Présenté à la Quinzaine des Réalisateurs du Festival de
Cannes 2015, le septième long-métrage de Nabil Ayouch, Much Loved, suit
le parcours de quatre jeunes femmes de Marrakech, à la fois convoitées
et dépréciées pour ce qu’elles font plus que pour ce qu’elles sont,
alternant vie de « famille » reconstituée et travail de prostituées.
Entièrement
autoproduit (le Centre Cinématographique du Maroc ne l’a pas financé
mais la Région Ile-de-France a soutenu sa postproduction), Much Loved
n’a pas encore été montré au Maroc. Mais déjà le film agite Internet.
Motif ? Un extrait diffusé par la Quinzaine des Réalisateurs sur YouTube
qui a dépassé les 1 230 000 vues en l’espace de quelques jours. Et une
bordée d’insultes de la part de Marocains qui n’ont pas vu le film. La
raison de cette excitation ? Trois des quatre actrices du film, réunies
dans un taxi, parlent en termes crus de leurs clients et prient Dieu de
tomber sur un « Saoudien beau gosse, gentil et avec une petite bite ».
Much Loved de Nabil Ayouch est, selon son auteur, un film sur la prostitution, non sur les prostituées. Mais il n’est pas le seul - ni le premier - réalisateur marocain à filmer une sexualité brutale et honteuse. Du viol de L’Amante du Rif de Narjiss Nejjar à l’inceste de Pégase de Mohamed Mouftakir, en passant par le refoulement de l’homosexualité dans L’armée du salut d’Abdellah Taïa, le rejet des filles-mères dans Malak d’Abdeslam Kelaï ou l’attrait pour la prostitution de Mort à Vendre de Faouzi Bensaïdi, le sexe dans les films marocains est principalement bafoué, interdit et donc, violent. À l’occasion de la sortie des Chevaux de Dieu, Nabil Ayouch nous avait précisé que le viol était « malheureusement un acte beaucoup plus banal chez nous que du point de vue d’un regard occidental, un acte dramatique mais d’apprentissage de la sexualité ».
Faut-il en vouloir à un cinéaste de filmer une partie de sa société telle qu’il la voit ? Si l’on part du principe que ce qui n’est pas vu ne sera pas su, alors la censure cinématographique a encore de beaux jours devant elle. Si au contraire un film dérange par son sujet mais permet d’ouvrir un débat dans la société, alors le cinéaste a joué son rôle qui est de regarder, mettre en scène et interroger ce qu’il a observé.
Avec Much Loved, Nabil Ayouch met également en exergue le business qui entoure la prostitution : chauffeur, vigile de boîte de nuit, policiers. Certes, certaines scènes peuvent paraître crues à certains regards chastes. Mais ne nous mentons pas sur ce que les spectateurs peuvent consommer. Pourquoi regarderait-on un film européen avec des scènes de sexe mais nierait-on toute allusion dans un film africain ?
Au vu du traitement de la sexualité dans la cinématographie marocaine de ces dernières années, et du buzz qui agite actuellement Internet, qu’un film comme Much Loved mérite d’être vu et surtout, discuté. Car à quoi sert le cinéma s’il ne montre qu’un aspect lisse, entendu et validé d’une société ? S’il ne permet pas de la critiquer, l’interroger voire même de la projeter au-delà de ce qu’elle est ?
