jeudi 19 novembre 2015
Par Luk Vervaet
Le problème serait la radicalisation. L'intégration ratée des jeunes dans nos valeurs démocratiques. Et s'il s'agissait plutôt du retour violent du boomerang ? Le boomerang des guerres interminables menées ailleurs et qui nous revient ? Oui, je me répète. Je l'ai écrit après chaque attentat qui a frappé l'Europe ces dernières années. Dans « The making of Anders B.Breivik ». Dans « D’Oslo-Utoya à Toulouse-Montauban : l’horreur de la guerre gagne l’Europe ». Dans le chapitre de « Guantanamo chez nous ? », à propos des volontaires pour l'Afghanistan, l'Irak et la Syrie.
Les barbaries commises à Paris ce 13 novembre s'ajoutent à la liste macabre.
Pour ces actes, il n'y a aucune justification, ni humaine, ni politique, ni religieuse.
Parfois, seules les larmes peuvent encore parler.
Des larmes qui deviennent un acte politique.
Pleurer les victimes des attentats et leurs familles, aussi bien celles des tués que des tueurs. Les victimes de Paris, mais aussi celles de Beyrouth et de Gaza. Pleurer tous ces milliers d'hommes, de femmes et d'enfants innocents, victimes de drones et de bombes soi-disant chirurgicales. Pleurer ce monde laissé à nos enfants, aussi bien aux jeunes tueurs qu'à leurs jeunes victimes. Ce monde injuste, ce monde d'inégalités criantes et révoltantes, mis à feu et à sang depuis un quart de siècle par des guerres sans fin.
Après chaque attentat, la réaction de nos gouvernants est identique. Augmenter d'un cran la guerre, l'esprit de revanche, la répression, les contrôles, les murs, l'islamophobie, la mise en observation et l'état d'exception pour les communautés d'origine immigrée, stigmatisées comme cinquième colonne.
Jamais la paix. Jamais plus de justice. Jamais la conciliation et le dialogue.
Nous assistons à la chasse à l'homme, 24 heures sur 24, en live sur nos écrans de télévision. A une occupation policière et médiatique de la commune de Molenbeek, taxée dorénavant « commune terroriste » dans le monde entier. Jan Jambon, le ministre de l'Intérieur belge, déclare qu'il va « personnellement nettoyer cette commune ». Dans ce climat, Eric Zemmour peut ajouter tranquillement sur RTL que « la France devait bombarder Molenbeek ».
Et puis, il y aura les victimes collatérales de ce choc médiatique mondial. Les réfugiés, à qui on refusera l'accès. Les détenus, victimes innocentes des frappes antiterroristes dans des pays partout dans le monde, à qui on refuse une libération, un traitement humain ou un procès équitable.
Une des victimes du terrorisme d’État s'appelle Ali Aarrass, dont la presse marocaine rappelle déjà qu'il est « le libraire du quartier bruxellois de Molenbeek ». Qu'Ali Aarrass est aussi catastrophé que nous, qu'il a toujours condamné fermement tout attentat, d'où qu'il vienne, qu'il soit perpétré à Casablanca, à Madrid, à Bruxelles ou à Paris contre des hommes, femmes et enfants innocents, n'a pas d'importance. L'opération des autorités marocaines pour lier sa cause aux attentats terroristes est déjà en cours. Avec le soutien de certains politiciens belges.
Des membres de la Brigade nationale de la Police judiciaire (BNPJ) du Maroc ont torturé Ali Aarrass pendant les 10 jours de sa détention en garde à vue, en décembre 2010, c’est un fait établi et confirmé. C'est en effet à ce moment-là, et à ce moment seulement, que l'homme qui clame son innocence depuis le premier jour de son arrestation, qui a été innocenté en 2009 par Baltazar Garzon, le juge antiterroriste le plus sévère de l'Europe, a craqué et a paraphé l'acte d'accusation de la police. Ce qui va servir comme unique preuve pendant tout le procès Ali Aarrass.
