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vendredi 11 janvier 2013

Mohamed El Marouani: « Les ingrédients d’une nouvelle vague de révoltes sont désormais réunis au Maroc ! »

Question : On se souvient de l’oraison funèbre particulièrement émouvante que vous avez prononcée aux funérailles du cheikh Abdessalam Yassine. Ceux qui ne vous connaissaient pas, ont pu ainsi apprécier vos talents d’orateur, alors que vous meniez une violente charge contre ceux que vous qualifiez de « normalisateurs et les collaborationnistes de la tyrannie et de la corruption». Qui êtes-vous Mohamed El Marouani ?
Réponse : Licencié en sciences économiques, option économétrie et titulaire d’un diplôme d’études supérieures (DES) en gestion, je suis chercheur sur les questions de la pensée politique islamique et prépare actuellement une thèse doctorale sur « la Théorie de la légitimité du pouvoir politique en Islam ».
Marié et père de trois enfants, Je suis administrateur principal et responsable d’études à Maroc Telecom et ex-vacataire à l’Institut national des postes et télécommunications, cycle des gestionnaires.
Président-fondateur du Mouvement pour la Oumma de 1998 à 2011, je suis le coordinateur national actuel du parti du même nom. Ex-militant et responsable syndical, j’ai également fondé nombre d’associations et de coordinations civiles, participé aux actions de défense des droits de l’homme (débats ou manifestions de protestations ou de solidarité avec les prisonniers politiques et pour délit d’opinions). Ex-détenu politique, j’ai été condamné à une peine de vingt cinq (25) ans ramenée à dix (10) ans en appel, avant d’être libéré, le 14 avril 2011, dans le sillage des manifestations du Mouvement du 20 Février. Je suis l’auteur de plusieurs publications sur différents thèmes (Constitution et démocratie, enseignement, économie… etc ) dont notamment, un ouvrage sur le pouvoir politique dans la pensée politique islamique historique et contemporaine (publié sous forme d’articles).

Quelles étaient vos relations avec cheikh Yassine et Al Adl wal Ihsane ?
Cheikh Yassine était l’un des rares leaders dans ce pays à avoir continuellement et sans répit, fait la démonstration d’un courage à nul autre pareil, contre le despotisme et la corruption. Ses adresses témoignent de la grandeur du personnage. Malgré l’incarcération, l’assignation à domicile, les persécutions et l’enfermement psychiatrique, il n’a jamais infléchi sa lutte.
Par ailleurs, l’homme était un intellectuel, porteur d’un projet de société doué de qualités incontestables, nécessaires au leadership et le charisme qui va avec. Il en fallait pour accompagner et faire évoluer Al Adl Wal Ihsane vers la place importante qu’elle occupe aujourd’hui dans le champ politique marocain.
Les relations que nous avions tissées tant avec lui qu’avec son organisation étaient et demeurent bâties sur le respect mutuel, la coopération et la solidarité.

Vous avez été condamné à vingt cinq ans de prison, avant d’être gracié par le roi ? Quelles ont été les circonstances de votre arrestation et votre condamnation ?
Dès 2006, le Makhzen avait mis en place un plan politico-sécuritaire visant la restructuration (ou plutôt le reformatage) de la scène politique marocaine dont les grandes lignes sont :
- Démantèlement forcé ou consenti des partis administratifs pour la refondation d’un contexte politique en adéquation avec les besoins du Makhzen,
- Répressions des médias indépendants,
- Affaiblissement de la mission électorale du PJD (sur le plan politique, le PJD ne représente plus aucune menace pour le régime politique makhzénien)
- Poursuite de l’opération de fichage sécuritaire à l’encontre d’Al Adl Wal Ihsane en vue de les contenir comme l’a si bien signalé Pierre Vermeren dans son ouvrage « la transition inachevée ».

C’est dans ce contexte politique que s’est déroulée notre arrestation et notre condamnation. Le Makhzen a pris le pli d’autoriser les partis qui se rangeaient à sa vision politique et ne pouvait décemment pas tolérer un parti politique qui revendiquait sa liberté et son autonomie et était donc aux antipodes de sa nature despotique. A défaut de soumettre le parti, et convaincre ses responsables, le Makhzen a choisi de nous museler en nous intentant un procès inéquitable au cours duquel la présomption d’innocence a été magistralement violée par le ministre de l’intérieur de l’époque, Chakib Benmoussa. A la clé un jugement d’une médiocrité inégalée.

