas partie du mouvement au départ et n’a pas participé à son déclenchement. En plus, il concentrait sa présence dans les grandes villes comme Casablanca, Tanger, Rabat…, là où étaient les médias, créant ainsi l’impression d’être la force dominante.
Lorsqu’il était dans le mouvement, cela créait des difficultés pour faire respecter le principe de l’égalité entre hommes et femmes, par exemple. Mais en fait leur impact sur les gens n’est pas tellement  important.

Mais ils ont tout de même gagné les élections…

Madmad Tahani. Il s’agit d’une autre composante du mouvement islamiste, le PJD (Parti de la justice et du développement), qui a dès le départ choisi de se rallier au pouvoir contre le mouvement du 20F. En plus, pendant ces élections de 2011, il y a eu énormément d’abstention (le taux de participation est estimé à moins de 25 %), car les gens sont dégoûtés des processus électoraux truqués. Le PJD a participé aux élections et les gens qui ont voté se sont dit « on a tout essayé, sauf le PJD ». Le pouvoir devait faire croire à un changement et n’avait pas beaucoup de choix, puisque tous les autres partis sont déjà passés par le gouvernement. En plus, le discours religieux passe encore mieux pour la majorité des votants.
Des mouvements ont éclaté tant au Nord qu’au Sud du pays. Chaque fois autour de problèmes socio-économiques.
Depuis fin 2011, le PJD est au pouvoir, et son président, Abdelilah Benkirane, est chef du gouvernement. Cependant, ils n’ont rien fait pour les gens, parce que, d’une part, ils n’ont pas de solutions aux problèmes du pays et, d’autre part, ils n’ont pas le vrai pouvoir. Je ne pense pas qu’ils regagneront les élections.
Ces deux mouvements islamistes, PJD et Al Adl Wal Ihsan, font un travail caritatif parmi les plus pauvres et dans les écoles. L’État fait semblant de les combattre mais, en réalité, il les laisse faire, il les encourage même pour s’en servir contre la gauche. Si la gauche faisait ce qu’ils font, le régime serait intervenu depuis longtemps pour réprimer.

Quel est le rôle de la gauche dans le mouvement ? Joue-t-elle un rôle important ?

Madmad Tahani. La gauche est malheureusement trop divisée, renfermée sur elle-même, trop occupée par ses querelles internes. Mais il y a de nouvelles tentatives pour surmonter cela.
Heureusement, il y a le reste de la société civile, et surtout le mouvement des droits humains et en particulier l’AMDH (Association marocaine des droits humains) qui joue un rôle important et qui a formé des jeunes.

Pourquoi le Printemps arabe au Maroc n’a-t-il pas pris la même ampleur qu’en Tunisie ou en Égypte ?

Madmad Tahani. Je pense qu’il y a le poids de l’histoire répressive du régime marocain, et la crainte qu’ont créées les tournures des choses en Lybie et en Syrie. Et puis, le mouvement n’a pas été médiatisé de la même manière au Maroc qu’en Tunisie ou en Égypte. Al-Jazeera, financée par la monarchie du Qatar, n’a pas eu la même attitude au Maroc. Enfin, il y a aussi et surtout le soutien inconditionnel de l’Occident au régime marocain.

Quels sont les problèmes de la jeunesse marocaine ?

Madmad Tahani. Les problèmes commencent à l’école, et même avant, avec le manque d’accessibilité des soins de santé, des classes de 50 à 60 élèves, le manque de matériel, d’infrastructure… Tout le monde n’a pas les possibilités d’aller à l’université, où il y a un gros problème de logement, de manque de matériel et de professeurs… Et, après d’éventuelles études, c’est le chômage qui attend les jeunes et la répression du mouvement des diplômés sans emploi. Et puis, il y a aussi la cherté de la vie, l’absence d’infrastructures culturelles, sportives et récréatives.

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