Par Salah Elayoubi, 10/12/2012
En cet hiver rigoureux de l’an de grâce 2012, les élus dont on dit
pourtant qu’ils sont ceux du peuple amazigh aussi, coulent des jours
heureux, bercés par la chaleur douillette de l’hémicycle. Entre agapes
pantagruéliques et siestes réparatrices sur les bancs du parlement, ils
en ont oublié jusqu’aux motifs mêmes, de leur présence ici : prêter
leur voix aux sans voix.
Victor Hugo |
Opinion. « Il y a des cloaques, où des
familles entières, vivent pêle-mêle, hommes, femmes, jeunes filles,
enfants, n’ayant pour lits, n’ayant pour couvertures, j’ai presque dit
pour vêtements, que des monceaux infects de chiffons en fermentation,
ramassés dans la fange du coin des bornes, espèce de fumier des villes,
où des créatures humaines s’enfouissent toutes vivantes pour échapper au
froid de l’hiver. ………. ». Ces quelques lignes
n’ont pas été prononcées du haut de la tribune du parlement marocain,
pas plus qu’elles ne l’ont été, depuis le bureau d’un quelconque
département ministériel.
Nous devons ces mots magnifiques à Victor Hugo, lorsqu’il prononça
son « Discours sur la misère », à l’Assemblée nationale française, le 9
juillet 1849.
Cent soixante treize ans et une dictature séparent nos élus de cette conscience citoyenne et de ce sens du devoir.
Jamais aucune voix ne s’élèvera, retentissante, de l’hémicycle
marocain, siège de la honte et de la soumission, pour crier son
indignation, face à la léthargie et aux mensonges des pouvoirs publics.
Jamais personne ne s’offusquera de l’indigence des infrastructures à
Anfgou, conséquence directe des détournements des deniers publics et des
aides à millions d’Euros et de dollars, dispensés par la communauté
internationale que l’on trompe, depuis des décennies, sur la destination
finale de ces
subsides. Pas une âme empathique, non plus pour déplorer
la mort des innocentes victimes d’un enclavement mortifère, qui fait
ressembler la tragédie amazigh à quelque nettoyage ethnique qui ne
dirait pas son nom.
La caricature n'exagère pas... |
Si Victor Hugo était encore des nôtres, il n’aurait à coup sûr pas
manqué de se fendre d’un brûlot, dénonçant le dépouillement prémédité,
calculé contre ceux d’Anfgou, de Tirghiste de Tighadouine, de Tounfit
et d’ailleurs. Je n’ai même aucune peine à l’imaginer accourant pour
l’immortaliser dans un de ces chef-d’œuvres dont il avait le secret.
Car de nos « élites » qui déméritent de leur titre, je n’attends aucun salut.
Scandaleux paradoxe bien marocain, qui voudrait que chaque fois qu’un
trésor, qu’une richesse ou qu’une ressource est découverte, la
préséance est bousculée et la vie des bénéficiaires présumés bascule
alors, dans la tragédie, par le truchement de la confiscation, du
pillage et de leur corollaire, la répression féroce. La nature souvent
cruelle et impitoyable fait alors le reste.
C’est en regardant le début du reportage que la chaîne qatarie « Al
Jazeera » avait consacré au drame d’Anfgou, que la nausée vous saisit.
Cynisme du Makhzen, pour prononcer l’oraison funèbre, ce manipulateur
sans foi, ni loi, envoie son crieur amazigh attitré, le même, dont
l’image hante les brochures touristiques et les films du folklore
marocain. On l’y voit en Cheikh, virevoltant au milieu des danseuses
berbères qui frétillent de la hanche en secouant les paillettes de leur
caftan. Burnous au vent et barbe soigné, il voltige un tambourin à la
main. Ce danseur sans étoile, ce bouffon de la dictature, arbore le
même burnous, la même barbe et le même air conquérant, pour désigner les
tombes des malheureuses victimes au journaliste et lire quelques
sourates du Coran. Il donne de la voix, hurle ses versets et donne le
change face aux caméras, pour contenter ses « loueurs » et couper
l’herbe sous les pieds de ceux qui voudraient dénoncer le supplice du
village, sous les assauts de l’hiver et de la misère.
Mais encore ?! Rien ! Comme de coutume !
Ou plutôt si ! J’en oubliais les vrombissements d’hélicoptères, les
rugissement des jeeps luxueuses, transportant quelques huiles très peu
désireuses de souiller de si beaux costumes, de cette boue amazigh et
trop peu empressées de s’exposer à la neige, et à ce froid réputé pour
fendre la pierre et les corps.
Palabres et beaux discours, sous le regard inquisiteur de cet autre
Thénardier que même l’auteur des « Misérables » n’aurait pu ou n’aurait
su imaginer, j’ai nommé le Général Housni Benslimane, l’un des
responsables en chef de la tragédie marocaine.
Il était venu en avant-garde, préparer la visite de son Maître dont, naïvement, on attendait tout, ici à Anfgou.
Il a fallu dérouler les tapis épais venus par camions d’endroits où
on peut se le permettre et qu’on aurait bien voulu garder pour s’isoler
de la morsure du froid. Il a fallu monter les tentes, dresser une
tribune, former le cercle et se forcer à sourire à l’écoute de discours
et de promesses dits dans cette langue que très peu d’«indigènes»
comprennent. Il a fallu prononcer des phrases rituelles comme « Vive
le roi », applaudir à tout rompre et baiser la main de l’illustre
visiteur, sans jamais s’y attarder, sous peine de se faire houspiller
par sa garde rapprochée. Il a fallu………
La fête finie, ceux d’Anfgou ont attendu.
Ils attendent toujours, à l’heure où ces lignes sont commises, que la
route goudronnée, le centre de santé, la maternité, l’école, l’eau
potable, l’électricité, le téléphone viennent jusqu’à eux. Ils attendent
que tout ce qui fait la civilisation leur donne la main et les sorte
tout simplement, de l’oubli.
Beaucoup ne verront jamais ce moment-là. Le froid, la maladie et les injustices les auront emportés bien avant.
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http://www.demainonline.com/2012/12/10/victor-reviens-nous-parler-de-la-misere-en-plein-centre-dangfou/
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Anfgou: le sommet de l'hypocrisie de l'État,
capitale de l'Atlas.
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