Des citoyen-ne-s et non pas des sujets !
L’aspiration du peuple marocain à la dignité, la citoyenneté et à la justice sociale est la nôtre en tant que migrants faisant partie de ce peuple qui a fait et continue à faire beaucoup de sacrifices contre les différentes formes de despotisme, de discriminations et pour un véritable État de droit. Le débat sur la constitution est en réalité un débat sur quel projet de société nous voulons et quels principes doivent être inscrits pour un Maroc démocratique, respectueux des différences culturelles, linguistiques, de croyances religieuses ou laïques ?
Nos aspirations s’inscrivent aussi dans cette dynamique en cours des révolutions des peuples du Maghreb et du Machrek qui sont non seulement en train de balayer certains régimes dictatoriaux et honnis par leurs peuples, mais surtout en train d’effectuer des transformations en profondeur des mentalités, pour l’avènement des droits des citoyens prenant leur destin en main.
Au Maroc, grâce au mouvement du 20 février, qui porte et renouvelle aujourd’hui les aspirations et espoirs du peuple marocain, dont fait partie l’immigration, c’est de nouvelles formes de citoyenneté qui émergent. Ce mouvement est dans le prolongement des luttes du peuple marocain pendant la colonisation, des révoltes du Rif en 1958, du 23 mars 1965, des évènements du 21 juin 1981, janvier 1984 et janvier 1990... Il est en train d’innover dans le contenu et dans les formes des revendications et des mobilisations pour un Etat de Justice, de Droit, de Solidarité et d’Egalité.
Ce mouvement de jeunes a réussi à travers le contenu de ses slogans et de ses revendications démocratiques à regrouper l’ensemble des marocains épris de justice et de liberté quelles que soient leurs origines et histoires.
Ces jeunes qui ont initié le mouvement du 20 février, dans leur diversité sociale, politique et culturelle, ont joué un rôle fédérateur dans la revendication d’une véritable démocratie et dans l’exigence de la mise en place d’un processus de souveraineté populaire à travers des institutions réellement démocratiques.
La politique économique et sociale appliquée au Maroc favorise la concentration des richesses entre les mains d’une minorité et aggrave l’appauvrissement et l’exclusion sociale. Egalement l’opacité de la gestion des affaires publiques, la corruption empêchent les Marocaines et les Marocains d’avoir une vision éclairée de leur environnement politique et d’y mener une action citoyenne active.
Une justice indépendante est le seul moyen de lutter contre l’arbitraire, l’impunité et le mépris social.
Nos associations démocratiques issues de l’immigration ont toujours été impliquées dans les luttes du peuple marocain et continuent d’assumer cette mission pour donner plus d’ampleur et de rayonnement aux justes revendications exprimées par l'ensemble de la société.
L’enjeu actuel est d’effectuer des avancées qualitatives qui doivent reposer sur deux socles
communs et incontournables : le respect de la dignité, et une véritable citoyenneté.
S'agissant du premier socle, il est insupportable dans un Maroc du 21ème siècle de continuer à être régi par des règles et des coutumes moyenâgeuses (la baïa, le baisemain, la prosternation devant le roi…). Ces formes d’assujettissement sont à bannir pour créer les conditions de nouveaux rapports de gouvernance basés sur l’égalité, la dignité et la citoyenneté. La souveraineté du peuple doit être au cœur de tout dispositif de gouvernance. Cette souveraineté doit s’exprimer aussi dans la manière dont la nouvelle Constitution peut être élaborée. La démarche actuelle (une commission choisie, avec les contours de la réforme fixés par le chef de l’Etat) va à l’encontre de l’aspiration fortement affirmée par les manifestants-citoyens qui exigent une véritable refonte de la Constitution, par le biais d’une assemblée constituante démocratiquement élue.
Le second socle est la citoyenneté pour qu’un Etat de droit soit érigé sur des bases saines respectant les droits de l’Homme tels qu’ils sont universellement reconnus. D’où la nécessité d’utiliser comme référentiel exclusif, les pactes internationaux (La Déclaration Universelle des Droits de l'Homme, le Pacte International des droits civils et politiques , le Pacte international des Droits Economiques, Sociaux et Culturels, le Deuxième protocole facultatif visant à abolir la peine de mort, la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, la Convention internationale sur la protection des droits des migrants et de leurs familles, la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW)…) en les intégrant dans le corps des textes de loi, et leur accordant la primauté sur les lois nationales en cas de contradiction. La citoyenneté repose sur l’engagement de l’Etat à veiller au respect, à la promotion et à la défense des libertés fondamentales dont tout être humain peut se prévaloir (libertés individuelles, liberté d’expression et d’opinion, liberté d’association, liberté de croyance, etc.) en vue de défendre ses droits socio-économiques, politiques, culturels et ses aspirations à vivre dans la dignité.
