Dans
son discours au Congrès, François Hollande a demandé une modification
de la Constitution pour y inscrire l’état d’urgence. Il a également
annoncé une batterie de mesures sécuritaires. « La France est en guerre », a-t-il dit pour justifier le tournant ultra sécuritaire du quinquennat.
Ce sont ses premiers mots et ils justifient tout. L’état d’exception comme le tournant dans la politique française en Syrie. « La France est en guerre »,
a déclaré lundi François Hollande, devant les parlementaires
exceptionnellement réunis en Congrès à Versailles. Après les attentats
de Paris et de Saint-Denis, le président de la République a demandé
l’instauration d’un état d’exception, avec une modification de la
Constitution pour y inscrire l’état d’urgence. Il a également annoncé
une batterie de mesures sécuritaires, notamment sur la déchéance de
nationalité, ainsi que l’embauche de plusieurs milliers de
fonctionnaires dans la police et la justice. Sur le plan extérieur, il a
confirmé l’intensification des frappes françaises en Syrie et appelé à
une « grande coalition » contre l’État islamique.
Lire nos deux articles d'éclairage:
Sur le plan national d’abord, le président de la République, plus
martial que jamais, a confirmé qu’il avait demandé au gouvernement de
présenter mercredi en conseil des ministres un projet de loi autorisant
la prolongation de l’état d’urgence, décrété dans la nuit de vendredi à
samedi, à trois mois. Son contenu sera également adapté à « l’évolution des technologies », a annoncé François Hollande, sans plus de détails. L’état d’urgence est un régime d’exception
qui renforce les pouvoirs de l’exécutif à des fins de sécurité, sur
tout ou partie du territoire – cette fois, il a été utilisé pour
assigner des personnes à résidence et lancer de nombreuses perquisitions
administratives.
Mais pour le chef de l’État, cela ne suffit pas. « Nous devons
aller au-delà de l’urgence. J’ai beaucoup réfléchi à cette question.
Nous devons faire évoluer notre Constitution pour permettre aux pouvoirs
publics d’agir contre le terrorisme de guerre », a-t-il affirmé. La Constitution contient deux dispositions : l’article 16 sur les pouvoirs exceptionnels accordés au président et l’article 36 sur l’état de siège. « Aucun de ces deux régimes n’est adapté à la situation que nous rencontrons »,
a expliqué François Hollande. Le premier, toujours jugé liberticide par
la gauche, a été utilisé seulement en 1961 après le putsch des généraux
en Algérie et il implique que le fonctionnement régulier des pouvoirs
publics soit interrompu – ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Le second
n’a jamais été utilisé sous la Ve République – il prévoit de
transférer les pouvoirs de police de l’autorité civile à l’autorité
militaire, de créer des juridictions militaires et d’étendre les
pouvoirs de police.
« Nous sommes en guerre. Mais cette guerre d’un autre type face à
un adversaire nouveau appelle un régime constitutionnel permettant de
gérer l’état de crise », a avancé Hollande avant de renvoyer vers le comité Balladur de 2007 qui avait proposé une série de modifications de la Constitution. « Il
suggérait de modifier l’article 36 de notre texte fondamental pour y
faire figurer l’état de siège ainsi que l’état d’urgence. (…) Je
considère que cette orientation doit être reprise », a indiqué le président de la République sans plus de détails.
Il a ensuite annoncé une série de mesures que la droite va avoir bien
du mal à renier, tant elles ressemblent à nombre de propositions de LR
(ex-UMP). François Hollande veut notamment « déchoir de sa nationalité un individu condamné pour un acte terroriste même s’il est né Français »,
à condition qu’il dispose d’une autre nationalité – une disposition
déjà validée par le conseil d’État en janvier dernier – et « pouvoir interdire à un binational de revenir sur le territoire ». Une mesure que le ministre de l’intérieur Bernard Cazeneuve rejetait il y a encore quelques mois. Hollande veut aussi expulser « plus rapidement » les étrangers présentant une menace grave.
À l’instar du premier ministre Manuel Valls, François Hollande a
refusé de s’opposer à la proposition émise par Nicolas Sarkozy de placer
en résidence surveillée toutes les personnes signalées par une "fiche
S", soit 11 000 personnes sur le territoire. « Le
gouvernement, dans un esprit d’unité nationale, va saisir pour avis le
conseil d’État – cet avis sera rendu public et j’en tirerai toutes les
conséquences », a indiqué le président de la République. En réalité,
l’exécutif est convaincu que la disposition est anticonstitutionnelle
et, surtout, inefficace mais ne veut pas laisser un millimètre de
terrain à la droite sur le terrain sécuritaire.
François Hollande a également indiqué qu’il voulait « renforcer substantiellement les moyens »
de la justice et de la police, en élargissant l’éventail des techniques
de renseignement à la disposition des magistrats, en adaptant la
procédure pénale aux faits de terrorisme, en alourdissant « significativement »
les peines. Il a confirmé une évolution de la loi sur la légitime
défense des policiers, déjà annoncée par Bernard Cazeneuve. Enfin, 5 000
emplois supplémentaires de policiers et de gendarmes seront créés d’ici
deux ans – ce qui porte le total d’embauches dans ces deux secteurs à
10 000 sur le quinquennat. 2 500 postes vont également être créés dans
la justice, notamment dans l’administration pénitentiaire. Les baisses
d’effectifs prévues dans l’armée seront annulées jusqu’en 2019. Autant
de mesures qui vont avoir un coût budgétaire conséquent, alors que la
France s’est engagée à une réduction massive de son déficit public
auprès de Bruxelles. « Le pacte de sécurité l’emporte sur le pacte de stabilité », a justifié François Hollande.
