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Une
culture des droits de l’homme se développe
au Maroc,
mais il en faut
plus pour éradiquer la torture
et les mauvais traitements
RABAT (22 septembre 2012) - A l'issue de sa visite au Maroc*du
15 au 22 septembre 2012, Juan E. Méndez, Rapporteur spécial des Nations
Unies sur la torture et autres traitements cruels, inhumains ou
dégradants fait la déclaration suivante:
Tout d'abord, je tiens à exprimer ma gratitude pour la coopération pleine et entière dont j’ai bénéficié pendant ma visite, en particulier en ce qui concerne l'accès sans restriction à tous les lieux de détention ainsi que l'accès sans entrave aux détenus afin de m'entretenir avec ceux-ci en toute confidentialité. Le personnel pénitentiaire était manifestement disposé et préparé à m’accueillir dans les prisons, postes de police et centres pour mineurs à Rabat-Salé, Kenitra, Skirat-Témara et Casablanca. Bien que ceci ait pu avoir une influence sur ma capacité à voir ces endroits plus spontanément, je salue les efforts impressionnants déployés par le Gouvernement pour investir dans la modernisation et la rénovation de ces installations.
Il est toutefois regrettable que les rencontres avec la société civile aient été surveillées par les autorités et les médias, et que mon arrivée ait été scrutée par les caméras à chaque endroit. Cela a créé un climat d'intimidation ressenti par un certain nombre de personnes que j'ai rencontrées lors de la visite. J'ai demandé et obtenu l'assurance des autorités que des instructions claires seront communiquées à tous les niveaux du pouvoir, que ni intimidation, ni aucune sorte de représailles ne sera tolérée.
Je peux affirmer qu’une culture des droits de l'homme se développe. Les différentes autorités que j'ai rencontrées ont fait preuve de volonté politique, et en particulier le ministère des Affaires étrangères et de la Délégation interministérielle des droits de l'homme, pour construire une culture institutionnelle qui interdise et prévienne la torture et les mauvais traitements. La création du Conseil national des droits de l'homme (CNDH) est l'aspect institutionnel le plus important de cette culture émergente. Les efforts entrepris par la CNDH et ses divers bureaux régionaux afin de continuer à sensibiliser les autorités et la société civile et à promouvoir la protection des droits de l'homme portent déjà leurs fruits. La CNDH est un organe indépendant et hautement crédible et ses rapports revêtent un grand poids moral. Il peut devenir un mécanisme de suivi effectif et de médiation entre l'État et ses citoyens si ses recommandations sont mises en œuvre de bonne foi. J'encourage toutes les parties à s'engager pleinement à renforcer cette institution.
Cette nouvelle culture a pu surgir grâce essentiellement aux efforts énormes déployés par le Maroc pour affronter son passé marqué par les abus et que les Marocains qualifient « d’années de plomb ». Des efforts exemplaires ont été consacrés à faire apparaître et faire connaître la vérité, ainsi qu’à offrir indemnisation aux victimes, y compris divers types de services de réadaptation. On voit également apparaître une certaine tendance à la réforme des institutions, même si l’engagement indispensable de faire enquête, de poursuivre et de punir les auteurs des atrocités massives, dont la torture, n’a pas encore été rempli.
Des efforts sont encore nécessaires pour accroître la confiance et la coopération entre l'État et la société civile, afin que toutes les organisations non-gouvernementales soient en mesure de travailler plus efficacement avec les mécanismes nationaux et internationaux et de mener des activités de plaidoyer sur la base de cas bien documentés.
La nouvelle Constitution de juillet 2011 a introduit quelques changements encourageants dans le cadre normatif. Il est difficile, à ce stade, d'évaluer leur impact réel, mais il semble y avoir un engagement des plus hautes autorités et j'espère qu’il continuera à y avoir un effort soutenu et nécessaire. La Constitution interdit en toutes circonstances les actes de torture ou des actes qui sont « cruels, inhumains, dégradants ou portant atteinte à la dignité ». Bien que le Code pénal et le Code de procédure pénale incriminaient déjà la torture avant 2011, je salue l'introduction de ces principes dans la nouvelle Constitution et la volonté manifeste des autorités de leur accorder la primauté. Je vais évaluer si d'autres modifications à la définition de la torture sont nécessaires afin de mettre cette infraction en conformité avec le droit international.
