Belga
dim. 15/11/2015 - 12:47
David Van Reybrouck (traduction Eric Steffens)
L’historien et écrivain flamand David Van Reybrouck publie ce
dimanche sur le site de la VRT (deredactie.be) une lettre ouverte
adressée au Président français François Hollande. Il estime que la
terminologie "d’acte de guerre" utilisée par le président de la
République dans son discours de samedi est particulièrement imprudente.
"Ce qui s’est produit hier à Paris et à Saint-Denis près du Stade
de France est un acte de guerre et face à la guerre, le pays doit
prendre les décisions appropriées. C’est un acte de guerre qui a été
commis par une armée terroriste, Daech, une armée djihadiste, contre la
France, contre les valeurs que nous défendons partout dans le monde,
contre ce que nous sommes : un pays libre qui parle à l’ensemble de la
planète. Un acte de guerre préparé, planifié, depuis l’extérieur avec
des complicités intérieures. Un acte de barbarie absolue" a déclaré le
Président Hollande.
Dans sa lettre ouverte, David Van Reybrouck écrit partager
entièrement la dernière phrase du président mais que le reste de son
discours est la répétition presque mot pour mot de ce que le président
américain GW Bush déclarait peu après les attentats du 11 septembre
devant le Congrès : "Le 11 septembre, les ennemis de la liberté ont
commis un acte de guerre contre notre pays".
Les conséquences de ces paroles sont connues. Celui qui en tant
que chef d’État qualifie un événement d'acte de guerre doit avoir une
réaction en conséquence. Cela a conduit à l’invasion de l’Afghanistan,
ce qui peut encore être justifié puisque ce régime avait donné asile au
mouvement Al Qaïda et que l’ONU avait donné son accord. Mais ensuite ce
fut l’invasion complètement folle de l’Irak, sans mandat de l’ONU
simplement parce que les États-Unis soupçonnaient ce pays de posséder
des armes de destruction massive. Mais il n’y en avait pas, et cette
invasion a conduit à une totale déstabilisation de la région,
aujourd’hui encore. Après le départ des troupes américaines en 2011 il y
eut un vide de pouvoir.
Et lorsqu’éclata quelque temps après une guerre civile dans la
Syrie voisine, dans le sillage du Printemps arabe, on s’est rendu compte
à quel point l’invasion de l’Irak par les États-Unis avait été néfaste.
Au Nord-Ouest de l’Irak et à l’Est de la Syrie il y avait à présent
assez d’espace pour la création d’un troisième acteur sur le terrain l’État Islamique l’IS.
"En résumé, sans la stupide invasion de l’Irak par Georges Bush,
il n’y aurait jamais eu d’État islamique. Nous étions des millions dans
le monde à manifester contre cette invasion, j’y étais aussi", écrit
David Van Reybrouck, et nous avions tout simplement raison. Non pas que
nous pouvions lire l’avenir. Mais à présent c’est clair : ce qui s’est
passé vendredi soir à Paris est une conséquence indirecte de la
rhétorique guerrière de votre collègue Georges Bush en septembre 2001.
Et que faites-vous de votre côté ? Comment réagissez-vous moins
de 24 heures après les attentats de Paris ? En utilisant exactement la
même terminologie que votre homologue américain de l’époque.
Vous êtes tombé dans le piège, les yeux grands ouverts, Monsieur
le Président, parce que des élections se profilent, en France, et que
vous sentez dans votre cou le souffle de Nicolas Sarkozy et de Marine Le
Pen. (…)
Votre analyse d’une armée terroriste n’est pas correcte. Le terme
que vous utilisez d’acte de guerre est particulièrement tendancieux
même si cette rhétorique guerrière est reprise de manière éhontée par
Mark Rutte, aux Pays-Bas et par Jan Jambon en Belgique.
Dans votre tentative d’apaiser la nation vous rendez le monde
moins sûr. Dans votre tentative d’utiliser un langage belliqueux vous
avez montré votre faiblesse. Il y a d’autres formes de fermeté que le
langage guerrier. Après les attentats en Norvège, le Premier ministre
Stoltenberg avait appelé à plus de démocratie, à une plus grande
ouverture et plus de participation. Dans votre discours vous avez cité
la liberté vous auriez dû aussi faire référence aux deux autres valeurs
défendues par la République : l’égalité et la fraternité. Deux valeurs
dont nous avons plus besoin en ce moment que de votre inquiétante
rhétorique guerrière".
David Van Reybrouck est l'auteur de "Congo, une histoire" chez Actes Sud pour lequel il a obtenu le Prix Médicis Essai 2012.
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