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mercredi 18 novembre 2015

Le président place la France en état d'urgence permanent

Dans son discours au Congrès, François Hollande a demandé une modification de la Constitution pour y inscrire l’état d’urgence. Il a également annoncé une batterie de mesures sécuritaires. « La France est en guerre », a-t-il dit pour justifier le tournant ultra sécuritaire du quinquennat.

Ce sont ses premiers mots et ils justifient tout. L’état d’exception comme le tournant dans la politique française en Syrie. « La France est en guerre », a déclaré lundi François Hollande, devant les parlementaires exceptionnellement réunis en Congrès à Versailles. Après les attentats de Paris et de Saint-Denis, le président de la République a demandé l’instauration d’un état d’exception, avec une modification de la Constitution pour y inscrire l’état d’urgence. Il a également annoncé une batterie de mesures sécuritaires, notamment sur la déchéance de nationalité, ainsi que l’embauche de plusieurs milliers de fonctionnaires dans la police et la justice. Sur le plan extérieur, il a confirmé l’intensification des frappes françaises en Syrie et appelé à une « grande coalition » contre l’État islamique.

Lire nos deux articles d'éclairage:


Sur le plan national d’abord, le président de la République, plus martial que jamais, a confirmé qu’il avait demandé au gouvernement de présenter mercredi en conseil des ministres un projet de loi autorisant la prolongation de l’état d’urgence, décrété dans la nuit de vendredi à samedi, à trois mois. Son contenu sera également adapté à « l’évolution des technologies », a annoncé François Hollande, sans plus de détails. L’état d’urgence est un régime d’exception qui renforce les pouvoirs de l’exécutif à des fins de sécurité, sur tout ou partie du territoire – cette fois, il a été utilisé pour assigner des personnes à résidence et lancer de nombreuses perquisitions administratives.
Mais pour le chef de l’État, cela ne suffit pas. « Nous devons aller au-delà de l’urgence. J’ai beaucoup réfléchi à cette question. Nous devons faire évoluer notre Constitution pour permettre aux pouvoirs publics d’agir contre le terrorisme de guerre », a-t-il affirmé. La Constitution contient deux dispositions : l’article 16 sur les pouvoirs exceptionnels accordés au président et l’article 36 sur l’état de siège. « Aucun de ces deux régimes n’est adapté à la situation que nous rencontrons », a expliqué François Hollande. Le premier, toujours jugé liberticide par la gauche, a été utilisé seulement en 1961 après le putsch des généraux en Algérie et il implique que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics soit interrompu – ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Le second n’a jamais été utilisé sous la Ve République – il prévoit de transférer les pouvoirs de police de l’autorité civile à l’autorité militaire, de créer des juridictions militaires et d’étendre les pouvoirs de police.
« Nous sommes en guerre. Mais cette guerre d’un autre type face à un adversaire nouveau appelle un régime constitutionnel permettant de gérer l’état de crise », a avancé Hollande avant de renvoyer vers le comité Balladur de 2007 qui avait proposé une série de modifications de la Constitution. « Il suggérait de modifier l’article 36 de notre texte fondamental pour y faire figurer l’état de siège ainsi que l’état d’urgence. (…) Je considère que cette orientation doit être reprise », a indiqué le président de la République sans plus de détails.