La question n’est pas de savoir si Much Loved représente l’ensemble de la société marocaine ou des wagons de clichés, mais pourquoi Nabil Ayouch a choisi de travailler sur cette partie. Si Much Loved ne sort pas au Maroc, il suffira aux marocains de prendre exemple sur les Tunisiens : La vie d’Adèle d’Abdellatif Kechiche circulait bien en DVD…
Lire aussi : Le programme du 68e Festival de Cannes
Un film sur la prostitution et non sur les prostituées
Que faut-il comprendre de ce tollé général ? D’abord, que principalement ceux qui n’ont pas vu le film s’enflamment, car l’extrait n’a pourtant rien d’osé si ce n’est le langage utilisé, le sujet abordé et l’invocation de Dieu – donc, le texte. Ensuite, qu’Internet est un défouloir merveilleux pour tous les internautes avides de débattre sans se montrer, voire même sans connaître tous les aspects du problème débattu. Cela fait écho à un autre film de la compétition cannoise, plus fort que les bombes de Joachim Trier où Isabelle Huppert, qui campe une photo-reporter, montre à son fils comment le découpage d’une image peut en modifier sensiblement le sens. En un mot, peut-on réellement critiquer un extrait sans avoir vu la totalité du film ?Much Loved de Nabil Ayouch est, selon son auteur, un film sur la prostitution, non sur les prostituées. Mais il n’est pas le seul - ni le premier - réalisateur marocain à filmer une sexualité brutale et honteuse. Du viol de L’Amante du Rif de Narjiss Nejjar à l’inceste de Pégase de Mohamed Mouftakir, en passant par le refoulement de l’homosexualité dans L’armée du salut d’Abdellah Taïa, le rejet des filles-mères dans Malak d’Abdeslam Kelaï ou l’attrait pour la prostitution de Mort à Vendre de Faouzi Bensaïdi, le sexe dans les films marocains est principalement bafoué, interdit et donc, violent. À l’occasion de la sortie des Chevaux de Dieu, Nabil Ayouch nous avait précisé que le viol était « malheureusement un acte beaucoup plus banal chez nous que du point de vue d’un regard occidental, un acte dramatique mais d’apprentissage de la sexualité ».
Faut-il en vouloir à un cinéaste de filmer une partie de sa société telle qu’il la voit ? Si l’on part du principe que ce qui n’est pas vu ne sera pas su, alors la censure cinématographique a encore de beaux jours devant elle. Si au contraire un film dérange par son sujet mais permet d’ouvrir un débat dans la société, alors le cinéaste a joué son rôle qui est de regarder, mettre en scène et interroger ce qu’il a observé.
Immersion dans le monde chic et glauque des nuits de Marrakech
Pour réaliser Much Loved, Nabil Ayouch a passé un an dans le monde de la nuit de Marrakech, fréquentant des jeunes femmes proches de ses personnages. Doit-on lui reprocher de vouloir questionner la place de la femme dans une société musulmane où le sexe hors-mariage ne doit pas exister ? Où l’honneur de la virginité féminine ne doit en aucun cas être comparé à celui de l’homme qui enchaîne plusieurs conquêtes ou couche avec plusieurs prostituées à la fois ? Que dire de ces hommes qui découvrent le corps des femmes par le biais des films pornographiques où la plastique fantasmée ne ressemble en rien aux corps perfectibles des femmes de la vraie vie ? Et dont les premiers émois sexuels sont rendus possibles non par les mots doux mais par les billets ? En assouvissant leurs besoins avec des femmes qu’ils peuvent tout à tour aduler (« j’ai envie de toi »), dominer (« je t’ai payée ») puis humilier (« sale pute »), ces hommes perpétuent la tradition paternaliste selon laquelle seule la mère et la vierge peuvent (doivent ?) être respectées.Avec Much Loved, Nabil Ayouch met également en exergue le business qui entoure la prostitution : chauffeur, vigile de boîte de nuit, policiers. Certes, certaines scènes peuvent paraître crues à certains regards chastes. Mais ne nous mentons pas sur ce que les spectateurs peuvent consommer. Pourquoi regarderait-on un film européen avec des scènes de sexe mais nierait-on toute allusion dans un film africain ?
Au vu du traitement de la sexualité dans la cinématographie marocaine de ces dernières années, et du buzz qui agite actuellement Internet, qu’un film comme Much Loved mérite d’être vu et surtout, discuté. Car à quoi sert le cinéma s’il ne montre qu’un aspect lisse, entendu et validé d’une société ? S’il ne permet pas de la critiquer, l’interroger voire même de la projeter au-delà de ce qu’elle est ?
La question n’est pas de savoir si Much Loved représente l’ensemble de la société marocaine ou des wagons de clichés, mais pourquoi Nabil Ayouch a choisi de travailler sur cette partie. Si Much Loved ne sort pas au Maroc, il suffira aux marocains de prendre exemple sur les Tunisiens : La vie d’Adèle d’Abdellatif Kechiche circulait bien en DVD…
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