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samedi 14 mai 2016

Rapport du Défenseur des droits : “On parle à des étrangers avant de parler à des êtres humains”

Des droits que possèdent toute personne humaine ne sont pas respectés : éloignement des famille, placement en centre de rétention de gens qui n’ont rien à y faire (familles, mineurs, personnes malades…).
La présidente de la Cimade, Geneviève Jacques, revient sur le rapport “Les droits fondamentaux des étrangers en France” qui étrille l’administration et la société sur les pratiques discriminatoires réservées aux non-Français.
Le rapport rendu par le Défenseur des droits Jacques Toubon sur les droits des étrangers en France est loin d’être tendre avec l’administration publique, les préfectures et l’Etat. Il pointe aussi du doigt des préjugés tenaces. Avec, en filigrane des 305 pages qui composent le document, l’application, de facto, d’une sorte de préférence nationale concernant l’accès aux droits fondamentaux. « L’idée de traiter différemment les personnes n’ayant pas la nationalité française, de leur accorder moins de droits qu’aux nationaux est si usuelle et convenue qu’elle laisserait croire que la question de la légitimité d’une telle distinction est dépourvue de toute utilité et de tout intérêt », explique Jacques Toubon en introduction.

Différence de traitement selon les origines (à la Sécurité sociale, par exemple, qui distingue Algériens, Marocains, Turcs, Camerounais ou Bosniaques), refus de scolariser des enfants dont les parents sont dans l’illégalité ou sans domicile (quand elle est obligatoire de 6 ans à 16 ans), accès difficile à la santé, aux prestations sociales ou aux démarches administratives (compte tenu de « refoulements persistants » dans les préfectures)... Des situations allant à l’encontre, parfois, du droit français, dénoncées depuis des années par la Cimade, association militante qui accompagne les personnes étrangères dans la défense de leurs droits. Entretien avec sa présidente, Geneviève Jacques.
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En quoi ce rapport est-il accablant ?
Nous saluons ce rapport qui est conforme à ce que nous constatons sur le terrain depuis des années. Il met sur la table une liste de pratiques et de discriminations qui ont cours et qui doivent cesser. De nombreux faits dénoncés par nos soins se retrouvent dans ce rapport. Nous nous en réjouissons. Ces dysfonctionnements graves, qui nous poussent parfois à aller jusqu’en justice, doivent être corrigés : atteintes au droit dans la délivrance des visas, remise en cause du droit à vivre en famille, procédures de régularisation de plus en plus complexes, etc. Certaines pratiques, parfois discriminatoires, peuvent aussi être différentes selon les préfectures : on n’a pas accès aux mêmes droits selon qu’on habite en région parisienne ou dans le Centre. Les documents demandés ne sont pas les mêmes selon les endroits – parfois, certains non-nécessaires sont tout de même exigés. Un grand nombre de personnes étrangères n’ont plus accès aux services publics, notamment à cause de la dématérialisation informatique des démarches. Des droits élémentaires ne sont pas respectés : éloignement de la famille, placement en centre de rétention de gens qui n’ont rien à y faire (mineurs, personnes malades…). Le droit à la santé, une obligation constitutionnelle, est refusé à certains enfants. La liste est longue. Une tendance se fait jour : dans les préfectures, on parle à des étrangers avant de parler à des êtres humains.
Des heures d'attente pour atteindre le service des étrangers de la préfecture de la Gironde.

 
L’Etat est donc responsable ?
Les lois votées par ce gouvernement, comme sur la réforme du droit d’asile de 2015 ou du droit des étrangers de 2016, ne sont pas en rupture par rapport aux lois précédentes, qui se sont accumulées et qui ne reviennent pas sur la façon dont sont considérés les étrangers. C’est le règne du soupçon et de la méfiance, une attitude que l’on voit à l'oeuvre depuis le bas de l’échelon de l’accueil, dans les préfectures, qui consiste à d’abord vérifier si la personne n’est pas un menteur ou un fraudeur. Par voie de conséquence, cela entraîne des mesures restrictives ou des contrôles tatillons qui sont loin de remplir l’objectif de l’intégration des personnes : on parcellise le droit, on insécurise le parcours des étrangers. Or, c’est par ce parcours que le processus d'une bonne intégration doit se faire. C’est une condition, pas une récompense.
L’évacuation des migrants occupant le lycée parisien Jean-Jaurès, le 4 mai 2016. Le tribunal de la ville avait récemment ordonné une expulsion "sans délai".
 
Les préjugés, la méfiance envers les étrangers, semblent tenaces en France, et ancrés jusque dans l’administration. En sortira-t-on un jour ?
C’est le combat de la Cimade depuis 75 ans. Nous vivons dans une époque où la crise des politiques migratoires (appelée à tort crise des migrants) peut réveiller les consciences citoyennes. C’est là que nous plaçons nos espoirs de changement. Mais seulement s’il y a suffisamment des réactions dans la société civile. La mobilité forcée des individus – à cause des guerres, de la misère ou des désastres climatiques – ne va pas s’arrêter : les gens bougent et bougeront. De jeunes générations mieux formées, en Afrique par exemple, revendiquent leur droit à la mobilité dont nous-mêmes et nos enfants bénéficions en Europe. Cette mobilité est irrépressible. Nous devons aller contre notre frilosité et notre obsession de la fermeture.

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