Comment peut-on être condamné aussi lourdement, un jour, et être purement et simplement libéré un peu plus tard ? N’est-ce pas là une preuve que les mêmes méthodes de manipulation et de dissuasion sont appliquées par le Makhzen? Et n’est-ce pas là, un aveu de votre innocence et peut-être aussi, celle d’autres condamnés ?
Aucun doute à ce propos ! Le makhzen était persuadé que les conditions étaient réunies pour asseoir son hégémonie sur le champ politique. Il n’aura pas dérogé à cette approche Keynésienne qu’ont tous les régimes despotiques de la vie politique. Ils sont, dans leur essence, obnubilés par une vision à court terme. « A long terme, nous serons tous morts ». Le projet, toujours le même, tuer dans l’œuf toute tentative de lutte contre le despotisme et la corruption.
Mais c’était compter sans le Mouvement du Vingt février qui, dans le sillage de ce que l’on a appelé « Le Printemps arabe », a contrecarré les plans du Makhzen qui a été ainsi contraint de nous libérer. Nous devons, pour l’essentiel, notre libération à ce Mouvement. Un juste retour de bâton pour ceux qui nourrissaient l’ambition de porter atteinte à nos droits les plus élémentaires, et entacher notre réputation pour nous couper de notre base et nous aliéner l’opinion publique. Notre libération est un revers manifeste pour l’administration du Makhzen qui a toujours privilégié les choix sécuritaires au détriment d’une stratégie de développement.
Toutefois, je dois déplorer un bémol à cette victoire. D’autres détenus islamistes continuent de croupir dans les prisons. Une sorte de monnaie d’échange pour nous contraindre à un changement dans nos choix politiques. En pure perte, tant notre détermination de lutter pacifiquement pour l’instauration d’un véritable État de droit où les marocains, pourront jouir d’une vie décente et où les richesses seront réparties de façon équitable, reste entière.

La cour d’appel a refusé la constitution du parti politique «AL Oumma» dont vous projetiez la création. C’est sans doute un signe qu’on vous tient encore à l’œil, malgré la grâce dont vous avez bénéficié. A-t-on justifié ce refus ?
Pour notre malheur, le pouvoir judiciaire n’est pas indépendant et souffre de problèmes structurels profonds. Un exemple : le tribunal administratif s’est prononcé en appel contre la constitution du parti Al Oumma, alors même que le délégué royal pour la défense du droit et de la loi, partie neutre, avait émis un avis favorable. Un verdict scandaleux, quand on sait que le jugement a été fondé sur des questions de délai de prescription des attestations d’inscription dans les listes électorales, sur une décision ministérielle et ce en dépassement flagrant de la loi et de son décret d’application. Un argument qui équivaut à rejeter toutes les attestations fournies par les députés à l’occasion des élections du 25 novembre 2011.
En réalité, le refus d’autoriser la constitution du parti Al Oumma est une décision purement politique qui ne peut être dissociée du contexte général fait de répression des libertés, de procès fabriqués contre les militants du 20 février et d’emprisonnement politique dans des conditions contraires à la dignité humaine.

Beaucoup parmi les vingt février semblent convaincus qu’un accord à tout le moins informel, sinon tacite aurait été passé entre le PJD et Al Adl Wal Ihsane, ainsi que d’autres mouvances islamistes, afin de donner à Benkirane et son gouvernement une chance d’expérimenter leur programme politique. Certains n’hésitent pas à suspecter un accord sous les auspices ou à l’instigation du Makhzen. Ils évoquent une trahison. Qu’en pensez-vous ?
Je ne me permettrais pas de répondre à leur place. Vous pourrez toujours leur poser la question. En ce qui concerne le parti Al Oumma, nos positions resteront inchangées tant que le contexte actuel demeurera le même. Nous serons toujours aux côtés des opprimés, opposés au despotisme, à la tyrannie et la corruption. Le retrait d’Al Adl Wal Ihsane, avec qui nous partageons bon nombre de points de vue, est une décision politique interne. Nous devons la respecter. Au demeurant, s’ils ont quitté les manifestations, ils n’ont pas quitté la scène, mais affirment leur propre ligne politique. Enfin, faut-il le souligner, nul ne peut soupçonner Al Adl Wal Ihsane d’avoir jamais eu d’affinités avec le pouvoir.

