Amneris Gemara 8 avril 16:09
The Moroccan government’s claim that it is merely
requiring the Association for Human Rights to abide by the law and
established procedures failed the straight-face test a long time ago.
Morocco’s administrative maneuvers, warnings, and prohibitions against
AMDH seem designed to disrupt and undercut it.
(Rabat) – Les autorités marocaines
s’obstinent à entraver les activités d’une importante organisation
indépendante de défense des droits humains, malgré deux décisions
judiciaires statuant sur l’illégalité d’interdictions de réunions
prévues par cette organisation, a déclaré Human Rights Watch
aujourd’hui.
Outre ces interdictions, des représentants du ministère de l’Intérieur
ont empêché plusieurs sections locales de l’Association Marocaine des
Droits Humains (AMDH) de notifier l’administration locale du
renouvellement de leur comité directeur afin de se conformer à la loi.
Les autorités ont également averti l’association qu’elle se verrait
retirer son statut d’« utilité publique » sous prétexte qu’elle opère comme une « entité politique s’opposant aux institutions de l’État ».
Le 15 février, la police s’est introduite de force dans les locaux du
siège national de l’association, a détenu une équipe de télévision
française présente sur les lieux et l’a expulsée du pays.
« Depuis longtemps, les dires du gouvernement qui prétend simplement
demander à l’AMDH de respecter la loi et les procédures établies
manquent de crédibilité », a indiqué Sarah Leah Whitson, directrice de la division Moyen Orient et Afrique du Nord de Human Rights Watch. « Les
manœuvres administratives, les avertissements et les interdictions du
gouvernement marocain à l’encontre de l’AMDH semblent avoir comme seule
visée celle d’entraver et de miner ses activités. »
Le 21 novembre 2014, le tribunal administratif de Rabat a statué
que l’interdiction d’une réunion organisée par l’AMDH dans un lieu
public violait la législation nationale. Il a notamment cité le droit à
la liberté de rassemblement garantie par les traités internationaux et
la constitution marocaine. Le même tribunal s’est par ailleurs prononcé
dans une autre affaire le 16 janvier 2015, parvenant à une conclusion similaire.
Les autorités ont interdit maintes réunions organisées par l’AMDH et par
d’autres groupes de défense des droits humains, depuis le mois de
juillet. C’est à cette date que le ministre de l’Intérieur Mohamed
Hassad a accusé, sans les nommer, des organisations de défense des droits humains de faire des allégations « infondées »
concernant des exactions commises par les forces de sécurité, d’une
manière qui pourrait nuire à l’image et à la sécurité du pays.
Le personnel de l’AMDH a expliqué à Human Rights Watch que les autorités
se sont opposées à plus de 60 de leurs réunions dans le pays depuis le
mois de juillet, en faisant en sorte que les lieux étaient indisponibles
le jour prévu de l’événement. Les rares fois où elles ont justifié
leurs mesures par écrit, elles arguaient que l’association avait manqué à
son obligation de fournir à l’administration une déclaration préalable
selon les procédures prévues par la loi. Les événements interdits
étaient soit des réunions internes soit des événements ouverts au
public, certains se tenant dans des locaux privés, d’autres dans des
installations publiques.
Les autorités ont également fait obstacle
à certaines rencontres organisées par d’autres associations actives de
défense des droits humains et de la liberté des médias, comme la Ligue
marocaine pour la défense des droits de l’homme, Freedom Now, Adala
(« Justice »), ainsi qu’à une conférence organisée par la Fondation
allemande Friedrich Naumann. Ces mesures bloquantes visaient en premier
lieu l’AMDH, fondée en 1979 et qui compte aujourd’hui 97 sections
locales dans le pays.
La loi marocaine de 1958 sur les rassemblements publics, telle qu’amendée en 2002,
ne contraint pas les associations à obtenir auprès des autorités une
autorisation de se réunir en public. Toutefois, l’article 3 oblige
certains types d’association à prévenir les autorités. L’article
dispense expressément de cette obligation de notification les « réunions
des associations et groupements légalement constitués ayant un objet
spécifiquement culturel, artistique ou sportif, ainsi que les réunions
des associations et des œuvres d’assistance ou de bienfaisance ».