J'encourage les autorités à ratifier le Protocole facultatif à la Convention contre la torture aussitôt que possible, et souligne que la ratification n'est pas une fin en soi mais un processus, sa mise en œuvre étant le véritable défi.
La situation sur le terrain en ce qui concerne la pratique de la torture s'est généralement améliorée depuis les dernières décennies au cours desquelles les disparitions, les détentions secrètes ainsi que la torture étaient répandues. J'ai toutefois reçu des témoignages crédibles faisant état de pressions physiques et mentales excessives sur des détenus au cours d’interrogatoires. Ces faits arrivent assez fréquemment pour mériter une attention et des efforts particuliers pour les éradiquer. Bien que la pratique des traitements cruels persiste dans les affaires criminelles ordinaires, il ne devrait pas être surprenant que des actes équivalant à la torture soient commis à l’occasion d’événements particulièrement intenses, tels que des grandes manifestations, perçues comme une menace à la sécurité nationale ou des actes de terrorisme. Dans ces moments-là, l’on peut remarquer une augmentation des actes de torture et de mauvais traitements pendant la détention et l'arrestation.
Un médecin légiste indépendant et réputé a accompagné mon équipe, examiné les rapports médicaux et mené un certain nombre d'examens médicaux. Ma conclusion préliminaire est que dans des cas récents, il y a des informations crédibles faisant état de coups violents infligés par coups de poings et bâtons, de l’utilisation de décharges électriques et de brûlures de cigarette. En outre, j'ai de bonnes raisons de penser qu'il y avait des allégations crédibles d’agression sexuelle et de menace de viol commis sur des victimes ou des membres de la famille de celles-ci et d'autres formes de mauvais traitements. Un certain nombre de cas a été porté à mon attention où les lésions montrent le traitement qui constitue des actes de torture.
A la date d'aujourd'hui, l'admission des aveux comme preuve devant les tribunaux est à la discrétion du juge. L’on m'a assuré que les aveux seuls ne constituent pas des preuves suffisantes pour une condamnation et que d’autres éléments de preuve sont nécessaires. Cette garantie est la bienvenue, mais je crains que cela ne suffise pas à dissuader les actes de torture dans la pratique. Le droit international exige d’exclure les aveux ou déclarations obtenues sous la contrainte de toute procédure et de tout dossier. L'article 293 du Code de procédure pénale interdit l'admission de toute confession ou déclaration faite sous la contrainte. Cependant, j'ai reçu de nombreuses plaintes au sujet de l'utilisation de la torture par des fonctionnaires pour obtenir des preuves ou des aveux au cours de la phase initiale des interrogatoires, en particulier dans des cas ayant trait à la sécurité nationale ou à la lutte contre le terrorisme, où le maintien des détentions est ordonné avant même l'accès à un avocat.
Le Code de Procédure pénale garantit effectivement l’accès à un avocat, mais cette garantie n’est pas pleinement remplie ni en droit ni en pratique. Le détenu n’a accès à un avocat de son choix que 24 heures après l’arrestation, et ce pour un entretien de 30 minutes qui se déroule en présence d’un enquêteur. Le Décret 03-03 (pour affaires relatives à la sécurité de l’Etat et à la lutte contre le terrorisme) prévoit dans sa procédure que la garde à vue peut durer trois tranches de 96 heures consécutives sans avoir droit à un avocat. En outre, même ces conditions peuvent être violées en repoussant simplement la date d’enregistrement de l’arrestation. L’accès à un avocat devrait être accordé dès l’arrestation ou la mise en détention, sans exiger l’autorisation du Procureur comme le stipule la loi actuellement. Or ce droit devrait être octroyé en tant que principe de droit et tout agent de police qui refuse l’accès à l’avocat doit faire l’objet de mesures disciplinaires. En raison du grand nombre d’allégations reçues, il semblerait que les procureurs et juges d’instruction aient pour pratique de rejeter les plaintes de torture ou de ne pas ouvrir d’enquête.