Les faits de torture d'Ali Aarrass ont été confirmés tout d'abord par Juan Mendez, rapporteur de l'ONU sur la torture, dans son rapport sur Ali Aarrass en septembre 2012. Ensuite, en septembre 2013, par le Comité de l'ONU contre la détention arbitraire, qui demandait sa libération immédiate.
En mai 2014, un autre Comité de l'ONU, le Comité contre la torture, a condamné la Maroc pour avoir violé la règle absolue de l'interdiction de la torture, pour ne pas avoir mené une enquête sérieuse sur sa torture, et pour avoir condamné Ali Aarrass sur base de preuves tronquées. Le Comité a exigé une enquête impartiale et approfondie, incluant un examen médical conforme aux standards internationaux.
En août 2014, le Comité des droits de l’homme des Nations unies condamne l'Espagne pour avoir extradé Ali Aarrass au Maroc alors qu’il existait un risque sérieux de torture, comme le même comité l’avait signalé en extrême urgence quatre ans auparavant. Le Comité impose à l’Espagne d'offrir une compensation adéquate à Ali Aarrass pour les souffrances encourues et d'assurer un suivi efficace quant au traitement d'Ali Aarrass.
En février 2014, puis en appel en septembre 2014, la Belgique est condamnée par deux Cours de justice belges à « requérir de l’État du Maroc de permettre aux autorités consulaires au Maroc de rendre hebdomadairement visite à Ali Aarrass pendant une période de six mois », et à payer « une astreinte de 100 euros par jour de retard si elle n'adresse pas cette demande dans le mois de la signification de l'arrêt », si elle ne réagit pas à l'urgence signalée par la Cour de Bruxelles. Pour la Cour, « des indications sérieuses tendent à démontrer que l'intimé (Ali Aarrass) a subi des traitements inhumains et dégradants dans les prisons marocaines afin de lui arracher des aveux. » La Cour critique « le silence persistant conservé par les autorités marocaines aux demandes d'information », « la manière dont elles tendent à minimiser les plaintes de l'intimé ». Pour la Cour, il est clair qu' « Ali Aarrass subit encore à ce jour des atteintes graves à son intégrité physique et à son intégrité morale.. »
En mai 2014, Ali Aarrass devient une des cinq personnes emblématiques de la campagne mondiale contre la torture d'Amnesty international.
En octobre 2015, le Comité Free Ali, la Ligue des Droits de l'Homme et le MRAX rendent publique une video d'Ali Aarrass faite à la prison de Salé II. La vidéo a été réalisée suite aux maltraitances qu'Ali a subies après son témoignage à Juan Mendez en 2012. Elle constitue une preuve – cette fois visible -, qui s'ajoute au dossier accablant sur ses tortures.
Comme le constate la Cour de Bruxelles, le silence des autorités marocaines a été leur principale réponse. Silence quant à la demande, datant de 2012, de recevoir un oui ou un non pour un procès en cassation. A la demande, datant de septembre 2014, d'obtenir la permission d'une visite consulaire belge à Ali Aarrass. A la demande de faire un examen sur la torture d'Ali Aarrass conforme aux règles établies par le Protocole d'Istanbul. A la demande des Comités onusiens pour la mise en liberté immédiate d'Ali Aarrass.
Si les autorités marocaines ne donnent aucune des réponses qu’on attend d’elles, elles se lancent par contre dans des articles incendiaires dans la presse du régime, aidées par des rédacteurs complices. Par la voie de la MAP (Maghreb arabe presse), ou en publiant sur les sites de 360.ma, Opinion et autres. Les tortionnaires - qui portent la responsabilité du drame Ali Aarrass pour lequel ils devront rendre des comptes tôt ou tard -, s'y déchaînent tout en aggravant leur cas.
Toutes ces demandes de la défense ont été rejetées. La seule et unique « preuve » présentée au tribunal étant l'accusation de la police, paraphée par Ali Aarrass, rédigée en arabe, langue qu'Ali Aarrass ne maîtrise pas. Les tortionnaires savent que la base de condamnation d'Ali Aarrass est à ce point inexistante qu'il ne leur reste que le déni systématique et son association à des affaires terroristes qui font trembler l'Europe.