Abdelkhalek Benzekri, directeur des relations internationales de l’AMDH,
a précisé à Human Rights Watch que ni son bureau central à Rabat ni ses
sections locales n’ont jamais informé les autorités préalablement à
leurs manifestations publiques ou privées, dans la mesure où l’AMDH a
toujours considéré que son statut lui permettait de prétendre à
l’exemption, au titre de l’article 3 de la loi, une interprétation que
le tribunal administratif défend désormais.
S’il est rarement arrivé qu’une section locale prévienne les autorités
de la tenue d’une réunion, dans la majorité des cas, l’AMDH convenait
simplement des modalités d’utilisation des locaux avec leurs
responsables, a affirmé Benzekri.
Ces arrangements ne posaient généralement aucun problème jusqu’au mois
de juillet, date à laquelle les autorités ont commencé à intervenir pour
empêcher la tenue de quasiment tous les événements organisés par l’AMDH
dans des lieux autres que ses bureaux, a indiqué Abdelkhalek Benzekri.
Depuis lors, l’AMDH a généralement continué à ne pas prévenir les
autorités.
Les autorités marocaines ont démenti avoir interdit quelconque réunion de groupes de défense des droits humains. En réponse au communiqué de presse
de Human Rights Watch daté du 7 novembre 2014 et qui critiquait les
interdictions des rassemblements publics, le gouvernement a cité le
nombre élevé de réunions publiques que des associations avaient
organisées sans incident. Les autorités agissent « dans le plus
grand respect des dispositions de la loi en vigueur et peuvent interdire
des réunions ou des rassemblements dans les cas très exceptionnels où
elles n’ont pas été prévenues conformément à la législation », a indiqué Mahjoub al-Haiba, Délégué interministériel aux droits de l’homme, dans un courrier daté du 14 novembre.
Majdoline Halimi, membre du Bureau des libertés publiques du ministère
de l’Intérieur que Human Rights Watch a rencontrée à Rabat le
30 janvier, a expliqué que « le Maroc compte 118 000 associations dont 5 150 œuvrent dans le domaine des droits humains ». Elle a ajouté qu’en 2014, ces associations ont organisé 1 391 448 activités sans entrave, précisant que « seulement
60 activités ont été interdites pour des raisons d’indisponibilité de
telle ou telle salle dans 52 cas, suite à des travaux de rénovation ou
autres, et de non-respect des procédures dans les 8 autres cas ».
Dans une lettre adressée
à Human Rights Watch le 19 janvier, Mahjoub Al-Haiba a indiqué que la
loi sur les rassemblements publics exige un préavis des organisateurs.
Toutefois, sa réponse a omis de prendre en compte l’article 3 dispensant
certaines associations de cette obligation et les deux récentes
décisions rendues par le tribunal administratif de Rabat, stipulant que
l’AMDH fait partie de ces associations.
« Faire valoir le fait que des milliers d’événements sont librement
organisés par des associations marocaines ne peut pas occulter les
efforts concertés du gouvernement visant à entraver les activités de
l’AMDH, l’un des groupes marocains les mieux établis et les plus
critiques à l’égard des autorités », a conclu Sarah Leah Whitson.
Affaires judiciaires citant le respect des principes de liberté de rassemblement
Les interdictions de réunion pesant sur l’AMDH depuis 2014 suivent
habituellement trois scénarios, nous a expliqué Abdelkhalek Benzekri.
Dans le premier, les responsables des lieux acceptent de louer leur
salle, puis annulent par la suite leur engagement sans justification
écrite. Dans le deuxième scénario, ils informent les organisateurs de
l’AMDH qu’ils ne pourront pas utiliser leur salle sans obtenir au
préalable une autorisation officielle, malgré qu’il n’y ait aucune
obligation de le faire. Enfin, dans le troisième scénario, les
organisateurs de l’AMDH réservent une salle, mais une fois sur les
lieux, l’accès est physiquement bloqué par le cadenassage des portes ou
par la présence de la police.