À ma demande, j'ai reçu des exemples et des statistiques indiquant que des personnes ont été acquittées bien qu’elles aient avoué les crimes. Mais jusqu'à présent, je n'ai pas vu d’exemples concrets dans lesquels les tribunaux ont appliqué la règle d'exclusion tel que le prévoit le droit international en ce qui concerne la torture, c’est-à-dire des cas dans lesquels une confession est jugée irrecevable parce que le tribunal a déterminé qu'il a été obtenu sous la contrainte.
L'une des raisons pour la non-application de ce principe important peut être la piètre qualité des rapports médicaux et médico-légaux, qui fournissent actuellement une assistance limitée aux procureurs et aux juges dans leur prise de décision. Il y a là un besoin d'investissements importants dans les domaines de la psychiatrie et de la médecine légale, allant de pair avec une formation spécifique des médecins légistes sur l'évaluation des mauvais traitements et de la torture, en conformité avec les normes internationales, y compris le Protocole d'Istanbul. Dans la pratique, les garanties contre la torture ne fonctionnent pas de manière effective, car « il n'existe aucune preuve » que des actes torture ont été commis. Ainsi, la confession ou déclaration demeure au dossier et aucun effort sérieux n’est fait pour enquêter, poursuivre et punir les auteurs.
Le système de plaintes relatives aux allégations de torture et de mauvais traitements, à de rares exceptions près, ne semble fonctionnelle qu’en droit mais pas dans la pratique. Cela semble également être le cas pour les enquêtes, les poursuites et peines prononcées à l’égard des auteurs. Cette lacune doit disparaître. J’encourage les autorités de promouvoir les capacités médico-légales par le parquet et les magistrats. Également j’invite les autorités à mettre en œuvre le droit de présenter des plaintes et d’assurer que les accusés qui comparaissent en premier ont l’occasion de faire des allégations de torture ou de mauvais traitements qu’elles auraient subi par la police ou les services de renseignement.
Il me semble que nous assistons à une augmentation subite du nombre d’incidents d’utilisation de force excessive lors d’interventions de la part des autorités en réaction aux réunions et manifestations. Nonobstant le fait de savoir si la manifestation est ou non autorisée, cela ne donne pas le droit aux autorités de recourir à la force excessive. Le droit de réunion pacifique doit être respecté et lorsque les manifestations deviennent incontrôlables, la police a le devoir de maintenir l’ordre et prévenir la violence, tout en faisant cela en conformité avec les normes internationales. Celles-ci sont fondées sur les principes de la nécessité et de la proportionnalité avec le respect du droit à la vie et à l’intégrité physique. Les allégations de graves blessures lors des événements récents n’ont pas été confirmées par mes enquêtes préliminaires.
La Délégation générale de l’administration pénitentiaire et de la réinsertion a lancé un projet de grande envergure pour arrêter le fonctionnement de certaines prisons les plus anciennes, de construire de nouvelles prisons, d' agrandir et rénover d’autres afin d’améliorer les conditions de détention. Les institutions que j’ai visitées ont fait l’objet de travaux de rénovation importants, peinture fraîche, nouvelle literie et des couvertures, et des zones d'assainissement très propres. J'espère vivement que ces améliorations resteront en place et que des améliorations seront apportées à toutes les autres prisons que je n’ai pas pu visiter. L’intégration des services de santé des prisonniers relevant du Ministère de la santé pourrait aussi contribuer à un meilleur niveau de service médical. La NCHR publiera prochainement un rapport sur la situation des prisons et des prisonniers. Cela est opportun et nécessaire et je vais prendre ce rapport ainsi que leur récent rapport sur les hôpitaux psychiatriques en considération en préparation de mes recommandations.
La surpopulation est un problème à aborder et les autorités elles-mêmes ont reconnu cela ouvertement. La population carcérale se chiffre à environ 67.000 détenus (condamnés et prévenus). Des informations chiffrées contradictoires me sont parvenues concernant la capacité totale du système pénitentiaire. Le Délégué-Général nous a dit qu’elle se situe entre 48000 et 50000, tandis que le CNDH l’évalue à 37000. Selon ces chiffres, le taux de surpopulation serait d’environ 34% et de 80% respectivement. Ces chiffres risquent de sous-estimer le taux réel de la surpopulation car ils sont basés sur le nombre de lits disponibles par rapport à la population réelle. Dans certaines prisons que j'ai visitées, les lits étaient tellement proches les uns des autres que même à pleine capacité ou un peu au-dessous, les conditions de vie seraient toujours surpeuplées. On parviendrait peut-être à une indication plus précise de la surpopulation si l’on divisait la capacité habitable totale par la population carcérale de 67000. Dans ce cas, je crois comprendre que le taux se situerait entre 1,5 et 3 mètres cube par détenu.