Ainsi, le 24 janvier 2015, après les attentats à Paris contre Charlie Hebdo, un certain Abdelkader El-Aine publie un article dans le 360.ma sous le titre : « Attentats de Paris : la piste des réseaux d'Ali Aarrass ». Avec comme sous-titre : « Les armes ayant servi aux attentats de Paris pourraient avoir été fournies par des réseaux proches d'Ali Aarrass, détenu au Maroc depuis 2010 ». « Pourraient avoir été fournies »... Preuve apportée par ce journaliste du Makhzen ? Aucune. Il lui suffit de suggérer des liens. Pour faire taire les critiques et les condamnations, il lui suffit de semer la peur et le doute en liant Ali Aarrass aux attaques contre Charlie Hebdo, un magazine dont Ali Aarrass n'a probablement jamais entendu parler dans sa cellule marocaine. Voyez-vous, écrit le journaliste, comme certaines armes utilisées par les auteurs des attentats contre Charlie Hebo proviendraient de la Belgique, le lien avec l'affaire du Belge Ali Aarrass n'est-il pas évident ? Puisque lui aussi est accusé d'être le responsable logistique d'un trafic d'armes ? Ce que ce journaliste ne réalise pas, c'est qu'en nous proposant sa conception délirante de justice et de droit, il met à nu l'inexistence d'un état de droit marocain.
Fin de citation.
Reynders, qui a toujours affirmé que le dossier Ali Aarrass était une affaire exclusivement marocaine, qui ne concernait en rien la Belgique, lance une véritable bombe. Pour suggérer la culpabilité d'Ali Aarrass. Reynders déclare à la télévision nationale, déclaration reprise par la presse marocaine : « Les services secrets belges suivent Ali Aarrass pour des affaires de terrorisme depuis 2000 » ! Fait, jusqu'à présent inconnu de la défense. Fait inconnu de son prédécesseur Van Ackere, de De Clercq ou Turtelboom, les ministres de la Justice belge pourtant maintes fois sollicités dans ce dossier. Fait jamais mentionné depuis le début du dossier en 2008. Cette affirmation mérite une interpellation parlementaire.
Trois remarques à ce propos. D'abord, l’information est invérifiable, puisqu'il s'agit sans doute d'informations secrètes, dont on a l'habitude dans les dossiers antiterroristes. Deux. Reynders ne mentionne pas le résultat de ce « suivi ». Ali Aarrass étant toujours en possession d'un casier judiciaire vierge, quel en a été le résultat ? Trois. Reynders est-il en train de dire que les services secrets belges étaient directement impliqués dans l'arrestation d'Ali Aarrass ? Dans ce cas, tout ce dossier prendrait un autre tournant, mettant à mal toutes les déclarations de non-ingérence de la Belgique dans ce dossier.
Pour suggérer la culpabilité d'Ali Aarrass, Reynders parle de la réunion de la coalition contre l’État islamique et Daesch en Syrie et en Irak, toutefois sans donner aucune information ou preuve sur l’implication d’Ali. Un procédé pervers à la marocaine où on voit que certains politiciens ne reculent devant rien quand ils sont, comme Reynders, acculés à la défensive. Quant à « la prudence » à laquelle appelle Reynders, ce sont plutôt le Maroc et la Belgique qui auraient intérêt à l'être. Au procès des recruteurs de jeunes pour la Syrie actuellement en cours à Bruxelles, le nom d'un informateur/infiltrant de nationalité marocaine, disposant d'une carte de presse marocaine, travaillant pour les services secrets belges et espagnols, vient d'être cité comme étant un des principaux recruteurs de jeunes envoyés au combat en Syrie. Une affaire à suivre.
Plus généralement, que peut-on encore attendre des autorités marocaines et belges qui, face aux piles de rapports nationaux et internationaux condamnant la Maroc dans l'affaire Ali Aarrass, continuent à réfuter l'irréfutable ?