Le migrant marocain, ne peut être exclu de tous les processus qui peuvent être mis en place au pays. Il doit être pleinement associé, en lui permettant d’exprimer aussi bien ses attentes que ses opinions et en lui facilitant une implication en sa qualité de citoyen acteur devant bénéficier des mêmes droits que ses compatriotes du pays (tels que le droit de vote et d’éligibilité).
Alors que l'immigration représente plus de 10 % de la population marocaine (3 millions), elle reste marginalisée, victime de pratiques anciennes dans les administrations et certains consulats (tracasseries administratives, corruption…).
Des défaillances criantes de l’Etat marocain vis-à-vis des citoyens marocains à l’étranger sont à dénombrer. Le principal rôle d’un Etat est de protéger ses citoyens contre les discriminations, les actes racistes et contre les projets de lois répressifs. Or, l’Etat marocain a toujours brillé par son absence dans la défense des victimes des crimes racistes, ou contre les projets sécuritaires édictés par les gouvernements européens.
Sur le plan politique la représentation de l’immigration est quasi absente. Les immigrés sont de fait des citoyens de seconde zone !
Sur le plan économique et financier, l’instrumentalisation des migrants en tant que pourvoyeurs de fonds et de liquidités, relève d’une politique de courte vue, alors que l’argent des migrants doit contribuer au développement solidaire des régions dont ils sont issus.
Sur le plan culturel et cultuel, la politique migratoire menée tend à renforcer la marginalisation des migrants et de leurs enfants, le repli identitaire et l’enfermement chauvin et nationaliste. Les accords bilatéraux sur l’enseignement des langues et cultures d’origine, et l’envoi d’imams dans les pays européens sont des exemples frappant de cette politique.
Il est urgent de revoir les orientations de la politique migratoire marocaine, notamment dans le sens de :
- La protection des citoyen-e-s marocain-e-s dans l’immigration, en intervenant fermement auprès des Etats européens pour que cessent les politiques de discrimination, et pour soutenir les victimes du racisme.
- L’abrogation des accords de réadmission et d’externalisation signés avec les gouvernements européens, responsables de drames humains touchant aussi bien les migrant-e-s marocain-e-s que les migrant-e-s subsaharien-e-s.
- La reconnaissance du rôle des migrant-e-s et de leurs associations démocratiques dans le développement local et solidaire.
- La constitution d’instances représentatives élues démocratiquement des migrant-e-s.
- La mise en place de conventions bilatérales garantissant la réciprocité de traitement et le respect des droits des migrants dans tous les domaines, notamment la santé, la sécurité sociale, le handicap et les droits à la retraite.
- La non ingérence dans les formes d’organisation des migrants au niveau des cultes, qui doivent être gérés dans le cadre de la législation des pays d’accueil en tant que citoyens des pays de résidence.
En qualité d’associations démocratiques issues de l’immigration marocaine, ayant vécu les différentes discriminations, nous considérons que le Maroc de demain doit être respectueux des droits des migrants qui sont sur son sol, comme l'exige la convention internationale sur la protection des migrants et de leurs familles, signée par le Maroc, sans être respectée. Les migrants subsahariens et d’autres origines vivant au Maroc doivent bénéficier de l’égalité des droits, de la libre circulation et d’installation et être protégés contre toutes les formes de racisme et de discrimination. Il s’agit de construire un autre Maroc basé sur l’amitié entre les peuples, ouvert sur son environnement africain et maghrébin, sur la base de l’égalité, la justice sociale, la dignité, la démocratie et la citoyenneté.
Paris, le 1er juin 2011
Premiers signataires:
- Association des Marocains en France (AMF)
Souad Chaouih amffederation@wanadoo.fr
- Association des Travailleurs Maghrébins de France (ATMF)
Driss Elkherchi national@atmf.org
- Association de Défense des Droits de l'Homme au Maroc (ASDHOM)
Abid El Khattabi asdhom@asdhom.org
- Immigration Développement Démocratie (IDD)
Abdallah Zniber coordination@idd-reseau.org
- Forum Marocain Vérité et Justice (FMVJ-France)
Abdelhaq El Kass
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