Tout en reconnaissant la situation difficile pour les autorités en ce qui concerne le flux de migrants en situation irrégulière, surtout dans le nord du pays, je tiens à exprimer mes craintes concernant l’augmentation de la violence par des forces envers ce groupe particulièrement vulnérable. Les actes d’agression, les violences sexuelles et d'autres formes de mauvais traitements semblent augmenter. J’exhorte les autorités à prendre toutes les mesures nécessaires pour prévenir de nouvelles violences et d'enquêter sur les informations faisant état de violence contre les migrants sub-sahariens. Dans ce contexte, j'ai visité les cellules de détention à l’aéroport Mohammed V à Casablanca où j’ai trouvé quatre personnes détenues en provenance de l'Angola, de la Guinée et du Libéria. Toutes les quatre étaient maintenues dans des conditions décentes en attente d'expulsion.
Lors de ma visite à Laâyoune, Sahara occidental, j'ai été débordé par le grand nombre de demandes à satisfaire et les centaines de cas reçus avant et pendant ma visite de deux jours. Malheureusement je n’ai pu rendre visite qu’à un nombre limité de victimes présumées et des représentants de la société civile, mais je vais examiner chaque demande dans le détail de sorte que toute information relevant de mon mandat soit prise en compte. J’ai effectué une visite dans la prison locale et l’hôpital Moulay El Hassan Bel Mehdi à Laâyoune, ainsi que le poste de Gendarmerie à Port Laâyoune. La section de la prison réservée aux femmes et le centre psychiatrique à l'hôpital, ayant fait l’objet de travaux récents, sont dans un très bon état.
Je remercie tous les interlocuteurs pour leur engagement. Je vais présenter mon rapport au Conseil des droits de l'homme à Genève en mars 2013.
* L’expert indépendant a également rendu visité à Laâyoune, Sahara occidental, les 17 et 18 septembre 2012.
Tout d'abord, je tiens à exprimer ma gratitude pour la coopération pleine et entière dont j’ai bénéficié pendant ma visite, en particulier en ce qui concerne l'accès sans restriction à tous les lieux de détention ainsi que l'accès sans entrave aux détenus afin de m'entretenir avec ceux-ci en toute confidentialité. Le personnel pénitentiaire était manifestement disposé et préparé à m’accueillir dans les prisons, postes de police et centres pour mineurs à Rabat-Salé, Kenitra, Skirat-Témara et Casablanca. Bien que ceci ait pu avoir une influence sur ma capacité à voir ces endroits plus spontanément, je salue les efforts impressionnants déployés par le Gouvernement pour investir dans la modernisation et la rénovation de ces installations.
Il est toutefois regrettable que les rencontres avec la société civile aient été surveillées par les autorités et les médias, et que mon arrivée ait été scrutée par les caméras à chaque endroit. Cela a créé un climat d'intimidation ressenti par un certain nombre de personnes que j'ai rencontrées lors de la visite. J'ai demandé et obtenu l'assurance des autorités que des instructions claires seront communiquées à tous les niveaux du pouvoir, que ni intimidation, ni aucune sorte de représailles ne sera tolérée.
Je peux affirmer qu’une culture des droits de l'homme se développe. Les différentes autorités que j'ai rencontrées ont fait preuve de volonté politique, et en particulier le ministère des Affaires étrangères et de la Délégation interministérielle des droits de l'homme, pour construire une culture institutionnelle qui interdise et prévienne la torture et les mauvais traitements. La création du Conseil national des droits de l'homme (CNDH) est l'aspect institutionnel le plus important de cette culture émergente. Les efforts entrepris par la CNDH et ses divers bureaux régionaux afin de continuer à sensibiliser les autorités et la société civile et à promouvoir la protection des droits de l'homme portent déjà leurs fruits. La CNDH est un organe indépendant et hautement crédible et ses rapports revêtent un grand poids moral. Il peut devenir un mécanisme de suivi effectif et de médiation entre l'État et ses citoyens si ses recommandations sont mises en œuvre de bonne foi. J'encourage toutes les parties à s'engager pleinement à renforcer cette institution.