En Tunisie et en Egypte le premier réflexe des islamistes, au lendemain de la révolution,  semble vouloir être celui d’en découdre avec les mouvements laïcs, de chercher à s’incruster constitutionnellement, tout en agitant la Charia, comme une menace, sans jamais apporter de solution démocratique. Quelle est la place du concept de la démocratie dans votre esprit?
Tout d’abord, il nous faudrait nuancer le propos. Ce qui se passe en Tunisie et en Egypte n’a rien à voir avec l’adoption ou non de la Démocratie. L’Egypte et la Tunisie vivent une période de transition démocratique que l’on peut assimiler à une « zone de turbulence ». Dans un tel contexte, on relève deux types d’évènements :
• Des évènements que l’on peut qualifier de normaux ou naturels, liés au débat politique qui agite la société civile et met aux prises des projets politiques diverses: nationalistes, libéraux, gauchistes et islamistes. Cette diversité est à mettre au bénéfice d’une bonne santé de la démocratie et d’une richesse dans les échanges, tant que le dernier mot revient au peuple, via des élections transparentes et dans un contexte de liberté. C’est, somme toute, la voie empruntée par toute démocratie.
• Des évènements liés aux soubresauts du régime renversé visant à déstabiliser le processus démocratique.
Toute transition démocratique connaît des moments de tensions dépassées aussitôt qu’est mis en place un cadre politique et constitutionnel. La démocratie demeure, à ce jour, le meilleur système expérimenté par l’humanité pour s’organiser en société civile et gérer ses choix stratégiques. Il y a lieu de signaler que l’Etat dans la pensée islamique est un Etat civil qui peut prendre toute forme possible suite un consentement des composantes de la société. Il n’est nullement figé. 
Notre projet politique s’articule autour de deux axes: le peuple source du pouvoir, et la souveraineté de la loi. Cependant il faut distinguer entre source du pouvoir et source du droit. La charia peut être l’une des sources du droit et peut être la source principale du droit. En Egypte, par exemple, peu ou prou sont, y compris parmi les coptes, opposés au principe de la Charia, comme source du droit. On peut en tirer la conclusion que tout est fonction de la volonté populaire et c’est là la principale règle de la démocratie : le respect de la majorité sans compromettre les droits des minorités et de l’opposition politique.

Vous n’avez pas manqué d’adresser des messages politiques au pouvoir Marocain, au PJD… quel bilan faites- vous d’une année après l’arrivée de ce gouvernement?
Je considère que le gouvernement est le produit du contexte politique et ne peut agir au-delà de ses compétences et possibilités politiques et constitutionnelles. C’est la raison pour laquelle nous n’avons pas perçu de changements fondamentaux dans la vie politique, sociale et économique des marocains nous incitant à changer de position politique. Un simple exemple : le régime continue à s’opposer à notre droit à l’expression et à l’organisation.
Trois conditions doivent être réunies pour que l’on puisse juger ou non de l’efficacité et de  l’efficience de la formation gouvernementale : un large soutien populaire, un contexte  politique sain et ouvert, et enfin un cadre  constitutionnel démocratique.
Côté soutien populaire, les sondages ne dépassent pas le chiffre de 27%.
Le climat politique est marqué par les emprisonnements politiques, la répression du droit d’expression et d’organisation (le cas du Parti Al Oumma, répression de la presse et des manifestations pacifiques…).
Le cadre constitutionnel est marqué par l’hégémonie de l’institution royale jusque sur l’application du programme  gouvernemental.
Cet état des lieux a contribué à la chute d’un certain nombre d’indicateurs :
  • Indice de la démocratie: le Maroc est passé de 116 en 2010 et 119 en 2011 ancrant le Maroc dans la sphère des pays totalitaires, alors que la Tunisie est passée du rang 144 à 94 pour la même période, lui permettent de quitter cette sphère et regagner les pays à régime hybride en cours d’instauration de la Démocratie.
  • Indice de la corruption: le Maroc passe de la position 80 en 2011 à 88 en 2012 selon le rapport de transparence internationale.
  • En matière des libertés, le Maroc enregistre une chute des libertés de la presse et ce en passant de 135  en 2010 à  138 en   2011  selon le fameux rapport des libertés de la  presse au titre de 2012 édité par Reporters sans frontières.
La constitution ne laisse de liberté à aucune formation politique, d’exercer le pouvoir et d’appliquer ses programmes, assimilant tout gouvernement travaillant avec cette monarchie exécutive, à un serviteur du pouvoir, en dépit de tout bon sens démocratique.
Il n’est pas exagéré de dire que le gouvernement actuel a réussi à jouer le rôle qui lui a été dévolu de faire-valoir pour redorer le blason au makhzen et nous renvoyer  à une ère de plomb relookée. Alors que la vie politique est à l’agonie, le camp du despotisme reprend l’initiative et le dessus.

Aussi bien Wikileaks que le livre « Le roi prédateur » évoquent l’implication du roi et de son entourage dans des agissements d’abus de pouvoir, de haute corruption et de multiples scandales et actes de prédation économiques. Le palais n’a jamais démenti ces deux sources. Pourquoi à votre avis ?
L’institution royale a son porte-parole dont la responsabilité est de répliquer à ces accusations. Son silence assourdissant a valeur d’assentiment.

Comment appréhendez-vous la situation politique du Maroc et son avenir ?
Le Makhzen persiste dans son ignorance coupable du mécontentement populaire exprimé dans la rue. Il refuse d’honorer ses propres engagements pour une transition démocratique. Aucune des promesses économiques et sociales n’a été tenue. Droits et libertés continuent à être bafoués dans un champ politique éteint. Autant de constatations qui me font penser que les ingrédients d’une nouvelle vague de révolte sont désormais réunis.

 Interview réalisée par Salah Elayoubi et Ahmed Benseddik

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