Après les attentats du 13 novembre à Paris, nous pouvons nous attendre avec certitude à de nouveaux articles du même genre. Cette fois liant Ali Aarrass à Molenbeek où il a été libraire. Le climat actuel s'y prête. Dans la répression qui s'abat en France et à Bruxelles, on ne parle plus d'individus. On met toutes les « affaires » d'aujourd'hui et du passé dans le même sac terroriste, sans distinction, sans contexte, sans histoire, sans se soucier de l'innocence ou de la culpabilité. Aujourd'hui, nous assistons à la stigmatisation de toute une commune, Molenbeek, une des plus pauvres de Belgique, peuplée d'une communauté issue majoritairement de l'immigration marocaine, comme étant le nid des terroristes.
La piste est très glissante et dangereuse. Non seulement pour la cause d'Ali Aarrass et celle de tous les autres détenus politiques au Maroc. Mais, de plus en plus, pour une communauté tout entière. Une situation qui rappelle l'internement de la population catholique en 1971 pendant la guerre contre les Britanniques en Irlande du Nord. Ou l'internement des Américains d'origine japonaise pendant la deuxième guerre mondiale. Jusqu'où ira-t-on ? Ce qui est certain, c'est qu’à partir de 2016 la police marocaine apparaîtra dans les rues de Molenbeek. Ce qui est certain, c'est que tous les habitants de Molenbeek devront dorénavant faire attention. Non seulement en Belgique, mais surtout au Maroc. Parce que, pour le Makhzen et les tortionnaires de la BNPJ, ils viennent d'une commune qui héberge des terroristes. Et au Maroc, vous l'avez compris, ça suffira comme preuve.
Mais la criminalisation d'une commune et d'une communauté entière aura aussi comme conséquence que plus de personnes se joindront à la défense d'Ali Aarrass. « Ali Aarrass est un héros », a dit le député bruxellois socialiste Jamal Ikazban à la soirée d'Amnesty international à l'ULB à Bruxelles.
Oui, Ali Aarrass deviendra de plus en plus le symbole de la lutte pour les droits égaux des citoyens de seconde zone dans ce pays.
Il deviendra le symbole de la lutte contre l'étoile jaune des temps modernes : contre l'étiquette de terroriste collée injustement à ces milliers de familles, hommes, femmes et enfants, vivant à Molenbeek et ailleurs.
Le problème serait la radicalisation. L'intégration ratée des jeunes dans nos valeurs démocratiques. Et s'il s'agissait plutôt du retour violent du boomerang ? Le boomerang des guerres interminables menées ailleurs et qui nous revient ? Oui, je me répète. Je l'ai écrit après chaque attentat qui a frappé l'Europe ces dernières années. Dans « The making of Anders B.Breivik ». Dans « D’Oslo-Utoya à Toulouse-Montauban : l’horreur de la guerre gagne l’Europe ». Dans le chapitre de « Guantanamo chez nous ? », à propos des volontaires pour l'Afghanistan, l'Irak et la Syrie.
Les barbaries commises à Paris ce 13 novembre s'ajoutent à la liste macabre.
Pour ces actes, il n'y a aucune justification, ni humaine, ni politique, ni religieuse.
Parfois, seules les larmes peuvent encore parler.
Des larmes qui deviennent un acte politique.
Pleurer les victimes des attentats et leurs familles, aussi bien celles des tués que des tueurs. Les victimes de Paris, mais aussi celles de Beyrouth et de Gaza. Pleurer tous ces milliers d'hommes, de femmes et d'enfants innocents, victimes de drones et de bombes soi-disant chirurgicales. Pleurer ce monde laissé à nos enfants, aussi bien aux jeunes tueurs qu'à leurs jeunes victimes. Ce monde injuste, ce monde d'inégalités criantes et révoltantes, mis à feu et à sang depuis un quart de siècle par des guerres sans fin.
Après chaque attentat, la réaction de nos gouvernants est identique. Augmenter d'un cran la guerre, l'esprit de revanche, la répression, les contrôles, les murs, l'islamophobie, la mise en observation et l'état d'exception pour les communautés d'origine immigrée, stigmatisées comme cinquième colonne.
Jamais la paix. Jamais plus de justice. Jamais la conciliation et le dialogue.
