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vendredi 14 décembre 2012

Victor ! Reviens nous parler de la misère, en plein centre d’Anfgou !

Par Salah Elayoubi, 10/12/2012


Victor Hugo
Opinion. «  Il y a des cloaques, où des  familles entières, vivent pêle-mêle, hommes, femmes, jeunes filles, enfants, n’ayant pour lits, n’ayant pour couvertures, j’ai presque dit pour vêtements, que des monceaux infects de chiffons en fermentation, ramassés dans la fange du coin des bornes, espèce de fumier des villes, où des créatures humaines s’enfouissent toutes vivantes pour échapper au froid de l’hiver. ………. ». Ces quelques lignes n’ont pas été prononcées du haut de la tribune du parlement marocain, pas plus qu’elles ne l’ont été, depuis le bureau d’un quelconque département ministériel.

Nous devons ces mots magnifiques à Victor Hugo, lorsqu’il prononça son « Discours sur la misère », à l’Assemblée nationale française,  le 9 juillet 1849.
Cent soixante treize ans et une dictature séparent  nos élus de cette conscience citoyenne et de ce sens du devoir.

Jamais aucune voix ne s’élèvera, retentissante, de l’hémicycle marocain, siège de la honte et de la soumission,  pour crier son indignation, face à  la léthargie et aux mensonges des pouvoirs publics.  Jamais personne ne s’offusquera de l’indigence des infrastructures à Anfgou, conséquence directe des détournements des deniers publics et des aides à millions d’Euros et de dollars, dispensés par la communauté internationale que l’on trompe, depuis des décennies, sur la destination finale de ces
subsides. Pas une âme empathique, non plus pour déplorer la mort des innocentes victimes d’un enclavement mortifère, qui fait ressembler la tragédie amazigh à quelque nettoyage ethnique qui ne dirait pas son nom.
La caricature n'exagère pas...
En cet hiver rigoureux de l’an de grâce 2012,  les élus dont on dit pourtant qu’ils sont ceux du peuple amazigh aussi, coulent des jours heureux, bercés par la chaleur douillette de l’hémicycle. Entre agapes pantagruéliques et siestes réparatrices sur les bancs du parlement, ils en ont oublié jusqu’aux  motifs mêmes, de leur présence ici : prêter leur voix aux sans voix.
Si Victor Hugo était encore des nôtres, il n’aurait à coup sûr pas manqué de se fendre d’un brûlot, dénonçant le dépouillement prémédité, calculé contre ceux d’Anfgou, de Tirghiste de Tighadouine, de Tounfit  et d’ailleurs. Je n’ai même aucune peine à l’imaginer accourant pour l’immortaliser dans un de ces  chef-d’œuvres dont il avait le secret.
Car de nos « élites » qui déméritent de leur titre,  je n’attends aucun salut.
Scandaleux paradoxe bien marocain, qui voudrait que chaque fois qu’un trésor, qu’une richesse ou qu’une ressource est découverte, la préséance est bousculée et la vie des bénéficiaires présumés bascule alors, dans la tragédie, par le truchement de la confiscation,  du pillage et de leur corollaire, la répression féroce. La nature souvent cruelle et impitoyable fait alors le reste.
C’est en regardant le début du reportage que la chaîne qatarie « Al Jazeera » avait consacré au drame d’Anfgou, que la nausée vous saisit. Cynisme du Makhzen, pour prononcer l’oraison funèbre, ce manipulateur sans foi, ni loi,  envoie son crieur amazigh attitré, le même, dont l’image hante les brochures touristiques et les films du folklore marocain. On l’y voit en Cheikh, virevoltant au milieu des danseuses berbères qui frétillent de la hanche en secouant les paillettes de leur caftan. Burnous au vent et barbe soigné, il voltige un tambourin à la main. Ce danseur sans étoile, ce bouffon de la dictature,  arbore le même burnous, la même barbe et le même air conquérant, pour désigner les tombes des malheureuses victimes au journaliste et lire quelques sourates du Coran. Il donne de la voix, hurle ses versets et donne le change face aux caméras, pour contenter ses « loueurs » et couper l’herbe sous les pieds de ceux qui voudraient dénoncer le supplice du village, sous les assauts de l’hiver et de la misère.

Mais encore ?! Rien ! Comme de coutume !
Ou plutôt si ! J’en oubliais les vrombissements d’hélicoptères, les rugissement des jeeps luxueuses, transportant quelques huiles très peu désireuses de souiller de si beaux costumes, de cette boue amazigh et trop peu empressées de s’exposer à la neige, et à ce froid réputé pour fendre la pierre et les corps.
Palabres et beaux discours, sous le regard inquisiteur de cet autre Thénardier que même l’auteur des « Misérables » n’aurait pu ou n’aurait su imaginer, j’ai nommé le Général Housni Benslimane, l’un des responsables en chef de la tragédie marocaine.
Il était venu en avant-garde, préparer la visite de son Maître dont, naïvement, on attendait tout,  ici à Anfgou.

Il a fallu dérouler les tapis épais venus par camions d’endroits où on peut se le permettre et qu’on aurait bien voulu garder pour s’isoler de la morsure du froid.  Il a fallu monter les tentes, dresser une tribune,  former le cercle et se forcer à sourire à l’écoute de discours et de promesses dits dans cette langue que très peu d’«indigènes»  comprennent.  Il a fallu prononcer des phrases rituelles comme « Vive le roi », applaudir à tout rompre et baiser la main de l’illustre visiteur, sans jamais s’y attarder, sous peine de se faire houspiller par sa garde rapprochée. Il a fallu………

La fête finie, ceux d’Anfgou ont attendu.
Ils attendent toujours, à l’heure où ces lignes sont commises, que la route goudronnée, le centre de santé, la maternité, l’école, l’eau potable, l’électricité, le téléphone viennent jusqu’à eux. Ils attendent que  tout ce qui fait  la civilisation leur donne la main et les sorte tout simplement, de l’oubli.
Beaucoup ne verront jamais ce moment-là. Le froid, la maladie et les injustices les auront emportés bien avant.

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http://www.demainonline.com/2012/12/10/victor-reviens-nous-parler-de-la-misere-en-plein-centre-dangfou/

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Anfgou: le sommet de l'hypocrisie de l'État, 
capitale de l'Atlas.

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