Selon l’AMDH, les autorités ont remis un avis d’interdiction dans
seulement quelques-unes des 60 réunions citées par l’association. Dans
l’un des avis, le bacha, un représentant local du ministère de
l’Intérieur de la ville d’Imzouren, informe la section locale de l’AMDH
que le débat sur la démocratie et les droits humains qu’elle souhaite
organiser dans le complexe municipal le 1er novembre est interdit pour
des « raisons de sécurité » non précisées. Dans un autre avis,
le conseiller municipal de Madiq, près de la ville de Fnadeq, informe
par écrit le président de la section locale de l’AMDH qu’elle ne pourra
pas utiliser le Centre culturel le 28 mars puisqu’elle n’a pas averti
les autorités locales de manière conforme à la loi.
C’est un avis d’interdiction signé par le gouverneur de
Rabat-Salé-Zemmour-Za’ir, empêchant la tenue d’une conférence publique
sur les médias et la démocratie les 27 et le 28 septembre dans la
Librairie nationale de Rabat, qui incitera l’AMDH à poursuivre en
justice le gouverneur, devant le tribunal administratif de première
instance de Rabat. L’AMDH a argué que le gouverneur a illégalement
interdit l’événement au motif que les organisateurs n’avaient pas suivi
les procédures légales prévues par la loi sur les rassemblements
publics.
Dans une autre affaire portée devant le même tribunal, l’AMDH a déposé
une plainte pour inexécution de contrat contre le ministère de la
Jeunesse et des Sports, qui a fait cadenasser le Centre Bouhlal à Rabat
le jour où l’AMDH l’avait réservé, au mois de septembre. Le directeur du
Centre a expliqué à l’huissier dépêché par l’AMDH que l’interdiction
d’accès émanait des autorités locales, comme l’a relevé le tribunal.
Le 21 novembre, le tribunal administratif de Rabat a statué en
faveur de l’AMDH dans l’affaire contre le gouverneur. Il a rejeté tous
les arguments clés de l’État partie, articulés autour du prétendu
non-respect des procédures d’avertissement prévues à l’article 3 de la
loi sur les rassemblements publics.
Le tribunal a statué qu’en tant qu’association à vocation « culturelle »,
l’AMDH était dispensée d’avertir les autorités de la tenue de sa
conférence sur les médias et la démocratie, et que cette dispense
s’appliquait indépendamment du lieu du l’événement. Le tribunal a
également estimé que l’événement en question était cohérent avec les
principes directeurs de l’AMDH énoncés dans sa charte. Le tribunal a
ordonné à l’État d’indemniser l’association d’un montant de
100 000 dirhams (10 500 USD) pour « préjudice moral ».
Dans la deuxième affaire contre le ministère de la Jeunesse et des Sports, le Tribunal administratif de Rabat a validé ces trois points le 16 janvier, concluant que les missions de « l’AMDH
sensibilisent les personnes à la question des droits humains et
contribuent à leur promotion et à leur défense. De facto, elle a le
droit d’organiser ses activités où elle le souhaite, sous réserve
qu’elle n’enfreigne pas l’ordre public qui n’était a priori ni menacé ni
entravé si un séminaire de formation devait être organisé au Centre
Bouhlal. »
Le tribunal a ordonné à l’État d’indemniser l’AMDH d’un montant de 50 000 dirhams (10 500 USD) pour « préjudice moral ».
Dans la première affaire, le jugement évoque la protection de la liberté
de rassemblement prévue par la Constitution marocaine, la Déclaration
universelle des droits de l’homme (article 20) et le Pacte international
relatif aux droits civils et politiques (article 21) auquel adhère le
Maroc.
L’État a fait appel des deux jugements auprès de la Cour d’appel administrative où les deux affaires sont en instance.
Autres groupes visés par des interdictions de réunion
Les autorités ont interdit la tenue d’événements organisés par d’autres
groupes de défense des droits, avant et depuis les décisions rendues par
le tribunal administratif.
Par exemple, selon Adala, une association qui défend l’équité des procès
et l’indépendance judiciaire, les autorités ont empêché le déroulement
d’un séminaire en collaboration avec la Fondation allemande Heinrich
Bőll, prévu le 12 décembre à l’hôtel Ibis, à Rabat. Le séminaire
s’intitulait « L’Internet entre le respect de la vie privée et la
liberté d’expression : le droit au respect de la vie privée à l’ère du
numérique ». Lorsque les organisateurs ont essayé de transférer
l’événement au Goethe Institut, un local associé à l’ambassade
allemande, les autorités marocaines auraient convaincu l’ambassade de
s’y opposer pour des raisons de sécurité, , contraignant les
organisateurs à déplacer l’événement dans les modestes locaux de
l’association, selon un communiqué d’Adala daté du 15 décembre.
