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jeudi 27 septembre 2012

Maroc. Un royaume dans l'étau de la crise

Par Hubert Coudurier, 23/9/2012

Gouverné par les islamistes depuis plusieurs mois, le Maroc a échappé au chaos du Printemps arabe. Une situation atypique liée à la spécificité de la monarchie alaouite qui la contrôle autant que faire se peut.

De notre envoyé spécial. 
Les tensions liées à la période du ramadan n'ont pas ébranlé, plus qu'à l'accoutumée, la stabilité marocaine. La situation économique n'est pourtant pas fameuse, bien que le pays ait longtemps été préservé de la crise européenne par un strict contrôle des changes.
Toutefois, il est désormais affecté par l'effondrement espagnol, où 200.000 Marocains qui y vivent ont perdu leur emploi. De plus, la saison touristique a été médiocre, la balance des paiements reste très déficitaire et le pays ne dispose guère de plus de quatre mois de réserves de change (le seuil critique étant généralement fixé à trois mois), au risque de devoir faire un jour appel à l'aide du Fonds monétaire international (FMI).

Une première longtemps redoutée
La stabilité politique semble paradoxalement liée à la nomination du Premier ministre islamiste, Abdelilah Benkirane, leader du PJD (Parti pour la justice et le développement), dans la foulée des législatives anticipées de novembre 2011. Une première dans l'histoire du Maroc longtemps redoutée et repoussée. L'homme, réputé pour son franc-parler, communicant populiste, n'a pourtant décidé rien de concret afin d'améliorer le sort des Marocains les plus pauvres.

Pire, à l'inverse de la France, il a annoncé à la télévision sa décision d'augmenter le prix de l'essence pour rétablir la transparence économique. Car le pouvoir hésitait à le faire depuis dix ans. En particulier son prédécesseur de l'Istiqlal, Abbas El Fassi, qui se vantait de n'avoir pas tenu une seule conférence de presse durant tout son mandat, et ne cessait de répéter : «Le roi m'a dit».
«Les islamistes ont obtenu ce que l'opposition laïque n'avait pas réussi à imposer : une monarchie constitutionnelle comme le voulaient les Américains», note le directeur d'un journal de Casablanca. «C'était la condition de la survie du régime», renchérit un grand patron marocain. Il reste à ces islamistes compatibles avec la monarchie, contrairement à ceux du mouvement Justice et bienfaisance, toujours interdit, à se doter d'une culture de gouvernement, à l'image de l'AKP en Turquie.
Une seule victime, la bourgeoisie, qui se sent désormais abandonnée par le Makhzen (palais), même si elle a voté pour les islamistes aux élections législatives. Tout à la fois, semble-t-il, par volonté de renouveau et souci de lutter contre la corruption. Mais Mohammed VI a-t-il jamais aimé cette grande bourgeoisie d'affaires, qu'Hassan II lui-même détestait depuis l'époque des années 70, où elle soutenait l'opposition socialiste ?

«Le roi joue sur plusieurs tableaux»
Du coup, «M6» pourrait donner le feu vert, comme l'avait fait son père, à un nouveau mouvement d'épuration visant tous les «trafiquants» du régime, et Dieu sait s'ils sont nombreux. Une gesticulation assurément populaire, même si la dernière avait coûté cher à plusieurs notables innocents transformés en boucs émissaires. L'ancien patron de la compagnie marocaine de navigation (Comanav) ou le directeur de l'aéroport de Casablanca en ont déjà fait les frais. Une manière de détourner l'attention de l'aggravation économique qui pourrait exacerber le climat social et rend certains observateurs moins optimistes pour l'avenir. «Le roi joue sur plusieurs tableaux, notamment la crainte de "boat people" en Europe, et il a transformé le pays en jardin d'acclimatation pour les Français. Marrakech, c'est Bangkok (*). Aucun pays arabe n'est comme cela. C'est d'ailleurs le seul en Afrique du Nord où il y a eu des attentats suicides traduisant le désespoir d'une population qui ne remonte pas aux décideurs», constate un proche du Makhzen. Le parallèle avec l'époque du chah d'Iran est ainsi vite trouvé par ceux qui estiment qu'Hassan II avait plus de charisme que son fils et, qu'à l'époque, la redistribution fonctionnait mieux. Peut-être, mais cela n'est pas certain car ce discours récurrent a constamment été démenti par les faits.

La peur d'une réislamisation de la société
Tout dépendra du poids de la classe moyenne en voie de constitution, et de la capacité du régime à lâcher du lest dans sa gestion très subtile du corps social, doté d'une résistance peu commune, du moins comparé à l'Occident. Pour l'heure, bien que Benkirane soit proche du palais - hormis ses relations détestables avec Fouad Ali Himma, l'un des plus proches conseillers du roi - c'est la peur d'une réislamisation de la société qui prévaut. Et certains faits divers, comme l'affaire Amina, cette jeune fille violée et forcée d'épouser son agresseur avant de se suicider, tout comme les menaces de mort d'un prédicateur islamiste à l'égard d'un journaliste, ont fait couler beaucoup plus d'encre que le spectacle de la misère sociale.

Certains font d'ailleurs remarquer que les récentes manifestations sur le Sahara occidental (L'Alsace-Lorraine marocaine) pour protester contre les ambitions algériennes récemment cautionnées par l'Onu, ont rassemblé plus de monde que celles du 20 février 2011 ayant conduit le Makhzen à réformer la Constitution - quoique les décrets d'attribution tardent à entrer en vigueur. Au royaume subtil de la dynastie alaouite, la rupture se fait à pas comptés.

* «Paris-Marrakech - luxe, pouvoir et réseaux» par Ali Amar et Jean-Pierre Tuquoi, chez Calmann-Lévy (16 €).


nca

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