Par Ghalia Kadiri, Source : Le Monde, 25/6/2015
Les députés français ont adopté mardi 23 juin le protocole signé
entre le Maroc et la France pour modifier leur convention d’entraide
judiciaire, afin de mettre un terme à un an de brouille diplomatique. Le
document a été approuvé par 33 voix pour, et 4 contre. Les écologistes
et les communistes ont fait entendre leur opposition au texte, que
dénoncent les organisations de défense des droits de l’homme.
Lors du vote du texte en commission des affaires étrangères, lundi 16
juin, les députés socialistes et Républicains ont approuvé le projet.
Le protocole a été adopté dans le but de rétablir au plus vite « les relations exceptionnelles qui existent depuis toujours »
entre les deux pays, a alors expliqué Elisabeth Guigou, présidente de
la commission et rapporteure du texte. Le projet est d’ailleurs examiné
dans le cadre d’une procédure accélérée afin de répondre, selon Mme Guigou, à « l’urgence du contexte ».
« Nous avons intérêt à ne pas nous poser en censeurs arrogants,
mais plutôt en soutien dans la poursuite des efforts engagés par le
Maroc », a-t-elle déclaré pour défendre le rétablissement de la
coopération judiciaire entre Paris et Rabat, après une année de vive
tension déclenchée en février 2014 par la demande d’audition du chef des
services de renseignement marocains, Abdellatif Hammouchi, visé par
plusieurs plaintes pour « torture » en France.
Mais le nouvel accord signé en janvier par les ministres de la
justice des deux pays inquiète sérieusement les associations de défense
des droits de l’homme, comme Amnesty international, l’ONG Action des
chrétiens pour l’abolition de la torture (ACAT) ou Human Rights Watch
(HRW), qui accusent le texte de favoriser l’impunité, notamment pour les
cas de torture, et appellent les parlementaires à le rejeter.
Sur le papier, le projet de loi est censé « favoriser, durablement, une coopération plus efficace des deux pays et renforcer les échanges d’informations ». Le nouveau dispositif prévoit en effet que les plaintes déposées en France seront désormais « prioritairement »
renvoyées vers Rabat ou clôturées. Pour de nombreux observateurs, le
protocole risque de remettre en cause l’indépendance de la justice et la
compétence universelle des tribunaux français. Les ONG (ACAT, FIDH –
Fédération internationale des droits de l’homme –, LDH – Ligue des
droits de l’homme –, Amnesty, HRW) dénoncent un déni de droit. La
commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH)
recommande elle aussi, dans un avis rendu le 21 mai, que l’accord « soit retiré ou rejeté ».
La députée écologiste Cécile Duflot a expliqué, lors du vote en commission, que le protocole souffre d’un « flou dans la rédaction » et d’une « immense ambiguïté ». «
C’est vrai que c’est un texte qui souffre d’imprécisions mais il ne
remet pas en cause notre droit interne ni nos engagements internationaux
», a au contraire justifié Elisabeth Guigou. Si elle ne s’attend
pas à des débats trop houleux à l’Assemblée, elle a rencontré ces
dernières semaines toutes les associations pour tenter de répondre à
leurs inquiétudes. De son côté, l’ancien ministre Pierre Lellouche (Les
Républicains) a tenu à rappeler la responsabilité de la France dans la
récente crise diplomatique avec le Maroc : « Ce que je retiens, c’est l’extraordinaire maladresse qui est à l’origine de cette affaire. »
L’ACAT, Amnesty International France, la FIDH, Human Rights Watch et
la LDH regrettent le vote de cet accord, qui favorise, selon elles,
l’impunité pour les responsables marocains suspectés de graves
violations des droits humains. Elles se disent « très préoccupées
que les députés aient adopté un accord qui comporte des dispositions
contraires à la Constitution française et à certains engagements
internationaux de la France. En enjoignant au juge français de se
dessaisir au profit du juge marocain, ce texte risque d’entraîner un
déni de justice pour les victimes de torture au Maroc qui ont saisi les
juridictions françaises en dernier recours. » Le collectif appelle le Sénat à rejeter le protocole lors de son examen, le 8 juillet.
Ghalia Kadiri, Source : Le MondeURL courte:http://www.demainonline.com/?p=40389
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