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vendredi 11 janvier 2013

Enfance abandonnée et kafala évangélisatrice

par Sanaa el Aji, 1/11/2012

Le plus beau, quand vous vivez au Maroc, est que vous pouvez entendre chaque semaine ou presque une sortie d’un de nos preux et valeureux ministres qui ne vous inspire qu’une seule chose, de vous prendre la tête entre les mains et de vous dire « mon Dieu, ayez pitié de nous et tempérez les ardeurs de ces gens ».
Voici deux jours, donc, le quotidien Akhbar Alyoum a publié un article en Une où il est écrit que ce sont 30.000 enfants marocains qui pourraient être évangélisés dans les vingt prochaines années. 30.000 enfants, ça fait beaucoup. Comment cela se peut-il ? Et qui sont ces gens qui se livreraient à de tels actes et qui « ébranleraient la foi de nos chères petites têtes brunes » ? A en croire M. Mustapha Ramid, le ministre de la Justice et des libertés, le régime de la kafala (prise en charge d’enfants, sans adoption) actuellement en vigueur dans notre pays permet à des familles non musulmanes de prendre en charge des enfants marocains musulmans, puis de les convertir au christianisme.
Nous savons que l’adoption est chose interdite au Maroc, tant sur le plan de la loi religieuse que sur celui de la loi tout court, et que c’est donc la raison pour laquelle on a recours à la kafala, telle qu’appliquée par notre justice et notre société. La loi, donc, impose que la famille qui prend un enfant en charge soit de confession musulmane, ou qu’elle compte au moins une femme musulmane, alors que les documents actuels qui autorisent ces prises en charge ne mentionnent pas cette condition, ce qui pourrait laisser croire que nos enfants ont peut-être été accueillis par des familles non musulmanes, et qu’ils ont même probablement été détournés de l’islam. Voilà donc pourquoi le ministre de la Justice et des Libertés a demandé aux juges de se montrer plus fermes dans l’application de la loi.
Examinons encore les chiffres : les statistiques officielles établissent que – sachant que la réalité pourrait être plus importante – ce sont 5.000 enfants qui sont abandonnés chaque année et qu’en face, il n’y a que 2.500 demandes de prises charge présentées par des familles marocaines ou étrangères. 5.000 enfants abandonnés… quelle infamie donc que ce chiffre ! Les réseaux de mendicité et les enfants des rues que nous voyons régulièrement dans nos rues et nos quartiers représentent la réalité palpable dont nous ne nous préoccupons que rarement, ou occasionnellement. A côté de cela, remarquons que nous ne pouvons garantir une prise en charge que pour la moitié de tous ces enfants abandonnés.
Aujourd’hui, avec cette nouvelle décision du ministre de la Justice et des Libertés, de nombreuses questions se posent : qu’est-il préférable pour un enfant, une famille marocaine ou étrangère qui lui offre une stabilité, lui assure un logis et une éducation et l’entoure d’amour, ou bien rester à la rue ou dans des orphelinats qui, dans la plupart des cas, ne lui offrent même pas le minimum requis pour une vie digne ? Et si nous le laissons livré à son sort dans la rue, cet enfant, comment donc connaîtra-t-il l’islam ? En vendant des kleenex ou en essuyant des pare-brises aux feux rouges, peut-être ? Est-ce donc ainsi que nos enfants deviendront de vrais et bons musulmans ? Ne serait-il pas meilleur pour un enfant que d’être dans un milieu familial stable, d’être bien logé et nourri et d’aller à l’école, au risque de peut-être – et je dis bien peut-être – qu’il ne se trouve un jour avoir changé de religion, que de rester errer dans les rues, mais en étant musulman ? … Ayons donc le courage d’affronter nos réalités et de nous poser ce type de questions… Et puis, toute personne non musulmane est-elle forcément pasteur ou quidam évangéliste ? Et encore, pouvons-nous dire sans crainte de nous tromper que tous les enfants abandonnés sont bien musulmans, de père et mère musulmans, puisqu’étant abandonnés, nous ne connaissons nécessairement et logiquement pas leurs géniteurs ?
Je m’interroge aussi sur un autre point : Comment donc M. le ministre de la Justice et des Libertés craindrait-il que nos enfants qui seraient pris en charge puissent être  évangélisés, mais n’aurait pas peur en revanche qu’ils soient abusés sexuellement ? Comment vérifier que les familles d’accueil soient musulmanes, sans s’assurer qu’elles ne travaillent pas pour des réseaux de pédophile ? Lequel de ces deux types est-il le plus malfaisant ?
Continuons de nous interroger… Qu’aurait été notre réaction si d’autres pays appliquaient la réciprocité et qu’en Amérique, au Royaume-Uni, en Suède, au Danemark et ailleurs, si des familles musulmanes envisageaient d’adopter un enfant, elles se voyaient opposer un veto, de crainte que les enfants ainsi accueillis par elles pussent être « islamisés » ?…
Monsieur le ministre de la Justice et des Libertés (et quelles libertés !!), nous avons aujourd’hui dans ce pays des lois qui demandent à être amendées, ou simplement appliquées (réglementation de l’avortement et son autorisation dans des cas de grossesse non désirée, extrême rigueur contre les crimes de viols…). Ce sont là des mesures pratiques et effectives, qui sont de nature à limiter les effectifs des enfants abandonnés. Hors de cela, toute approche démagogique ne ferait que compliquer les choses en occultant tout à fait l’intérêt de l’enfant, car le plus important dans cette affaire – que l’on sache – est le bonheur de nos enfants, et non leur religion.
Monsieur le ministre, cette décision que vous venez de prendre incitera bon nombre de familles étrangères non musulmanes à entrer en islam sans en être convaincues, pour les formalités administratives uniquement. Le mari deviendra musulman, et son épouse l’imitera, car nous savons bien qu’il n’y a rien de plus aisé que d’embrasser notre religion, et toutes les musulmanes mariées à des étrangers pourront le confirmer. Ces gens obtiendront le plus facilement du monde une attestation prouvant qu’ils sont devenus musulmans… Pourrez-vous donc, Monsieur le ministre de la Justice et des Libertés, garantir qu’ils le sont vraiment, musulmans ? Est-ce bien sérieux qu’un document délivré par une administration quelconque atteste de la religion de quelqu’un ? Pourrons-nous nous présenter devant notre Créateur, le jour du Jugement dernier, avec un document délivré par un préposé quelque part ? Avec votre décision, les gens désireux de prendre en charge un enfant obtiendront donc leur attestation/sésame qui leur permettra d’accomplir leur volonté, mais personne d’entre nous ne pourra jamais savoir s’ils sont entrés en islam par conviction ou par nécessité administrative… Et ainsi donc, votre décision n’aura fait que compliquer davantage les choses, ni plus ni moins, et confirmer encore plus qu’elle ne l’est déjà cette hypocrisie sociale et religieuse dans laquelle (et avec laquelle) nous vivons.
Monsieur le ministre, il n’existe aucune religion sur cette terre qui « incite » à laisser des enfants livrés à leur sort, affamés ou mal nourris, nus ou dépenaillés, privés de la chaleur d’une cellule familiale, analphabétisés, en proie à l’instabilité et la précarité les plus crasses, uniquement parce que nous avons nos démons qui nous font voir des entreprises d’évangélisation qui n’existent que dans nos imaginations…
Ayez pitié de cette nation, je vous prie.

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