Tribune
Fatima avait à peine 9 ans lorsqu’elle a commencé à travailler à
Casablanca pour une famille de cinq enfants. Elle se levait dès l’aube
pour travailler sans interruption jusqu’à 11 heures du soir, préparant
les repas, faisant la vaisselle, le ménage et les courses et s’occupant
du bébé de sa patronne. « J’étais épuisée », m’a-t-elle confié.
Fatima dit que sa patronne l’insultait et la battait :
« Au début, elle se contentait de me gifler, mais ensuite elle s’est servie d’un tuyau en plastique. »
Elle a travaillé pour cette famille pendant deux ans, sans aucun
congé, et n’a jamais eu le droit d’aller à l’école. Elle ne savait même
pas combien elle était payée, car son salaire était versé directement à
ses parents.
J’ai rencontré Fatima (ce n’est pas son vrai prénom) en mai 2012 dans
l’Atlas marocain, à cinq heures de route de Casablanca. Avec l’aide
d’une organisation non-gouvernementale, elle était rentrée chez elle et
était à nouveau scolarisée.
Pourtant, son histoire n’est pas une exception au Maroc, où des
milliers de filles sont employées comme domestiques. Elles sont
recrutées dans des zones rurales pauvres pour aller travailler dans les
villes. Les recruteurs leur promettent qu’elles y seront bien payées et
bien traitées.
Mais la réalité est souvent tout autre : comme Fatima, beaucoup
effectuent de longues journées de travail et sont victimes de mauvais
traitements, pour un salaire largement en deçà du salaire minimum.
Salaire maximum : 68 euros par mois
Lors de l’enquête que j’ai fait au Maroc cette année, j’ai rencontré
vingt jeunes filles qui avaient travaillé comme domestiques ; pas une
n’était payée plus de 68 euros par mois.
Human Rights Watch avait mené
une première enquête sur les enfants domestiques au Maroc en 2005.
D’autres enquêtes réalisées quelques années auparavant avaient indiqué
que 86 000 Marocaines de moins de 15 ans étaient employées comme
domestiques.
Au niveau mondial, le travail domestique est la principale forme de
travail des enfants ; il concernerait près de trente millions d’enfants,
selon les estimations de l’Organisation internationale du travail
(OIT).
Cette année, j’ai constaté que, si des progrès avaient été accomplis
depuis notre précédente enquête, il restait du chemin à faire pour
éradiquer cette forme de travail des enfants.
J’ai constaté que les campagnes de sensibilisation du public et
l’attention accrue des médias avaient été plutôt efficaces. Le taux de
travail des enfants a baissé.
Statistiques encourageantes
Selon les statistiques gouvernementales, le nombre d’enfants de moins
de 15 ans engagés dans toutes les formes de travail est passé de
517 000 en 1999 à 123 000 en 2011, même si aucune donnée récente n’est disponible pour établir le nombre d’enfants travaillant comme domestiques.
Le gouvernement a également fait des progrès en ce qui concerne la
scolarisation des enfants, en partie grâce à des allocations mensuelles
octroyées aux familles rurales pauvres pour qu’elles continuent à
scolariser leurs enfants.
Mais en dépit de ces avancées, le travail domestique des enfants
demeure un grave problème : les enfants employés comme domestiques sont
habituellement dissimulés chez leurs employeurs, loin de leurs familles
et hors de portée des inspecteurs du travail. De ce fait, ils sont
particulièrement vulnérables aux mauvais traitements physiques et
psychologiques et aux sévices sexuels. La plupart n’ont aucune idée vers
qui se tourner pour trouver de l’aide.
Par exemple, Aziza, 13 ans, m’a confié que le fils de son employeur
avait tenté de la violer. Elle ne savait même pas comment trouver le
poste de police le plus proche. Elle a couru jusqu’à un arrêt d’autobus
et a demandé de l’aide à un chauffeur. Celui-ci l’a emmenée à la police.
Que peut-on faire ?
Il existe des actions spécifiques que le gouvernement marocain peut
entreprendre pour aider ces jeunes filles et mettre fin au travail
domestique des enfants.
- il peut mieux faire appliquer les lois interdisant l’emploi d’enfants de moins de 15 ans, en créant un système efficace impliquant la police, les travailleurs sociaux, les éducateurs, les associations locales et les autorités pour identifier les enfants concernés, les retirer de chez leurs employeurs et leur fournir une assistance ;
- le gouvernement peut aussi sanctionner les employeurs qui engagent sciemment des enfants en dessous de l’âge minimum, et renforcer les campagnes de sensibilisation ainsi que les programmes incitant à la scolarisation des filles ;
- il peut également veiller à ce que les filles de plus de 15 ans bénéficient de conditions de travail décentes, en adoptant une loi leur donnant accès au repos hebdomadaire, au salaire minimum et à une durée du travail limitée – des droits qui vont de soi pour les autres travailleurs.
Les bailleurs de fonds internationaux peuvent aussi faire
davantage. En 2008, l’Organisation internationale du travail avait
consacré 827 000 euros à la lutte contre le travail des enfants au
Maroc, une somme donnée par les Etats-Unis, la Belgique et la France. En
2011, cette aide est tombée à 82 000 euros, limitant de façon drastique
la capacité de l’OIT à maintenir des programmes efficaces de lutte
contre le travail des enfants.
Le taux de travail
des enfants est en net recul au Maroc et dans d’autres parties du
monde. Pourtant, pour de nombreuses filles comme Fatima, le travail des
enfants demeure une cruelle réalité qu’il est nécessaire de combattre.
Aller plus loin
-
Sur Rue89Pour en finir avec le mariage des enfants, que rien ne justifie
- Sur rsenews.comRapport de l'OIT "Intensifier la lutte contre le travail des enfants"
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