Il a ensuite annoncé une série de mesures que la droite va avoir bien du mal à renier, tant elles ressemblent à nombre de propositions de LR (ex-UMP). François Hollande veut notamment « déchoir de sa nationalité un individu condamné pour un acte terroriste même s’il est né Français », à condition qu’il dispose d’une autre nationalité – une disposition déjà validée par le conseil d’État en janvier dernier – et « pouvoir interdire à un binational de revenir sur le territoire ». Une mesure que le ministre de l’intérieur Bernard Cazeneuve rejetait il y a encore quelques mois. Hollande veut aussi expulser « plus rapidement » les étrangers présentant une menace grave.
À l’instar du premier ministre Manuel Valls, François Hollande a refusé de s’opposer à la proposition émise par Nicolas Sarkozy de placer en résidence surveillée toutes les personnes signalées par une "fiche S", soit 11 000 personnes sur le territoire. « Le gouvernement, dans un esprit d’unité nationale, va saisir pour avis le conseil d’État – cet avis sera rendu public et j’en tirerai toutes les conséquences », a indiqué le président de la République. En réalité, l’exécutif est convaincu que la disposition est anticonstitutionnelle et, surtout, inefficace mais ne veut pas laisser un millimètre de terrain à la droite sur le terrain sécuritaire.
François Hollande a également indiqué qu’il voulait « renforcer substantiellement les moyens » de la justice et de la police, en élargissant l’éventail des techniques de renseignement à la disposition des magistrats, en adaptant la procédure pénale aux faits de terrorisme, en alourdissant « significativement » les peines. Il a confirmé une évolution de la loi sur la légitime défense des policiers, déjà annoncée par Bernard Cazeneuve. Enfin, 5 000 emplois supplémentaires de policiers et de gendarmes seront créés d’ici deux ans – ce qui porte le total d’embauches dans ces deux secteurs à 10 000 sur le quinquennat. 2 500 postes vont également être créés dans la justice, notamment dans l’administration pénitentiaire. Les baisses d’effectifs prévues dans l’armée seront annulées jusqu’en 2019. Autant de mesures qui vont avoir un coût budgétaire conséquent, alors que la France s’est engagée à une réduction massive de son déficit public auprès de Bruxelles. « Le pacte de sécurité l’emporte sur le pacte de stabilité », a justifié François Hollande.
Systématiquement, le président de la République en a appelé au respect de l’État de droit et réaffirmé que le droit à la sûreté était lui aussi une liberté fondamentale. « La République a pu s'éloigner d'elle-même dans certaines circonstances. Il faut veiller à ce que ce ne soit pas le cas », a affirmé Hollande.

Un vocabulaire guerrier

La droite et l’extrême droite ne peuvent qu’applaudir – et c’était évidemment un des buts tactiques poursuivis par François Hollande. Dimanche déjà, un de ses conseillers nous expliquait : « Il ne faut pas laisser la droite occuper le terrain national. » C’est réussi : « François Hollande annonce des mesures qui vont dans le bon sens, mais pourquoi n'ont-elles pas été prises depuis janvier ? », s’est contenté de lancer Éric Ciotti. « Des mesures vont dans le bon sens », a aussi affirmé Christian Estrosi. Quant au député Damien Abad, proche de Bruno Le Maire, il a lancé sur Twitter : « Un François Hollande dans la peau de Nicolas Sarkozy au congrès à Versailles. Peut-être le début d'une prise de conscience salvatrice. » « Le Président reprend certaines de nos propositions et j'en suis très heureuse... », a également réagi sur BFM TV la députée FN Marion Maréchal Le Pen. Et même si Christian Jacob, le président du groupe LR à l’Assemblée a annoncé qu’il refusera de modifier la Constitution, le débat devrait faire rage dans les rangs des députés et des sénateurs de droite.Bien sûr, le président français n’est pas George W. Bush : il n’a pas annoncé de tribunaux d’exception ni l’ouverture d’un Guantanamo. Il n’est pas non plus Manuel Valls, du moins dans les mots : le président de la République s’est toujours gardé, contrairement à son premier ministre, de parler d’un « ennemi de l’intérieur ». « C’est cruel que de le dire : ce sont des Français qui ont tué vendredi d’autres Français », a préféré expliquer François Hollande. Il s’est aussi démarqué de la « guerre des civilisations » théorisée par les néoconservateurs : « Nous ne sommes pas engagés dans une guerre de civilisation parce que ces assassins n’en représentent aucune, mais dans une guerre contre le terrorisme djihadiste. »
Le chef de l’État n’a pas non plus prononcé le mot « islamiste », tant il prête à toutes les confusions et les amalgames. Il parle d’une « armée djihadiste », de « terroristes », et d’une « armée terroriste Daech », qui sont de « méprisables tueurs » et des « lâches assassins ». Il a surtout rendu un hommage appuyé à la jeunesse dans sa « diversité » : « C’est la France tout entière qui était la cible des terroristes. La France qui aime la vie, la culture, le sport, la fête. La France sans distinction de couleur, d’origine, de parcours, de religion. La France que les assassins voulaient tuer, c’était la jeunesse dans toute sa diversité. »
Mais, comme depuis le conseil restreint de défense de samedi (lire notre article), François Hollande a choisi un vocabulaire extrêmement guerrier que vient justifier une adaptation importante du droit français. Les précédentes vagues d'attentats, en 1986 puis en 1995, n'avaient pas abouti à de telles modifications. Impossible, donc, même si les mesures prises sont différentes, de ne pas penser au Patriot Act de George W. Bush après le 11-Septembre. La porosité, du moins langagière, au discours néoconservateur des années Bush et de sa « guerre contre le terrorisme » qui avait institué les « ennemis combattants illégaux » pour justifier les mesures exceptionnelles de l’administration américaine, est frappante. Le parallélisme de certaines phrases est même parfois troublant.
« Ces terroristes ne tuent pas uniquement pour ôter la vie, mais pour perturber et anéantir un mode de vie. Avec toutes ces atrocités, ils espèrent faire grandir la peur en Amérique, la forcer à se retirer du monde et à abandonner ses amis. Ils se dressent face à nous parce que nous nous dressons sur leur chemin », lançait le 20 septembre 2001 le président américain devant son Congrès. Quatorze ans plus tard, François Hollande déclare : « Ils constituent une agression contre notre pays, contre ses valeurs, contre sa jeunesse, contre son mode de vie. Ils sont le fait d’une armée djihadiste, le groupe Daech qui nous combat parce que la France est un pays de liberté, parce que nous sommes la patrie des droits de l’homme. »

