La
présidente de la Cimade, Geneviève Jacques, revient sur le rapport “Les
droits fondamentaux des étrangers en France” qui étrille
l’administration et la société sur les pratiques discriminatoires
réservées aux non-Français.
Le rapport rendu par le Défenseur des
droits Jacques Toubon sur les droits des étrangers en France est loin
d’être tendre avec l’administration publique, les préfectures et l’Etat.
Il pointe aussi du doigt des préjugés tenaces. Avec, en filigrane des
305 pages qui composent le document, l’application, de facto, d’une sorte de préférence nationale concernant l’accès aux droits fondamentaux. «
L’idée de traiter différemment les personnes n’ayant pas la nationalité
française, de leur accorder moins de droits qu’aux nationaux est si
usuelle et convenue qu’elle laisserait croire que la question de la
légitimité d’une telle distinction est dépourvue de toute utilité et de
tout intérêt », explique Jacques Toubon en introduction.
Différence de traitement selon les origines (à la Sécurité sociale,
par exemple, qui distingue Algériens, Marocains, Turcs, Camerounais ou
Bosniaques), refus de scolariser des enfants dont les parents sont dans
l’illégalité ou sans domicile (quand elle est obligatoire de 6 ans à 16
ans), accès difficile à la santé, aux prestations sociales ou aux
démarches administratives (compte tenu de « refoulements persistants » dans les préfectures)... Des situations allant à l’encontre, parfois, du droit français, dénoncées depuis des années par la Cimade,
association militante qui accompagne les personnes étrangères dans la
défense de leurs droits. Entretien avec sa présidente, Geneviève
Jacques.
Nous saluons ce rapport qui est conforme à ce que nous constatons sur
le terrain depuis des années. Il met sur la table une liste de
pratiques et de discriminations qui ont cours et qui doivent cesser. De
nombreux faits dénoncés par nos soins se retrouvent dans ce rapport.
Nous nous en réjouissons. Ces dysfonctionnements graves, qui nous
poussent parfois à aller jusqu’en justice, doivent être corrigés :
atteintes au droit dans la délivrance des visas, remise en cause du
droit à vivre en famille, procédures de régularisation de plus en plus
complexes, etc. Certaines pratiques, parfois discriminatoires, peuvent
aussi être différentes selon les préfectures : on n’a pas accès aux
mêmes droits selon qu’on habite en région parisienne ou dans le Centre.
Les documents demandés ne sont pas les mêmes selon les endroits –
parfois, certains non-nécessaires sont tout de même exigés. Un grand
nombre de personnes étrangères n’ont plus accès aux services publics,
notamment à cause de la dématérialisation informatique des démarches.
Des droits élémentaires ne sont pas respectés : éloignement de la
famille, placement en centre de rétention de gens qui n’ont rien à y
faire (mineurs, personnes malades…). Le droit à la santé, une obligation
constitutionnelle, est refusé à certains enfants. La liste est longue.
Une tendance se fait jour : dans les préfectures, on parle à des
étrangers avant de parler à des êtres humains.
L’Etat est donc responsable ?
Les lois votées par ce gouvernement, comme sur la réforme du droit
d’asile de 2015 ou du droit des étrangers de 2016, ne sont pas en
rupture par rapport aux lois précédentes, qui se sont accumulées et qui
ne reviennent pas sur la façon dont sont considérés les étrangers. C’est
le règne du soupçon et de la méfiance, une attitude que l’on voit à
l'oeuvre depuis le bas de l’échelon de l’accueil, dans les préfectures,
qui consiste à d’abord vérifier si la personne n’est pas un menteur ou
un fraudeur. Par voie de conséquence, cela entraîne des mesures
restrictives ou des contrôles tatillons qui sont loin de remplir
l’objectif de l’intégration des personnes : on parcellise le droit, on
insécurise le parcours des étrangers. Or, c’est par ce parcours que le
processus d'une bonne intégration doit se faire. C’est une condition,
pas une récompense.
Les préjugés, la méfiance envers les étrangers, semblent
tenaces en France, et ancrés jusque dans l’administration. En
sortira-t-on un jour ?
C’est le combat de la Cimade depuis 75 ans. Nous vivons dans une
époque où la crise des politiques migratoires (appelée à tort crise des
migrants) peut réveiller les consciences citoyennes. C’est là que nous
plaçons nos espoirs de changement. Mais seulement s’il y a suffisamment
des réactions dans la société civile. La mobilité forcée des individus –
à cause des guerres, de la misère ou des désastres climatiques – ne va
pas s’arrêter : les gens bougent et bougeront. De jeunes générations
mieux formées, en Afrique par exemple, revendiquent leur droit à la
mobilité dont nous-mêmes et nos enfants bénéficions en Europe. Cette
mobilité est irrépressible. Nous devons aller contre notre frilosité et
notre obsession de la fermeture.
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