Nous assistons à la chasse à l'homme, 24 heures sur 24, en live sur nos écrans de télévision. A une occupation policière et médiatique de la commune de Molenbeek, taxée dorénavant « commune terroriste » dans le monde entier. Jan Jambon, le ministre de l'Intérieur belge, déclare qu'il va « personnellement nettoyer cette commune ». Dans ce climat, Eric Zemmour peut ajouter tranquillement sur RTL que « la France devait bombarder Molenbeek ».
Et puis, il y aura les victimes collatérales de ce choc médiatique mondial. Les réfugiés, à qui on refusera l'accès. Les détenus, victimes innocentes des frappes antiterroristes dans des pays partout dans le monde, à qui on refuse une libération, un traitement humain ou un procès équitable.
Une des victimes du terrorisme d’État s'appelle Ali Aarrass, dont la presse marocaine rappelle déjà qu'il est « le libraire du quartier bruxellois de Molenbeek ». Qu'Ali Aarrass est aussi catastrophé que nous, qu'il a toujours condamné fermement tout attentat, d'où qu'il vienne, qu'il soit perpétré à Casablanca, à Madrid, à Bruxelles ou à Paris contre des hommes, femmes et enfants innocents, n'a pas d'importance. L'opération des autorités marocaines pour lier sa cause aux attentats terroristes est déjà en cours. Avec le soutien de certains politiciens belges.
Ali Aarrass, un homme innocent et torturé : un rappel des faits
Des membres de la Brigade nationale de la Police judiciaire (BNPJ) du Maroc ont torturé Ali Aarrass pendant les 10 jours de sa détention en garde à vue, en décembre 2010, c’est un fait établi et confirmé. C'est en effet à ce moment-là, et à ce moment seulement, que l'homme qui clame son innocence depuis le premier jour de son arrestation, qui a été innocenté en 2009 par Baltazar Garzon, le juge antiterroriste le plus sévère de l'Europe, a craqué et a paraphé l'acte d'accusation de la police. Ce qui va servir comme unique preuve pendant tout le procès Ali Aarrass.
Pour Human Rights Watch (HRW), il s'agit là d'une méthode systématique
que l'organisation a dénoncée en 2013 dans un rapport de 137 pages sous
le titre éloquent : « Tu signes ici, c’est tout : Procès injustes au Maroc fondés sur des aveux à la police ». Human Rights Watch est arrivé à cette conclusion après son analyse de « six affaires politiquement sensibles, jugées entre 2008 et 2013 ». HRW y dénonce le fait que les 84 personnes inculpées dans ces six affaires ont été condamnées sur base des aveux « extorqués sous la torture ou par d’autres méthodes illégales » ou sur base de « témoignages, sans que les témoins aient dû témoigner devant le tribunal ».
Si ce rapport sur les méthodes « antiterroristes » marocaines ne suffit
pas, prenez n'importe quel document sur Guantanamo. Vous y verrez que le
Maroc a servi de base de transfert et de torture de détenus, sur la
route de l'Afghanistan ou du Pakistan vers Guantanamo.
Les faits de torture d'Ali Aarrass ont été confirmés tout d'abord par Juan Mendez, rapporteur de l'ONU sur la torture, dans son rapport sur Ali Aarrass en septembre 2012. Ensuite, en septembre 2013, par le Comité de l'ONU contre la détention arbitraire, qui demandait sa libération immédiate.
En mai 2014, un autre Comité de l'ONU, le Comité contre la torture, a condamné la Maroc pour avoir violé la règle absolue de l'interdiction de la torture, pour ne pas avoir mené une enquête sérieuse sur sa torture, et pour avoir condamné Ali Aarrass sur base de preuves tronquées. Le Comité a exigé une enquête impartiale et approfondie, incluant un examen médical conforme aux standards internationaux.
En août 2014, le Comité des droits de l’homme des Nations unies condamne l'Espagne pour avoir extradé Ali Aarrass au Maroc alors qu’il existait un risque sérieux de torture, comme le même comité l’avait signalé en extrême urgence quatre ans auparavant. Le Comité impose à l’Espagne d'offrir une compensation adéquate à Ali Aarrass pour les souffrances encourues et d'assurer un suivi efficace quant au traitement d'Ali Aarrass.
