par Rosa Montero, El Pais, 3/5/2016
Original: Vergüenza
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala
Ils sont 125 000 et vivent depuis 40 ans dans des camps de réfugiés. La mort du Sahraoui Brahim Saika ravive une lutte oubliée.
Au fond du puits de notre oubli. C'est là que sont les Sahraouis. Je viens de lire que le 15 avril le
syndicaliste sahraoui Brahim Saika, 32 ans, est mort dans un hôpital à
Agadir (Maroc). Brahim avait été arrêté le 1er avril en sortant de son
domicile pour participer à une manifestation pacifique. "Il a été emmené
au poste de police de Guelmim, où il a été torturé pendant des heures",
rapporte la délégation sahraouie en Espagne. Brahim a alors décidé de
commencer une grève de la faim pour protester contre les mauvais
traitements. Je suppose qu'ils l'ont laissé en très mauvais état,
puisque seulement cinq jours plus tard, il était dans des conditions si
graves qu'il a été transporté à l'hôpital. Jeune et fort, il est mort à
une vitesse inhabituelle, et les autorités ont apparemment refusé de le
faire autopsier. J'écris ces lignes quatre jours après son décès, et
pour le moment la nouvelles n'est presque pas sortie dans les médias, à
part quelques sites. J'imagine le pauvre Brahim recourant à la seule
arme extrême de lutte dont il disposait, la mort par inanition, en
espérant que ce dernier cri d'angoisse et de dénonciation serait
finalement entendu. Mais même son agonie n'a pas réussi à nous
atteindre.
Maintenant, c'est moi qui ai envie de crier en écrivant ceci, parce que chez moi aussi, les Sahraouis s'étaient presque effacés de la mémoire; et ceci bien que je sois allée à plusieurs reprises dans les camps de réfugiés, que je me sois toujours sentie très proche de leur cause, et que j'aie écrit une vingtaine de reportages et d'articles à leur sujet. Mais les années passent comme une pluie de plomb, et l'implacable politique marocaine de répression et d'écrasement, de concert avec l'indifférence épouvantable de la communauté internationale, ont réussi à enterrer vivant ce petit peuple héroïque et tenace. Et le pire est que l'indifférence est non seulement celle des gouvernements mais aussi des organisations prétendument progressistes, car on parle beaucoup des Palestiniens, mais personne ne dit rien des pauvres Sahraouis, bien que leur situation soit encore plus critique. Bien sûr, ils sont une poignée de gens sans pétrole ni intérêt géostratégique. Personne ne semble se soucier de leur souffrance.
Maintenant, c'est moi qui ai envie de crier en écrivant ceci, parce que chez moi aussi, les Sahraouis s'étaient presque effacés de la mémoire; et ceci bien que je sois allée à plusieurs reprises dans les camps de réfugiés, que je me sois toujours sentie très proche de leur cause, et que j'aie écrit une vingtaine de reportages et d'articles à leur sujet. Mais les années passent comme une pluie de plomb, et l'implacable politique marocaine de répression et d'écrasement, de concert avec l'indifférence épouvantable de la communauté internationale, ont réussi à enterrer vivant ce petit peuple héroïque et tenace. Et le pire est que l'indifférence est non seulement celle des gouvernements mais aussi des organisations prétendument progressistes, car on parle beaucoup des Palestiniens, mais personne ne dit rien des pauvres Sahraouis, bien que leur situation soit encore plus critique. Bien sûr, ils sont une poignée de gens sans pétrole ni intérêt géostratégique. Personne ne semble se soucier de leur souffrance.
Honte. J'éprouve une honte personnelle pour mon amnésie, mais
surtout, je ressens une honte collective infinie, parce que c'est
l'Espagne qui est à blâmer pour ce drame. Pendant près de cent ans, nous
les avons colonisés avec nonchalance : pendant toute cette période, un
seul Sahraoui est arrivé à l'université (il devint médecin). À la
mi-1975, nous leurs avons promis l'indépendance, et les innocents
Sahraouis y ont cru. Trois mois plus tard, le 14 novembre, était signé à
Madrid un accord partageant le Sahara occidental entre le Maroc et la
Mauritanie : "Nous avons été trahis et vendus comme des moutons". Les
Espagnols se retirèrent à toute vitesse et le Maroc a envahi le Sahara
de manière brutale. Tous ceux qui pouvaient, hommes et femmes, enfants
et personnes âgées, ont fui dans le désert sans nourriture et avec pour
seuls bagages les vêtements qu'ils portaient, pendant que les Marocains
les bombardaient au napalm. Au cours des premières semaines, des
milliers d'enfants moururent de maladies et de faim. Finalement,
l'Algérie leur a proposé de s'installer dans la Hamada, le désert le
plus inhospitalier au monde, un enfer de pierre où seuls vivent les
scorpions et les serpents. Et ils y sont toujours.
Ils sont environ 125 000 et vivent depuis 40 ans sous des tentes provisoires de réfugiés. Sensés, pacifiques et stoïques, ils ont tout essayé sans recourir au terrorisme, et voici comment nous les avons récompensés : par une ignorance olympique de leurs droits et de leur douleur. Le Maroc a failli encore et encore aux obligations impliquées par les résolutions de l'ONU et a commis toutes sortes d'exactions, mais l'Espagne continue à embrasser ce monarque alaouite que notre couronne aime tant. Et non seulement nous n'avons jamais défendu les Sahraouis, mais nous avons aussi été le principal fournisseur d'armes au Maroc, ces armes avec lesquelles il les anéantit. Je ne veux même pas imaginer le désespoir que doivent ressentir les réfugiés, dans leur sombre conviction noire qu'il n'y a pas d'issue : "Le Maroc nous tue à petit feu". Toute cette souffrance pourrait un jour se transformer en violence terroriste et alors nous les condamnerons et nous nous frotterons les mains. Une fois qu'ils seront devenus les méchants, notre culpabilité se dissipera.
Ils sont environ 125 000 et vivent depuis 40 ans sous des tentes provisoires de réfugiés. Sensés, pacifiques et stoïques, ils ont tout essayé sans recourir au terrorisme, et voici comment nous les avons récompensés : par une ignorance olympique de leurs droits et de leur douleur. Le Maroc a failli encore et encore aux obligations impliquées par les résolutions de l'ONU et a commis toutes sortes d'exactions, mais l'Espagne continue à embrasser ce monarque alaouite que notre couronne aime tant. Et non seulement nous n'avons jamais défendu les Sahraouis, mais nous avons aussi été le principal fournisseur d'armes au Maroc, ces armes avec lesquelles il les anéantit. Je ne veux même pas imaginer le désespoir que doivent ressentir les réfugiés, dans leur sombre conviction noire qu'il n'y a pas d'issue : "Le Maroc nous tue à petit feu". Toute cette souffrance pourrait un jour se transformer en violence terroriste et alors nous les condamnerons et nous nous frotterons les mains. Une fois qu'ils seront devenus les méchants, notre culpabilité se dissipera.
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