Cette nouvelle culture a pu surgir grâce essentiellement aux efforts énormes déployés par le Maroc pour affronter son passé marqué par les abus et que les Marocains qualifient « d’années de plomb ». Des efforts exemplaires ont été consacrés à faire apparaître et faire connaître la vérité, ainsi qu’à offrir indemnisation aux victimes, y compris divers types de services de réadaptation. On voit également apparaître une certaine tendance à la réforme des institutions, même si l’engagement indispensable de faire enquête, de poursuivre et de punir les auteurs des atrocités massives, dont la torture, n’a pas encore été rempli.
Des efforts sont encore nécessaires pour accroître la confiance et la coopération entre l'État et la société civile, afin que toutes les organisations non-gouvernementales soient en mesure de travailler plus efficacement avec les mécanismes nationaux et internationaux et de mener des activités de plaidoyer sur la base de cas bien documentés.
La nouvelle Constitution de juillet 2011 a introduit quelques changements encourageants dans le cadre normatif. Il est difficile, à ce stade, d'évaluer leur impact réel, mais il semble y avoir un engagement des plus hautes autorités et j'espère qu’il continuera à y avoir un effort soutenu et nécessaire. La Constitution interdit en toutes circonstances les actes de torture ou des actes qui sont « cruels, inhumains, dégradants ou portant atteinte à la dignité ». Bien que le Code pénal et le Code de procédure pénale incriminaient déjà la torture avant 2011, je salue l'introduction de ces principes dans la nouvelle Constitution et la volonté manifeste des autorités de leur accorder la primauté. Je vais évaluer si d'autres modifications à la définition de la torture sont nécessaires afin de mettre cette infraction en conformité avec le droit international.
J'encourage les autorités à ratifier le Protocole facultatif à la Convention contre la torture aussitôt que possible, et souligne que la ratification n'est pas une fin en soi mais un processus, sa mise en œuvre étant le véritable défi.
La situation sur le terrain en ce qui concerne la pratique de la torture s'est généralement améliorée depuis les dernières décennies au cours desquelles les disparitions, les détentions secrètes ainsi que la torture étaient répandues. J'ai toutefois reçu des témoignages crédibles faisant état de pressions physiques et mentales excessives sur des détenus au cours d’interrogatoires. Ces faits arrivent assez fréquemment pour mériter une attention et des efforts particuliers pour les éradiquer. Bien que la pratique des traitements cruels persiste dans les affaires criminelles ordinaires, il ne devrait pas être surprenant que des actes équivalant à la torture soient commis à l’occasion d’événements particulièrement intenses, tels que des grandes manifestations, perçues comme une menace à la sécurité nationale ou des actes de terrorisme. Dans ces moments-là, l’on peut remarquer une augmentation des actes de torture et de mauvais traitements pendant la détention et l'arrestation.
Un médecin légiste indépendant et réputé a accompagné mon équipe, examiné les rapports médicaux et mené un certain nombre d'examens médicaux. Ma conclusion préliminaire est que dans des cas récents, il y a des informations crédibles faisant état de coups violents infligés par coups de poings et bâtons, de l’utilisation de décharges électriques et de brûlures de cigarette. En outre, j'ai de bonnes raisons de penser qu'il y avait des allégations crédibles d’agression sexuelle et de menace de viol commis sur des victimes ou des membres de la famille de celles-ci et d'autres formes de mauvais traitements. Un certain nombre de cas a été porté à mon attention où les lésions montrent le traitement qui constitue des actes de torture.