En février 2014, puis en appel en septembre 2014, la Belgique est condamnée par deux Cours de justice belges à « requérir de l’État du Maroc de permettre aux autorités consulaires au Maroc de rendre hebdomadairement visite à Ali Aarrass pendant une période de six mois », et à payer « une astreinte de 100 euros par jour de retard si elle n'adresse pas cette demande dans le mois de la signification de l'arrêt », si elle ne réagit pas à l'urgence signalée par la Cour de Bruxelles. Pour la Cour, « des indications sérieuses tendent à démontrer que l'intimé (Ali Aarrass) a subi des traitements inhumains et dégradants dans les prisons marocaines afin de lui arracher des aveux. » La Cour critique « le silence persistant conservé par les autorités marocaines aux demandes d'information », « la manière dont elles tendent à minimiser les plaintes de l'intimé ». Pour la Cour, il est clair qu' « Ali Aarrass subit encore à ce jour des atteintes graves à son intégrité physique et à son intégrité morale.. »
En mai 2014, Ali Aarrass devient une des cinq personnes emblématiques de la campagne mondiale contre la torture d'Amnesty international.
En octobre 2015, le Comité Free Ali, la Ligue des Droits de l'Homme et le MRAX rendent publique une video d'Ali Aarrass faite à la prison de Salé II. La vidéo a été réalisée suite aux maltraitances qu'Ali a subies après son témoignage à Juan Mendez en 2012. Elle constitue une preuve – cette fois visible -, qui s'ajoute au dossier accablant sur ses tortures.
Le silence assourdissant du Maroc
Comme le constate la Cour de Bruxelles, le silence des autorités marocaines a été leur principale réponse. Silence quant à la demande, datant de 2012, de recevoir un oui ou un non pour un procès en cassation. A la demande, datant de septembre 2014, d'obtenir la permission d'une visite consulaire belge à Ali Aarrass. A la demande de faire un examen sur la torture d'Ali Aarrass conforme aux règles établies par le Protocole d'Istanbul. A la demande des Comités onusiens pour la mise en liberté immédiate d'Ali Aarrass.
Si les autorités marocaines ne donnent aucune des réponses qu’on attend d’elles, elles se lancent par contre dans des articles incendiaires dans la presse du régime, aidées par des rédacteurs complices. Par la voie de la MAP (Maghreb arabe presse), ou en publiant sur les sites de 360.ma, Opinion et autres. Les tortionnaires - qui portent la responsabilité du drame Ali Aarrass pour lequel ils devront rendre des comptes tôt ou tard -, s'y déchaînent tout en aggravant leur cas.
Guilty by association - coupable par association : Ali Aarrass et Charlie Hebdo
J'ai assisté à toutes les audiences du procès d'Ali Aarrass, aussi bien
en première instance qu'en appel. À aucun moment je n'ai vu l'accusation
apporter une seule preuve matérielle de son accusation. Ni entendu un
seul témoin venir témoigner pour ou contre Ali. Ni assisté à une
confrontation avec ceux qui, selon l'accusation, l'auraient accusé de
faire partie d'un complot terroriste.
Toutes ces demandes de la défense ont été rejetées. La seule et unique « preuve » présentée au tribunal étant l'accusation de la police, paraphée par Ali Aarrass, rédigée en arabe, langue qu'Ali Aarrass ne maîtrise pas. Les tortionnaires savent que la base de condamnation d'Ali Aarrass est à ce point inexistante qu'il ne leur reste que le déni systématique et son association à des affaires terroristes qui font trembler l'Europe.
