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samedi 27 juin 2015

"Dos de femme, dos de mulet" de Hicham Houdaïfa: Une plongée dans le Maroc des femmes oubliées



ENQUÊTES – Ouvrières clandestines, mariages de mineures, tragique destin des mères célibataires… Dans son livre "Dos de femme, dos de mulet", le journaliste Hicham Houdaïfa, invité au Salon du Livre de Paris du 20 au 22 mars, s’est penché sur la condition de centaines de femmes, les "oubliées du Maroc profond", à travers huit enquêtes de terrain. Interview.

HuffPost Maroc: Pourquoi vous-êtes vous intéressé aux femmes oubliées du Maroc?
Hicham Houdaïfa: C’est un sujet transversal que j’ai traité à plusieurs reprises au cours de mes 20 ans de journalisme. Quand nous avons créé une maison d’édition avec Kenza Sefrioui, l’objectif était de faire des livres d’enquêtes journalistiques, et le sujet des femmes en situation de précarité s’est donc imposé tout naturellement. Les enquêtes présentes dans le livre ont été réalisées d’octobre 2014 à janvier 2015.

Comment avez-vous mené ces enquêtes?
Il y a d’abord l’expérience d’avoir travaillé sur des sujets ayant trait à la précarité, dans ce qu’on qualifie de Maroc profond, et il y a aussi l’expérience que j’ai eue avec des femmes et des hommes qui forment le tissu associatif local, comme les sections locales de l’AMDH, qui m’ont permis de m’inviter dans l’intimité de ces femmes.
Avez-vous rencontré des difficultés à parler avec ces femmes, mères célibataires, victimes de tortures, etc.?
Il est toujours difficile d’aborder des sujets aussi graves. Mais il y a une manière de procéder, d’être à l’écoute de ce terrain-là, de ne pas brusquer les choses et d’établir une relation de confiance pour que les femmes sachent que je suis venu pour faire entendre leur voix et les faire témoigner, sans pathos, misérabilisme ou sensationnalisme, et j’ai eu la chance que ces femmes-là aient témoigné de la sorte.

Certaines de leurs histoires vous ont-elles particulièrement marqué au cours de ces enquêtes?
Un de mes reportages était dédié au barmettate (barmaids) de Casablanca, qui vivent une situation tragique: ces mères célibataires sont exploitées dans tous les sens du terme, elles font face à des tragédies pour pouvoir faire grandir leurs enfants. Cela m’a énormément touché.
De même que les témoignages de ces femmes qui habitent dans le village de Ksar Sountate, à côté d’Imilchil, et qui ont été victimes de tortures et d’exactions en 1973, du temps des années de plomb. Elles n’ont jamais oublié ces histoires-là, et ne pardonnent pas encore parce qu’elles estiment ne pas avoir été respectées. Certaines n’ont pas fait le deuil de leurs parents disparus, parce qu’elles ne savent pas où leurs corps reposent.

Avez-vous observé, depuis la révision du code de la famille il y a dix ans, des avancées ou des améliorations de la condition des femmes ?
Dans les régions où je suis parti, les femmes, bien souvent, n’ont pas été sensibilisées. Le texte de la Moudawana existe depuis janvier 2004, mais aujourd’hui, on a encore 11% des mariages des mineures qui sont prononcés par les juges. Beaucoup de populations ne savent même pas que la Moudawana existe, des dizaines de milliers de femmes sont toujours mariées selon le mariage coutumier.
Dans ce sens-là, je pense que la Moudawana est un échec. Il devrait y avoir des campagnes de sensibilisation en amazigh, pour que ces femmes prennent conscience de leurs droits. Les juges qui statuent dans nos tribunaux ne sont pas animés par les idées féministes: ils marient parfois des filles de 14 ou 15 ans. Il faut criminaliser le mariage des mineures, et cela passe par une réforme de la Moudawana.

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