A la date d'aujourd'hui, l'admission des aveux comme preuve devant les tribunaux est à la discrétion du juge. L’on m'a assuré que les aveux seuls ne constituent pas des preuves suffisantes pour une condamnation et que d’autres éléments de preuve sont nécessaires. Cette garantie est la bienvenue, mais je crains que cela ne suffise pas à dissuader les actes de torture dans la pratique. Le droit international exige d’exclure les aveux ou déclarations obtenues sous la contrainte de toute procédure et de tout dossier. L'article 293 du Code de procédure pénale interdit l'admission de toute confession ou déclaration faite sous la contrainte. Cependant, j'ai reçu de nombreuses plaintes au sujet de l'utilisation de la torture par des fonctionnaires pour obtenir des preuves ou des aveux au cours de la phase initiale des interrogatoires, en particulier dans des cas ayant trait à la sécurité nationale ou à la lutte contre le terrorisme, où le maintien des détentions est ordonné avant même l'accès à un avocat.
Le Code de Procédure pénale garantit effectivement l’accès à un avocat, mais cette garantie n’est pas pleinement remplie ni en droit ni en pratique. Le détenu n’a accès à un avocat de son choix que 24 heures après l’arrestation, et ce pour un entretien de 30 minutes qui se déroule en présence d’un enquêteur. Le Décret 03-03 (pour affaires relatives à la sécurité de l’Etat et à la lutte contre le terrorisme) prévoit dans sa procédure que la garde à vue peut durer trois tranches de 96 heures consécutives sans avoir droit à un avocat. En outre, même ces conditions peuvent être violées en repoussant simplement la date d’enregistrement de l’arrestation. L’accès à un avocat devrait être accordé dès l’arrestation ou la mise en détention, sans exiger l’autorisation du Procureur comme le stipule la loi actuellement. Or ce droit devrait être octroyé en tant que principe de droit et tout agent de police qui refuse l’accès à l’avocat doit faire l’objet de mesures disciplinaires. En raison du grand nombre d’allégations reçues, il semblerait que les procureurs et juges d’instruction aient pour pratique de rejeter les plaintes de torture ou de ne pas ouvrir d’enquête.
À ma demande, j'ai reçu des exemples et des statistiques indiquant que des personnes ont été acquittées bien qu’elles aient avoué les crimes. Mais jusqu'à présent, je n'ai pas vu d’exemples concrets dans lesquels les tribunaux ont appliqué la règle d'exclusion tel que le prévoit le droit international en ce qui concerne la torture, c’est-à-dire des cas dans lesquels une confession est jugée irrecevable parce que le tribunal a déterminé qu'il a été obtenu sous la contrainte.
L'une des raisons pour la non-application de ce principe important peut être la piètre qualité des rapports médicaux et médico-légaux, qui fournissent actuellement une assistance limitée aux procureurs et aux juges dans leur prise de décision. Il y a là un besoin d'investissements importants dans les domaines de la psychiatrie et de la médecine légale, allant de pair avec une formation spécifique des médecins légistes sur l'évaluation des mauvais traitements et de la torture, en conformité avec les normes internationales, y compris le Protocole d'Istanbul. Dans la pratique, les garanties contre la torture ne fonctionnent pas de manière effective, car « il n'existe aucune preuve » que des actes torture ont été commis. Ainsi, la confession ou déclaration demeure au dossier et aucun effort sérieux n’est fait pour enquêter, poursuivre et punir les auteurs.
Le système de plaintes relatives aux allégations de torture et de mauvais traitements, à de rares exceptions près, ne semble fonctionnelle qu’en droit mais pas dans la pratique. Cela semble également être le cas pour les enquêtes, les poursuites et peines prononcées à l’égard des auteurs. Cette lacune doit disparaître. J’encourage les autorités de promouvoir les capacités médico-légales par le parquet et les magistrats. Également j’invite les autorités à mettre en œuvre le droit de présenter des plaintes et d’assurer que les accusés qui comparaissent en premier ont l’occasion de faire des allégations de torture ou de mauvais traitements qu’elles auraient subi par la police ou les services de renseignement.
Il me semble que nous assistons à une augmentation subite du nombre d’incidents d’utilisation de force excessive lors d’interventions de la part des autorités en réaction aux réunions et manifestations. Nonobstant le fait de savoir si la manifestation est ou non autorisée, cela ne donne pas le droit aux autorités de recourir à la force excessive. Le droit de réunion pacifique doit être respecté et lorsque les manifestations deviennent incontrôlables, la police a le devoir de maintenir l’ordre et prévenir la violence, tout en faisant cela en conformité avec les normes internationales. Celles-ci sont fondées sur les principes de la nécessité et de la proportionnalité avec le respect du droit à la vie et à l’intégrité physique. Les allégations de graves blessures lors des événements récents n’ont pas été confirmées par mes enquêtes préliminaires.