Ainsi, le 24 janvier 2015, après les attentats à Paris contre Charlie Hebdo, un certain Abdelkader El-Aine publie un article dans le 360.ma sous le titre : « Attentats de Paris : la piste des réseaux d'Ali Aarrass ». Avec comme sous-titre : « Les armes ayant servi aux attentats de Paris pourraient avoir été fournies par des réseaux proches d'Ali Aarrass, détenu au Maroc depuis 2010 ». « Pourraient avoir été fournies »... Preuve apportée par ce journaliste du Makhzen ? Aucune. Il lui suffit de suggérer des liens. Pour faire taire les critiques et les condamnations, il lui suffit de semer la peur et le doute en liant Ali Aarrass aux attaques contre Charlie Hebdo, un magazine dont Ali Aarrass n'a probablement jamais entendu parler dans sa cellule marocaine. Voyez-vous, écrit le journaliste, comme certaines armes utilisées par les auteurs des attentats contre Charlie Hebo proviendraient de la Belgique, le lien avec l'affaire du Belge Ali Aarrass n'est-il pas évident ? Puisque lui aussi est accusé d'être le responsable logistique d'un trafic d'armes ? Ce que ce journaliste ne réalise pas, c'est qu'en nous proposant sa conception délirante de justice et de droit, il met à nu l'inexistence d'un état de droit marocain.
Guilty by association - coupable par association : Ali Aarrass et ISIS
Ce qui est particulièrement inquiétant, c'est que Didier Reynders,
le ministre belge des Affaires étrangères, se prête au même jeu honteux
que le Makhzen marocain. Ainsi, dans l'émission de la RTBF (« Jeudi en
Prime », 5 novembre 2015), pour se justifier de sa non-intervention pour
un concitoyen torturé au Maroc, Reynders appelle à la prudence et
s'oppose à la demande de libération en suggérant un lien entre Ali
Aarrass et l'Etat islamique en Syrie. Cela n'a pas échappé au MAP et au
360.ma qui ont sauté sur cette occasion dans un article publié le jour
même des attentats à Paris sous le titre : « Le cas Ali Aarrass : halte aux surenchères politiques! ». En voici un large extrait : « Côté
belge, une récente réaction médiatique inédite du ministre des Affaires
étrangères Didier Reynders, visiblement lassé d'être interpellé pour
une affaire qui prend son cours normal par la justice marocaine et les
autorités compétentes, est venue tirer les choses au clair. Au
journaliste qui l'interrogeait sur le sujet il a répondu : "J'ai
entendu des abominations (...). Quand on ne connaît pas le dossier, il
ne faut pas s'exprimer. C'est un dossier lié au terrorisme (...). Dans
le cadre de mes responsabilités, j'ai interrogé les services de
renseignements belges qui me disent que depuis le début des années 2000,
il est suivi pour ce genre de faits".
L'article continue : "Et
Reynders de souligner que s'il y a un doute à ce sujet, il y a des
procédures au Maroc. Dans le climat que nous vivons, a encore dit
Reynders, je viens de réunir à Bruxelles, la coalition de lutte en Irak
et en Syrie contre le terrorisme et le djihadisme, il faut être prudent.
Pour lui, on peut demander des conditions de traitement correctes, à
mettre fin à une grève de la faim pour réintégrer la prison dans de
bonnes conditions, mais dire qu'il faut le libérer, je n'irais pas
jusque-là. Ce sont des propos d'autant plus sages et circonspects que la
justice marocaine est plus que jamais souveraine. Le ministre belge a
également confirmé qu’Ali Aarrass bénéficie de ses droits aux visites,
notamment de membres de sa famille, du CNDH et des services consulaires
belges. Ceux qui avaient suivi les péripéties du procès du réseau
Belliraj se souviennent bien d’Ali Aarrass, le libraire du quartier
bruxellois Molenbeek".Fin de citation.
Reynders, qui a toujours affirmé que le dossier Ali Aarrass était une affaire exclusivement marocaine, qui ne concernait en rien la Belgique, lance une véritable bombe. Pour suggérer la culpabilité d'Ali Aarrass. Reynders déclare à la télévision nationale, déclaration reprise par la presse marocaine : « Les services secrets belges suivent Ali Aarrass pour des affaires de terrorisme depuis 2000 » ! Fait, jusqu'à présent inconnu de la défense. Fait inconnu de son prédécesseur Van Ackere, de De Clercq ou Turtelboom, les ministres de la Justice belge pourtant maintes fois sollicités dans ce dossier. Fait jamais mentionné depuis le début du dossier en 2008. Cette affirmation mérite une interpellation parlementaire.
