17 février 2013
Par Niko, Mediapart, 17/2/2013
Verdict donné peu avant 3 h du matin, ce dimanche 17 février 2013.
Comment appelle-t-on un procès qui condamne 9 personnes à perpétuité,
4 personnes à 30 ans d’emprisonnement, 7 autres à 25 ans, et 3 à 20
ans,
pour "constitution de bandes criminelles, violences sur des forces de
l'ordre ayant entraîné la mort avec préméditation et mutilation de
cadavres",
alors que :
– aucune preuve tangible de leur participation au crime n’a été fournie ;
– ont été relevés seulement des aveux obtenus pendant leur
incarcération, dont les accusés disent qu’ils ont été extorqués sous la
torture, mais le tribunal refuse l’enquête réclamée sur cet aspect ;
– si des « témoins » de l’accusation sont venus au tribunal, le
premier appelé à la barre a dit n’avoir rien vu, et pour les suivants,
le président a renoncé à les entendre !???
Une parodie de procès ?
Pour faire bonne mesure, ce tribunal militaire, le Tribunal
militaire permanent de FAR (Forces armées royales marocaines) ne livre
que des jugements sans appel. On ne reviendra donc jamais sur le fond. (Un éventuel pourvoi en cassation serait possible).
Les parents des victimes se sont déclarés satisfaits des condamnations prononcées.
Pour sa part, Driss El-Yazami, le président du Conseil National des
Droits de l’Homme (CNDH), une institution créée par le roi, a évoqué
dans un pré-rapport publié vendredi 15 février 2013, l’avant-veille du
verdict, le « bon déroulement » du procès, ajoutant qu’il a été marqué
« par le respect des procédures » existantes et s'est ainsi « déroulé de
manière plutôt satisfaisante sur le plan formel ».
Tout va donc pour le mieux dans le Royaume enchanté : la mort des
jeunes victimes marocaines lors du démantèlement par la force du camp de
Gdeim Izik ne va plus « faire tache » dans l’opinion publique
intérieure, et les apparences d’un procès « qui respecte les
procédures » sont sauves, le Maroc, un tout petit peu sur la sellette
ces derniers temps, pourra ainsi, du moins l’espère-t-il, passer son
test de pays respectueux des droits de l’homme auprès des puissances
pour qui cela compte, l’Union européenne et la France au premier chef…
Il ne faudrait justement pas que ces puissances si déterminantes fassent semblant d’ignorer ce qui s’est vraiment passé.
Ce qui s’est passé
Sur le plan formel, les droits de la défense ont été dans l’ensemble
respectés : les avocats ont pu mener leurs plaidoiries, et les accusés
s’exprimer librement, ce dont ils ne se sont pas privés.
C’est bien sur le fond que cela ne va pas.
Les observateurs espagnols qui étaient au procès le rapportent (je
traduis une dépêche de RTVE.es/EFE ce matin 17-02 à 2 h 57) :
« Les visages des avocats de la défense marquèrent la stupeur à la
lecture du verdict : pendant une semaine ils s’étaient employés à
démontrer qu’il n’y avait aucune preuve consistante contre les accusés,
et que tout était basé sur leurs aveux devant la police, qui au Maroc
ont valeur de preuve, bien qu’ils aient été niés ensuite devant le
tribunal par les accusés.
En vérité, ces derniers –qui ont passé deux années et trois mois en
détention préventive – ont dénoncé systématiquement devant la salle
d’audience le fait qu’on les avait torturés pour leur arracher ces
aveux, mais le juge s’est refusé à investiguer sur ces plaintes.
La présentation d’armes qui ne portent aucune empreinte digitale
d’aucun des accusés, la projection d’une vidéo où il est impossible
d’identifier aucun d’entre eux, l’absence de toute autopsie des cadavres
et l’absence d’identification de toute empreinte ADN ont constitué les
arguments de la défense pour démontrer la faiblesse des autres
« preuves » avancées par l’accusation.
Lors d’une des ultimes audiences du procès, le procureur a exhibé, en
guise de nouvelle preuve « accablante », des photographies anciennes de
plusieurs des accusés aux côtés du président du Front Polisario
(mouvement pour l’indépendance du Sahara Occidental), ce qui selon lui
démontrait leur culpabilité.
La défense et les accusés se sont félicités ironiquement de la
présentation de ces photographies, car, selon eux, cela démontrait que
la relation des accusés avec le mouvement indépendantiste était la vraie
raison de leur accusation, et non leur participation aux assassinats
des onze agents des forces de l’ordre, qu’ils ont niée catégoriquement.