La Délégation générale de l’administration pénitentiaire et de la réinsertion a lancé un projet de grande envergure pour arrêter le fonctionnement de certaines prisons les plus anciennes, de construire de nouvelles prisons, d' agrandir et rénover d’autres afin d’améliorer les conditions de détention. Les institutions que j’ai visitées ont fait l’objet de travaux de rénovation importants, peinture fraîche, nouvelle literie et des couvertures, et des zones d'assainissement très propres. J'espère vivement que ces améliorations resteront en place et que des améliorations seront apportées à toutes les autres prisons que je n’ai pas pu visiter. L’intégration des services de santé des prisonniers relevant du Ministère de la santé pourrait aussi contribuer à un meilleur niveau de service médical. La NCHR publiera prochainement un rapport sur la situation des prisons et des prisonniers. Cela est opportun et nécessaire et je vais prendre ce rapport ainsi que leur récent rapport sur les hôpitaux psychiatriques en considération en préparation de mes recommandations.
La surpopulation est un problème à aborder et les autorités elles-mêmes ont reconnu cela ouvertement. La population carcérale se chiffre à environ 67.000 détenus (condamnés et prévenus). Des informations chiffrées contradictoires me sont parvenues concernant la capacité totale du système pénitentiaire. Le Délégué-Général nous a dit qu’elle se situe entre 48000 et 50000, tandis que le CNDH l’évalue à 37000. Selon ces chiffres, le taux de surpopulation serait d’environ 34% et de 80% respectivement. Ces chiffres risquent de sous-estimer le taux réel de la surpopulation car ils sont basés sur le nombre de lits disponibles par rapport à la population réelle. Dans certaines prisons que j'ai visitées, les lits étaient tellement proches les uns des autres que même à pleine capacité ou un peu au-dessous, les conditions de vie seraient toujours surpeuplées. On parviendrait peut-être à une indication plus précise de la surpopulation si l’on divisait la capacité habitable totale par la population carcérale de 67000. Dans ce cas, je crois comprendre que le taux se situerait entre 1,5 et 3 mètres cube par détenu.
Tout en reconnaissant la situation difficile pour les autorités en ce qui concerne le flux de migrants en situation irrégulière, surtout dans le nord du pays, je tiens à exprimer mes craintes concernant l’augmentation de la violence par des forces envers ce groupe particulièrement vulnérable. Les actes d’agression, les violences sexuelles et d'autres formes de mauvais traitements semblent augmenter. J’exhorte les autorités à prendre toutes les mesures nécessaires pour prévenir de nouvelles violences et d'enquêter sur les informations faisant état de violence contre les migrants sub-sahariens. Dans ce contexte, j'ai visité les cellules de détention à l’aéroport Mohammed V à Casablanca où j’ai trouvé quatre personnes détenues en provenance de l'Angola, de la Guinée et du Libéria. Toutes les quatre étaient maintenues dans des conditions décentes en attente d'expulsion.
Lors de ma visite à Laâyoune, Sahara occidental, j'ai été débordé par le grand nombre de demandes à satisfaire et les centaines de cas reçus avant et pendant ma visite de deux jours. Malheureusement je n’ai pu rendre visite qu’à un nombre limité de victimes présumées et des représentants de la société civile, mais je vais examiner chaque demande dans le détail de sorte que toute information relevant de mon mandat soit prise en compte. J’ai effectué une visite dans la prison locale et l’hôpital Moulay El Hassan Bel Mehdi à Laâyoune, ainsi que le poste de Gendarmerie à Port Laâyoune. La section de la prison réservée aux femmes et le centre psychiatrique à l'hôpital, ayant fait l’objet de travaux récents, sont dans un très bon état.
Je remercie tous les interlocuteurs pour leur engagement. Je vais présenter mon rapport au Conseil des droits de l'homme à Genève en mars 2013.
* L’expert indépendant a également rendu visité à Laâyoune, Sahara occidental, les 17 et 18 septembre 2012.
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