Trois remarques à ce propos. D'abord, l’information est invérifiable, puisqu'il s'agit sans doute d'informations secrètes, dont on a l'habitude dans les dossiers antiterroristes. Deux. Reynders ne mentionne pas le résultat de ce « suivi ». Ali Aarrass étant toujours en possession d'un casier judiciaire vierge, quel en a été le résultat ? Trois. Reynders est-il en train de dire que les services secrets belges étaient directement impliqués dans l'arrestation d'Ali Aarrass ? Dans ce cas, tout ce dossier prendrait un autre tournant, mettant à mal toutes les déclarations de non-ingérence de la Belgique dans ce dossier.
Pour suggérer la culpabilité d'Ali Aarrass, Reynders parle de la réunion de la coalition contre l’État islamique et Daesch en Syrie et en Irak, toutefois sans donner aucune information ou preuve sur l’implication d’Ali. Un procédé pervers à la marocaine où on voit que certains politiciens ne reculent devant rien quand ils sont, comme Reynders, acculés à la défensive. Quant à « la prudence » à laquelle appelle Reynders, ce sont plutôt le Maroc et la Belgique qui auraient intérêt à l'être. Au procès des recruteurs de jeunes pour la Syrie actuellement en cours à Bruxelles, le nom d'un informateur/infiltrant de nationalité marocaine, disposant d'une carte de presse marocaine, travaillant pour les services secrets belges et espagnols, vient d'être cité comme étant un des principaux recruteurs de jeunes envoyés au combat en Syrie. Une affaire à suivre.
Après le 13 novembre : Ali Aarrass, le Molenbeekois ?
Plus généralement, que peut-on encore attendre des autorités marocaines et belges qui, face aux piles de rapports nationaux et internationaux condamnant la Maroc dans l'affaire Ali Aarrass, continuent à réfuter l'irréfutable ?
Après les attentats du 13 novembre à Paris, nous pouvons nous attendre avec certitude à de nouveaux articles du même genre. Cette fois liant Ali Aarrass à Molenbeek où il a été libraire. Le climat actuel s'y prête. Dans la répression qui s'abat en France et à Bruxelles, on ne parle plus d'individus. On met toutes les « affaires » d'aujourd'hui et du passé dans le même sac terroriste, sans distinction, sans contexte, sans histoire, sans se soucier de l'innocence ou de la culpabilité. Aujourd'hui, nous assistons à la stigmatisation de toute une commune, Molenbeek, une des plus pauvres de Belgique, peuplée d'une communauté issue majoritairement de l'immigration marocaine, comme étant le nid des terroristes.
La piste est très glissante et dangereuse. Non seulement pour la cause d'Ali Aarrass et celle de tous les autres détenus politiques au Maroc. Mais, de plus en plus, pour une communauté tout entière. Une situation qui rappelle l'internement de la population catholique en 1971 pendant la guerre contre les Britanniques en Irlande du Nord. Ou l'internement des Américains d'origine japonaise pendant la deuxième guerre mondiale. Jusqu'où ira-t-on ? Ce qui est certain, c'est qu’à partir de 2016 la police marocaine apparaîtra dans les rues de Molenbeek. Ce qui est certain, c'est que tous les habitants de Molenbeek devront dorénavant faire attention. Non seulement en Belgique, mais surtout au Maroc. Parce que, pour le Makhzen et les tortionnaires de la BNPJ, ils viennent d'une commune qui héberge des terroristes. Et au Maroc, vous l'avez compris, ça suffira comme preuve.
Mais la criminalisation d'une commune et d'une communauté entière aura aussi comme conséquence que plus de personnes se joindront à la défense d'Ali Aarrass. « Ali Aarrass est un héros », a dit le député bruxellois socialiste Jamal Ikazban à la soirée d'Amnesty international à l'ULB à Bruxelles.
Oui, Ali Aarrass deviendra de plus en plus le symbole de la lutte pour les droits égaux des citoyens de seconde zone dans ce pays.
Il deviendra le symbole de la lutte contre l'étoile jaune des temps modernes : contre l'étiquette de terroriste collée injustement à ces milliers de familles, hommes, femmes et enfants, vivant à Molenbeek et ailleurs.
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