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mardi 19 février 2013

Face à Ennahda, la révolution doit refleurir en Tunisie



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Édité par Alexis Toulon  Auteur parrainé par François Reynaert
Grève générale en Tunisie le 8 février 2013
Grève générale en Tunisie le 8 février 2013 (HAMMI/SIPA)

TUNISIE. L’assassinat de Chokri Belaïd, figure emblématique de la gauche tunisienne, marque un tournant majeur dans la transition politique qui a suivi la chute du régime de Ben Ali en 2011.

C’est la nature même de ce changement qui est questionnée : va-t-il s’orienter vers une démocratie véritable ou est-il en train de sombrer dans le chaos voire la "guerre civile" ?

Aucune révolution n’est un long fleuve tranquille, pas plus en Tunisie qu’ailleurs.

Ces derniers mois l’ont montré : un dirigeant d’un parti d’opposition a été lynché dans le sud tunisien par une foule en furie se réclamant de "ligues de protection de la révolution" (LPR), des réunions publiques ont été perturbées voire empêchées, des personnalités politiques ou de la société civile tout comme quelques journalistes ou encore des artistes ont été molestés et intimidés, des mouvements sociaux ont été violemment réprimés, l’ambassade américaine a été attaquée par des salafistes djihadistes et la liste n’est pas exhaustive.

La laïcité : l'ennemi d'Ennahda

C’est dans ce climat délétère que l’irréparable s’est produit. Chokri Belaïd, dont le courage ne s’est jamais démenti, se savait menacé : il n’a cessé de dénoncer les appels à la haine et au meurtre propagés impunément sur les réseaux sociaux ou par des "prédicateurs" qui se sont appropriés certaines mosquées.

Le parti Ennahda qui occupe tous les ministères dits régaliens, doit assumer la pleine responsabilité politique de cette situation dramatique.

L’a-t-il sciemment voulu comme pourrait le laisser penser sa coupable passivité voire sa participation active à l’instauration d’une violence politique qui est allée crescendo, notamment par le biais de ces LPR, transformées en authentiques milices à la solde du pouvoir ?

C’est ce que clament clairement l’opposition et une frange de plus en plus importante de la population qui est descendue massivement dans la rue à l’occasion de l’enterrement de Chokri Belaïd pour crier sa colère et son ras-le-bol.

Des milliers de Tunisiens assistent à l'enterrement de Chokri Belaïd le 8 février 2013 près de Tunis
Des milliers de Tunisiens assistent à l'enterrement de Chokri Belaïd le 8 février 2013 près de Tunis. (HAMMI/SIPA) 

Les dirigeants d’Ennahda tentent tant bien que mal de s’exonérer d’une telle responsabilité et cherchent à l’imputer aux "résidus" contre-révolutionnaires de l’ancien régime ou encore à quelques "puissances étrangères" hostiles.

Avant que l’enquête ne révèle l’identité des assassins et de leurs commanditaires (à supposer qu’elle aboutisse, ce dont beaucoup doutent), il serait irresponsable d’accuser nommément le parti au pouvoir d’un tel crime.

Il n’en demeure pas moins qu’il est l’aboutissement tragique d’un échec gouvernemental patent.

C’est ce que semble avoir compris le chef même de ce gouvernement, Hamadi Jébali qui vient de décider de nommer une équipe sans appartenance partisane, pour gérer les affaires courantes jusqu’à la tenue des prochaines élections générales. Contre l’avis de sa propre formation, Ennahda.

Le pouvoir sépare les islamistes

Ces dissensions qui éclatent au grand jour, montrent que les islamistes ne sont pas tous sur la même ligne politique. Hamadi Jébali, conscient que la Tunisie est, sans conteste, à un tournant de son histoire, agit – au moins en apparence – en homme d’Etat.

A dire vrai, la solution qu’il préconise désormais, avait été réclamée par de nombreux partis d’opposition à l’issue des élections pour l’assemblée constituante en octobre 2011 : les députés se seraient consacrés à la rédaction de la constitution, tâche pour laquelle ils ont été élus.

Mais c’était sans compter sur la volonté d’une grande partie des islamistes (et à leur tête le "cheikh" Rached Ghannouchi), forts de la légitimité conférée par les urnes, d’exercer pleinement le pouvoir, sans plus attendre.