Bien plus, les défenseurs ont saisi l’occasion de leur ultime tour de
parole pour exprimer leur solidarité avec les familles des victimes,
pour remercier l’appui qu’ils ont reçu des associations marocaines de
défense des droits de l’homme, et pour souligner qu’ils n’avaient aucun
problème avec le peuple marocain, mais seulement avec leur État. »
Un procès en effet politique
Il a consisté à faire endosser à 24 militants pacifiques qui
revendiquent l’autodétermination du peuple du Sahara Occidental la
responsabilité du climat de violence dans lequel a été effectué le
démantèlement du camp de protestation de 3000 à 8000 tentes (selon les
sources) de Gdeim Izik, à 15 km d’El Aïoun au Sahara Occidental, le 8
novembre 2010.
Or ce sont bien les forces de l’ordre marocaines (armée, forces
auxiliaires, etc.) qui ont détruit brutalement ce camp, appelé
« campement de la liberté » par ses milliers d’habitants de l’époque :
la responsabilité des autorités marocaines est totalement engagée dans
cette opération sur le territoire du Sahara Occidental, territoire non
autonome qu’elles occupent illégalement.
Le Maroc a annexé le Sahara Occidental à partir de la fin 1975. Mais
aucun pays au monde, et pour cause, ne reconnaît sa souveraineté sur ce
territoire, le peuple sahraoui n’ayant toujours pas pu exercer son
droit à disposer de lui-même.
Et il suffirait que des militants du procès de Gdeim Izik
apparaissent sur d’anciennes photos aux côtés de dirigeants du Polisario
pour qu’ils puissent être considérés comme coupables de meurtres et
condamnés comme tels, en toute iniquité ?
Il est grand temps que cesse l’hypocrisie de pays comme la France*,
qui montre toujours un préjugé favorable à l’égard du Maroc, notamment
vis-à-vis de sa proposition d’autonomie pour les Sahraouis, et qui met
son veto au Conseil de sécurité lorsqu’il s’agit de confier à la MINURSO
(la mission des Nations Unies pour le Sahara Occidental) la
surveillance des droits de l’homme dans le territoire.
En effet, quelle autonomie peut bien proposer le Maroc aux Sahraouis
lorsque, dès qu’ils tentent de s’exprimer sur leur destin, c’est la
répression la plus rude et des procès sans fondement juridique qui les
attendent ?
Il est possible en revanche pour la France et l’Union européenne
d’œuvrer à la résolution de ce conflit vieux de 40 ans : en imposant
l’exercice du droit à l’autodétermination des Sahraouis sous l’égide des
Nations Unies, tout en favorisant les négociations entre le Maroc et le
Front Polisario, avec l’implication des pays de la région, qui ont tous
intérêt à la paix.
« Il est préoccupant qu’elles ignorent également les allégations des accusés sahraouis, qui affirment avoir été torturés en vue de leur extorquer des " aveux ".
« Le recours aux tribunaux militaires et l’absence d’enquête sur ces allégations de torture jettent de sérieux doutes sur les intentions des autorités marocaines et amènent à s’interroger sur leur volonté de garantir un jugement de culpabilité, plutôt que de rendre justice. » Amnesty appelle les autorités marocaines à rejuger les 25 Sahraouis dans le cadre de procès équitables devant des tribunaux civils.
La FIDH s'est exprimée dans le même sens : "la FIDH estime que le procès n’a pas respecté les normes internationales du droit à un procès équitable, et entre autres, le droit d’être jugé par un tribunal compétent, indépendant et impartial et le droit au double degré de juridiction. Au regard de ces manquements, la FIDH appelle à l’ouverture d’une nouvelle procédure qui garantirait tous les droits des accusés en conformité avec les normes internationales. "
En Espagne, les Associations de soutien au pleuple Saharaoui organisent un grand rassemblement à Madrid, jeudi 21 à 18 h, pour protester contre ce jugement. Lundi soir, lors de la remise des Goyas (équivalent de la cérémonie des Césars), l'acteur Javier Bardem, producteur de Hijos de las Nubes ("Fils des Nuages", sur les Sahraouis), qui a reçu le Goya du meilleur documentaire, s'est exprimé avec force contre ce procès de Gdeim Izik : http://www.rtve.es/m/alacarta/videos/goya-2013/hijos-nubes-mejor-documental-goya-2013/1692898/?media=
Il n'est pas jusqu'à l'ambassade des Etats-Unis à Rabat qui, d'après ce que l'on vient d'apprendre, envoie en ce début de semaine une délégation à El Aïoun pour y recueillir plus d'informations sur ces 25 condamnations, et qui, en particulier, y rencontrera les associations sahraouies de défense des droits de l'homme.
Qu'est-ce qui retient l'ambassade de France de faire de même ?