La droite va aussi avoir toutes les peines du monde à concentrer ses critiques sur la politique étrangère de François Hollande. Le président de la République a en effet annoncé un changement majeur de sa position sur le conflit syrien : il va rencontrer « dans les prochains jours » les présidents russe et américain « pour unir nos forces ». Jusque-là, les positions française et russe semblaient irréconciliables tant la France faisait du départ de Bachar el-Assad une condition préalable à toute négociation sur une transition politique à Damas. « Il faut un rassemblement de tous ceux qui peuvent réellement lutter contre cette armée terroriste dans le cadre d’une grande et unique coalition », a expliqué Hollande. Avant de préciser : « Nous cherchons résolument, inlassablement une solution politique dans laquelle Bachar el-Assad ne peut constituer l’issue mais notre ennemi, notre ennemi en Syrie, c’est Daech. » En attendant, la France a déjà commencé à intensifier ses frappes en Syrie – 10 chasseurs français ont bombardé dimanche des sites supposés appartenant à l’État islamique (EI) à Raqqa.
Mais là encore, François Hollande n’a rien dit d’une éventuelle stratégie politique pour combattre le terrorisme, d’une vision de long terme pour en saper les fondements et les foyers qui le nourrissent. Cela a disparu de son propos. « La France est en guerre. » Et c’est tout

Lire aussi

  • Hollande assume sa «guerre»

  • Réforme constitutionnelle: la proposition floue de Hollande

  • La France face au terrorisme

    Par La rédaction de Mediapart
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     Par La rédaction | 19/11/2015Coup de chapeau à six députés

    Six députés seulement ont voté contre la prorogation de trois mois de l’état d’urgence, soumise à l’Assemblée nationale ce jeudi 19 novembre. Une infime minorité qui méritait d’être saluée.


    Nous tirons notre chapeau à Noël Mamère, Pouria Amirshahi, Barbara Romagnan, Sergio Coronado, Isabelle Attard et Gérard Sebaoun qui ont voté contre la prorogation de l’état d’urgence de trois mois.

    Nous ne pensons pas qu’une escalade sécuritaire soit une réponse juste et efficace face au danger terroriste. Notre État de droit a les moyens de lui faire face en développant une stratégie internationale contre Daesh, en réaffirmant nos valeurs fondamentales et en accroissant les services publics qui sont facteurs de cohésion sociale. Les forces de l’ordre n’avaient pas besoin de l’État d’urgence pour mener l’opération antiterroriste à Saint-Denis. Le recours à des perquisitions de nuit ou à des écoutes spécifiques est déjà autorisé par la loi antiterroriste.

    Avec la prolongation d’un État d’exception, ce sont nos libertés, le droit de se réunir, le droit des étrangers qui sont visés. Nous y tenons.

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