Systématiquement, le président de la République en a appelé au
respect de l’État de droit et réaffirmé que le droit à la sûreté était
lui aussi une liberté fondamentale. « La République a pu s'éloigner d'elle-même dans certaines circonstances. Il faut veiller à ce que ce ne soit pas le cas », a affirmé Hollande.
Un vocabulaire guerrier
La
droite et l’extrême droite ne peuvent qu’applaudir – et c’était
évidemment un des buts tactiques poursuivis par François Hollande.
Dimanche déjà, un de ses conseillers nous expliquait : « Il ne faut pas laisser la droite occuper le terrain national. » C’est réussi : « François Hollande annonce des mesures qui vont dans le bon sens, mais pourquoi n'ont-elles pas été prises depuis janvier ? », s’est contenté de lancer Éric Ciotti. « Des mesures vont dans le bon sens », a aussi affirmé Christian Estrosi. Quant au député Damien Abad, proche de Bruno Le Maire, il a lancé sur Twitter : « Un
François Hollande dans la peau de Nicolas Sarkozy au congrès à
Versailles. Peut-être le début d'une prise de conscience salvatrice. »
« Le Président reprend certaines de nos propositions et j'en suis très
heureuse... », a également réagi sur BFM TV la députée FN Marion
Maréchal Le Pen. Et même si Christian Jacob, le président du groupe LR à
l’Assemblée a annoncé qu’il refusera de modifier la Constitution, le
débat devrait faire rage dans les rangs des députés et des sénateurs de
droite.Bien sûr, le président français n’est pas George W. Bush : il n’a pas
annoncé de tribunaux d’exception ni l’ouverture d’un Guantanamo. Il
n’est pas non plus Manuel Valls, du moins dans les mots : le président
de la République s’est toujours gardé, contrairement à son premier
ministre, de parler d’un « ennemi de l’intérieur ». « C’est cruel que de le dire : ce sont des Français qui ont tué vendredi d’autres Français », a préféré expliquer François Hollande. Il s’est aussi démarqué de la « guerre des civilisations » théorisée par les néoconservateurs : « Nous
ne sommes pas engagés dans une guerre de civilisation parce que ces
assassins n’en représentent aucune, mais dans une guerre contre le
terrorisme djihadiste. »
Le chef de l’État n’a pas non plus prononcé le mot « islamiste », tant il prête à toutes les confusions et les amalgames. Il parle d’une « armée djihadiste », de « terroristes », et d’une « armée terroriste Daech », qui sont de « méprisables tueurs » et des « lâches assassins ». Il a surtout rendu un hommage appuyé à la jeunesse dans sa « diversité » : « C’est
la France tout entière qui était la cible des terroristes. La France
qui aime la vie, la culture, le sport, la fête. La France sans
distinction de couleur, d’origine, de parcours, de religion. La France
que les assassins voulaient tuer, c’était la jeunesse dans toute sa
diversité. »
Mais, comme depuis le conseil restreint de défense de samedi (lire notre article),
François Hollande a choisi un vocabulaire extrêmement guerrier que
vient justifier une adaptation importante du droit français. Les
précédentes vagues d'attentats, en 1986 puis en 1995, n'avaient pas
abouti à de telles modifications. Impossible, donc, même si les mesures
prises sont différentes, de ne pas penser au Patriot Act de George W.
Bush après le 11-Septembre. La porosité, du moins langagière, au
discours néoconservateur des années Bush et de sa « guerre contre le terrorisme » qui avait institué les « ennemis combattants illégaux » pour
justifier les mesures exceptionnelles de l’administration américaine,
est frappante. Le parallélisme de certaines phrases est même parfois
troublant.
« Ces terroristes ne tuent pas uniquement pour ôter la vie,
mais pour perturber et anéantir un mode de vie. Avec toutes ces
atrocités, ils espèrent faire grandir la peur en Amérique, la forcer à
se retirer du monde et à abandonner ses amis. Ils se dressent face à
nous parce que nous nous dressons sur leur chemin », lançait le 20 septembre 2001 le président américain devant son Congrès. Quatorze ans plus tard, François Hollande déclare : « Ils constituent une agression contre notre pays, contre ses valeurs, contre sa jeunesse, contre son mode de vie. Ils
sont le fait d’une armée djihadiste, le groupe Daech qui nous combat
parce que la France est un pays de liberté, parce que nous sommes la
patrie des droits de l’homme. »
La droite va aussi avoir toutes les peines du monde à concentrer ses
critiques sur la politique étrangère de François Hollande. Le président
de la République a en effet annoncé un changement majeur de sa position
sur le conflit syrien : il va rencontrer « dans les prochains jours » les présidents russe et américain « pour unir nos forces ».
Jusque-là, les positions française et russe semblaient irréconciliables
tant la France faisait du départ de Bachar el-Assad une condition
préalable à toute négociation sur une transition politique à Damas. « Il
faut un rassemblement de tous ceux qui peuvent réellement lutter contre
cette armée terroriste dans le cadre d’une grande et unique coalition », a expliqué Hollande. Avant de préciser : « Nous
cherchons résolument, inlassablement une solution politique dans
laquelle Bachar el-Assad ne peut constituer l’issue mais notre ennemi,
notre ennemi en Syrie, c’est Daech. » En attendant, la France a déjà
commencé à intensifier ses frappes en Syrie – 10 chasseurs français ont
bombardé dimanche des sites supposés appartenant à l’État islamique
(EI) à Raqqa.
Mais là encore, François Hollande n’a rien dit d’une éventuelle
stratégie politique pour combattre le terrorisme, d’une vision de long
terme pour en saper les fondements et les foyers qui le nourrissent.
Cela a disparu de son propos. « La France est en guerre. » Et c’est tout
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