Les organisateurs d’une conférence sur invitation seulement, avec pour
thématique les médias et la liberté en Afrique du Nord, organisée par la
Fondation allemande Friedrich Naumann les 24 et 25 janvier à l’hôtel
Tour Hassan à Rabat, ont dû déplacer l’événement à la dernière minute,
dans le siège de l’AMDH. L’un des organisateurs, Maâti Monjib, a indiqué
à Human Rights Watch que l’hôtel, qui accueille régulièrement des
conférences tenues par des organisations non gouvernementales, avait
consenti à louer la salle sous réserve qu’une autorisation écrite du
gouvernorat lui soit remise. Or, d’une part la loi ne l’exige pas et
d’autre part le gouvernorat ne l’a pas accordée.
Autres restrictions du gouvernement imposées à l’AMDH
Les autorités locales se livrent à des manœuvres administratives pour
empêcher 16 sections locales de l’AMDH de se conformer à la loi, a
précisé Abdelkhalek Benzekri. L’article 5 de la loi sur les associations
de 1958 exige des associations qu’elles préviennent l’administration
locale par écrit de tout changement relatif à leur comité exécutif ou à
leur charte, en contrepartie d’un récépissé. Sans présentation de ce récépissé, elles s’exposent à des restrictions, telles que l’exclusion de leur participation à des événements et des programmes de subvention de la municipalité.
Abdelkhalek Benzekri a indiqué à Human Rights Watch que 10 municipalités
avaient refusé d’accepter les documents remis par les sections locales
de l’AMDH et que 6 autres les avaient acceptés en refusant toutefois de
remettre un récépissé.
Le gouvernorat de Rabat-Salé-Zemmour-Za’ir a par ailleurs menacé l’AMDH de lui retirer son statut d’association « d’utilité publique »,
ce qui la priverait de certains avantages financiers et du droit à
participer à des actions en justice en qualité de « partie civile », au
titre de l’article 7 du Code de procédure pénale.
Dans une lettre datée du 17 décembre, le gouverneur, également
représentant du ministère de l’Intérieur, a averti l’AMDH qu’il pourrait
lui retirer son statut d’association d’utilité publique au motif
qu’elle prend position, agit d’une manière qui déroge aux principes
directeurs énoncés dans sa charte et opère plutôt comme une « entité politique opposée aux institutions constitutionnelles de l’État ». L’AMDH a rendu publique la lettre du gouverneur.
L’association y est accusée de « répandre des allégations infondées » et de porter outrage aux « intérêts des institutions de l’État » et à « l’intégrité territoriale » du Maroc, en référence à la revendication du Maroc sur le Sahara occidental, dans le « but de perturber l’ordre public ».
La lettre avertit l’AMDH qu’elle doit respecter les principes
directeurs de sa charte dans un délai de trois mois, au risque de perdre
son statut « d’utilité publique », en vertu de l’article 9 de la Loi sur les associations, telle qu’amendée en 2005.
Le délai de trois mois s’est récemment écoulé sans que l’administration de Rabat ne se manifeste sur la question.
Le 15 février, des policiers se sont introduits de force et sans mandat
dans les locaux du siège national de l’AMDH. Quand Rabi’a Bouzidi,
membre du comité administratif de l’AMDH, a refusé de leur remettre les
clés du bureau, ils l’ont bousculée et fait tomber, a-t-elle expliqué à
Human Rights Watch. La police a détenu deux journalistes de la
télévision française qui se trouvaient alors dans les locaux, et s’est
emparée de leur matériel. Les autorités ont confisqué leur équipement et
expulsé les journalistes du pays le lendemain, arguant
qu’ils filmaient au Maroc sans autorisation. Les journalistes, qui
préparaient un documentaire pour France 3, ont déclaré qu’ils avaient
préalablement fait une demande d’autorisation auprès des autorités
marocaines, restée sans réponse.
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