Vers une confédération islamique ?

En vérité, nombreux sont ceux qui pensent que cette tendance au sein d’Ennahda n’a d’autre but que l’accaparement de l’Etat tunisien pour promouvoir, à terme, un vaste projet transnational de confédération islamique.

L’hypothèse peut paraitre alarmiste ou exagérée mais ne doit pas être pour autant négligée.

La controverse constitutionnelle qui s’est engagée autour du caractère "civil" de l’Etat tunisien sera, à cet égard, cruciale. En clair, la question de la laïcité est plus que jamais posée.

Or, force est de constater que les "laïcs" ont perdu, de ce point de vue, la bataille de la communication et de la pédagogie politiques tant le terme même est devenu tabou car synonyme d’athéisme ou pire d’apostasie.

Ce qui vaut condamnation à mort pour certains esprits embrigadés. Chokri Belaïd en a sans doute été victime.

Laïcité et islam solubles dans la démocratie 

Pourtant, même le chef du gouvernement turc, l’islamiste Erdogan dont le parti l’AKP avait été érigé – un temps- en modèle par Ennahda, avait expliqué à Tunis même que la laïcité était tout à fait compatible avec l’islam.

Mieux, que cette notion – inscrite en toute lettre dans la constitution turque - était le meilleur rempart de la démocratie contre toute tentation théocratique.

En effet, comment discuter des lois et autres aspects de la vie d’une nation si l’une des parties au lieu d’user d’arguments rationnels, se prévaut d’un dogme religieux, par définition immuable, pour clore tout débat ?

La séparation – étanche - de la sphère politique et religieuse est donc indispensable.

La Tunisie est ouverte à la laïcité

Ce qui n’empêche nullement que des politiques s’inspirent de la spiritualité que confère la religion pour promouvoir leurs idées et leurs conceptions du monde mais sans prétendre imposer tel ou tel précepte au motif qu’il s’agit là de la "parole de Dieu". A défaut, la démocratie serait menacée. En Tunisie, comme partout ailleurs.

Contrairement à une idée reçue, ce discours est tout à fait audible par de larges pans de la société tunisienne et pas seulement dans les milieux "instruits" ou "occidentalisés".

La sécularisation ancienne de la Tunisie, son histoire millénaire qui en a fait une terre de brassage de cultures et de civilisations, sa conquête récente de la liberté de parole, sont autant d’atouts qui peuvent rassembler les Tunisiens et transcender les antagonismes sociaux.

Sauf que l’opposition aurait tort de considérer que le seul rejet du dogmatisme de certains islamistes conjugué à l’émotion suscitée par l’assassinat de Chokri Belaïd suffira à leur attirer les suffrages populaires.

Ennahda : puissance militante bien organisée 

Sans discours ni perspectives qui prennent en compte la désespérance sociale des habitants de nombreuses régions et quartiers délaissés, sans effort visant à faire participer les citoyens à la vie politique en démocratisant le fonctionnement de leurs partis pour y attirer des militants susceptibles de relayer leurs idées, le camp "laïc" risque, à nouveau, de se fourvoyer.

Car, en face, Ennahda, dispose d’un vaste réseau militant, présent partout et de longue date. Et l’argent de certains pays du Golfe – qui n’ont sans doute pas "intérêt" que l’expérience tunisienne réussisse – ne manque pas.

Oui, la Tunisie est à un tournant. Le meilleur hommage que l’on puisse rendre à Chokri Belaïd est de ne pas emprunter des chemins de traverse qui conduisent à une impasse ou à l’affrontement destructeur.

Chacun doit prendre ses responsabilités y compris dans le rang des islamistes soucieux de la pérennité de la jeune démocratie tunisienne. Sans jamais oublier les principaux mots d’ordre de la révolution : liberté, dignité et justice sociale.

A cette condition, réalisable, possible, en vérité vitale, la mort de Chokri Belaïd, aura été le ciment d’une nation fière de sa liberté reconquise. Avec l’aide de tous ceux qui sont attachés à la démocratie, les Tunisiens sont capables de faire refleurir le printemps sur cette rive sud de la Méditerranée.

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