Gdeim Izik : Des civils sahraouis jugés devant un tribunal militaire au Maroc: un procès vicié à la base
Le procès s'est ouvert à Rabat le 1er février. Les prévenus, parmi lesquels plusieurs militants de la cause sahraouie, doivent répondre de violences intervenues pendant et après le démantèlement, en novembre 2010, du camp de protestation de Gdim Izik (près de Laayoune, au Sahara occidental). Onze membres des forces de sécurité et deux Sahraouis avaient trouvé la mort lors de ces événements.
La plupart des prévenus ont déclaré qu'ils avaient été soumis à la torture et à d'autres formes de mauvais traitements à différents moments de leur détention provisoire, qui dure depuis deux ans. Plusieurs auraient été amenés à signer des « aveux » sous la contrainte.
« Juger des civils devant un tribunal militaire est contraire aux normes d'équité reconnues au plan international, a déclaré Philip Luther, directeur du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord d'Amnesty International. Les 24 prévenus doivent être traduits devant un tribunal civil et bénéficier de toutes les garanties en matière de droits humains afférentes à une procédure civile. Ils ne doivent en aucun cas être condamnés à la peine capitale.
« Les allégations de torture formulées par les personnes détenues doivent faire l'objet d'une enquête, et le tribunal doit écarter tout élément de preuve obtenu sous la torture. Les autorités doivent en outre lancer une enquête indépendante et impartiale sur les événements survenus à Gdim Izik – ce qu'elles auraient dû faire il y a deux ans déjà. »
Les 24 prévenus, parmi lesquels se trouvent des membres d'organisations sahraouies de la société civile et des militants politiques sahraouis, sont accusés d'appartenance à une organisation criminelle, de violences contre un fonctionnaire et de mutilation de cadavre.
Le crime de violences contre un fonctionnaire est passible de la peine de mort lorsque ces violences donnent lieu à un homicide volontaire.
Le 8 novembre 2010, des affrontements ont éclaté lorsque les forces de sécurité marocaines sont intervenues pour évacuer de force et démanteler le camp de protestation de Gdim Izik, à quelques kilomètres à l'est de la ville de Laayoune (Sahara occidental, sous administration marocaine).
Ce campement avait été installé au début du mois d'octobre par des Sahraouis qui entendaient protester contre leur marginalisation et réclamer des emplois et un logement convenable.
Onze membres des forces de sécurité et deux Saharaouis avaient été tués dans ces violences.
Quelque 200 Sahraouis ont été arrêtés par les forces de sécurité dans les jours qui ont suivi. D'autres interpellations sont intervenues en décembre.
Si la plupart des personnes arrêtées ont été remises en liberté, les 24 prévenus comparaissant le 1er février ont déjà passé deux années en détention provisoire dans la prison de Salé, à Rabat.
Amnesty International a publié en décembre 2010 un rapport élaboré à la suite d'une mission effectuée au Maroc et au Sahara occidental pour enquêter sur des allégations d'atteintes aux droits humains commises dans le cadre des événements intervenus le 8 novembre à Gdim Izik et Laayoune.
Après avoir examiné, en décembre 2011, la situation au Maroc, le Comité des Nations unies contre la torture a estimé que le pays « devrait renforcer les mesures prises pour que des enquêtes approfondies, impartiales et efficaces soient menées rapidement sur les violences et les décès survenus à l’occasion du démantèlement du camp de Gdeim Izik, et que les responsables soient traduits en justice ». Le Maroc doit en outre « modifier sa législation afin de garantir à toutes les personnes civiles d’être jugées exclusivement par des juridictions civiles », a indiqué le Comité.
Lors de sa visite effectuée au Maroc et au Sahara occidental en septembre 2012, le rapporteur spécial des Nations unies sur la torture, Juan Méndez, a noté que les procureurs et les juges d'instruction n'ouvraient que rarement des enquêtes sur les allégations faisant état de l'utilisation de la torture dans les premières phases de l'enquête, pour obtenir des éléments de preuve ou des « aveux ».
« Le système de plaintes relatives aux allégations de torture et de mauvais traitements, à de rares exceptions près, ne semble fonctionnel qu’en droit mais pas dans la pratique », a indiqué Juan Méndez, et « cela semble également être le cas pour les enquêtes, les poursuites et peines prononcées à l’égard des auteurs. Cette lacune doit disparaître », a-t-il conclu.
Annie Delay
Coordinatrice Maroc/Sahara occidental
Amnesty International France
http://www.amnesty.fr
01 53 38 65 62
Merci de consulter régulièrement notre page « Avec Amnesty pour les droits dans la région Moyen Orient et Afrique du Nord » mise à jour régulièrement :
www.facebook.com/AmnestyMoyenOrientAfriqueduNord; cet espace est public, vous n'avez pas besoin d'une page facebook personnelle.
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------