Pour les médias, la seule info du jour, de
la semaine, du mois, c’est évidemment la famille Le Pen. Il faudrait
presque que s’excusent d’exister les milliers de gens qui ont sacrifié
une journée de salaire et dépensé tant de temps et d’énergie pour
réussir cette grande marche à Paris et en Province. Le pays médiatique
et le pays social fonctionnent davantage que jamais comme deux réalités
strictement séparées. Je fais un petit post pour clore cette journée.
Ce grand soleil et cette manifestation interminable ont fonctionné comme une grande respiration.
Souvent joyeuse, toujours rageuse, la marche déroulait ses cortèges
d’abord denses puis en accordéon quand passaient les cortèges qui
avaient attendus trois ou quatre heures le moment de démarrer. Je suis
resté moi aussi trois ou quatre heures sur mon bout de trottoir à
saluer les syndicalistes, à bavarder ici ou là pour me faire raconter
les situations locales ou donner mon avis sur des sujets à propos
desquels on m’interpellait. Je ne cache pas que l’accueil très amical
m’a beaucoup touché et parfois même bien ému. Je ne compte pas revenir
sur tous ces échanges à cet instant quoique comme par le passé tout ce
qui s’est dit me fait réfléchir et chercher à savoir plus avant.
Mais après avoir discuté avec des femmes et des hommes de divers secteurs de la santé,
j’ai pu prendre la mesure de la détresse des gens au travail dans ce
domaine jusqu’à l’épuisement de leurs forces, de leur alerte sur les
risques dorénavant encourus du fait du délabrement, des sous-effectifs
et de la vision grossière de l’hôpital sous l’angle de sa seule
rentabilité.
Une autre question m’a marqué. Il s’agit de la souffrance psychologique au travail.
Et ceci dans une direction bien précise. Il s’agit de tous les postes
de travail en sous-effectif ou surcharge où les gens savent qu’ils ne
pourront pas bien faire ce qu’ils ont à faire. Car tout le monde prend à
cœur ce qu’il fait, même si la tâche est rude ou même rebutante. Et
savoir qu’on fera mal avant même d’avoir commencé est démotivant en même
temps que très intimement déstabilisant. Bref, ces problèmes tous mis
bout à bout sont le non-dit, non montré de notre époque. Depuis janvier
l’actualité ce sont les catastrophes et les histoires de religion qui
tiennent le dessus du panier médiatique. C’est comme si aucun fait
social et rien de la vie réelle n’existait plus. Pendant quelques
heures, le pays concret était là dans la rue pour parler de la vie
réelle. Avec le soleil, c’était comme une sorte de résurrection. On
apprend que les syndicats qui ont appelé à cette journée de grève
interprofessionnelle se revoient pour décider de la suite de l’action
contre la loi Macron. Le principe d’unité semble l’emporter. Tant mieux.
La brèche ouverte peut s’élargir.
Pendant que les salariés marchaient dans
les rues, le président qu’ils ont élu recevait les dirigeants des
syndicats patronaux pour leur confirmer leur prochain nouveau gavage. Un
bon résumé de l’imposture qu’est devenu ce quinquennat. La veille,
Valls s’est moqué du monde en discourant : « les Français veulent de
l’efficacité, nous avons entendu leur message : le mouvement de réforme
doit s’amplifier ». Voilà qui est dit : l’abstention, le vote d’extrême
droite la déculottée du PS avait un sens : exiger davantage de cadeaux
au MEDEF. Limpide. Au passage, l’homme pressé ne dira pas quel aveu
d’échec est son nouveau plan pour l’investissement !
Encore deux milliards et demi « d’allégements » d’impôts pour les entreprises
qui investiront d’ici douze mois. Ah bon ? Mais on croyait que le CICE,
cette pompe à fric, et les 40 milliards déjà offerts étaient destinés à
favoriser l’investissement ! Nouvelle preuve que ce plan ne valait
rien. Quant à ces nouveaux cadeaux fiscaux, qui va les payer ? Comme le
budget doit rester dans le cadre des ordres de Bruxelles, on devine la
réponse : encore des coupes dans les budgets publics ! Mais avant même
que ce nouveau père Noël soit passé aux frais de tous, déjà on apprenait
que les investissements des collectivités locales baisseront l’an
prochain de 10%. L’asphyxie de l’économie va donc continuer. Au moins,
le patronat officiel est-il content ? Non. Le jour même, Pierre Gattaz,
le président du Medef, dans un entretien au Figaro menace et tempête ! Ces gens-là sont insatiables. Par nature.
On nous a pourris la journée et la veille
avec les aventures de la famille Le Pen. Je donne mon avis. C’est une
excellente nouvelle que cette bagarre-là. D’abord parce qu’elle peut un
peu désorganiser le FN. Ensuite parce qu’elle nous donne raison sur tout
ce que nous avons dit de Jean Marie Le Pen vu que ce sont ses propres
affidés et familiers qui l’avouent à présent. D’autre part, cela va
continuer à marginaliser les ultra-violents de l’extrême droite qui vont
être mis en quarantaine en même temps que celui qui les avait tirés du
néant. Enfin, parce que nous connaissons le fond de la motivation.
Le FN rêve des bonnes places et de la normalité politique.
Au bout du compte, la formation d’extrême droite de Marine Le Pen suit
la pente qu’avait suivie avant elle son homologue italien le MSI de
Fini. Le rapprochement avec la droite traditionnelle, condition pour
gagner au deuxième tour le nombre suffisant de sièges qui donne des
présidences de régions, par exemple, est à ce prix. Une opportunité se
présente qu’après la dédiabolisation s’annonce la dilution dans le sirop
de la droite telle que celle-ci est devenue depuis qu’elle a déjà
adopté l’essentiel des thèses de la famille Le Pen sur tant de sujets.
Restera le contenu économique du programme lepéniste. Son incohérence actuelle ne pourra pas durer.
La chauve-souris de la politique ne pourra continuer à faire croire
qu’elle est un oiseau de gauche en même temps qu’un rat de droite,
c’est-à-dire à la fois pour la retraite à soixante ans et pour les fonds
de pension ; contre l’augmentation du SMIC et pour le pouvoir d’achat
des ouvriers ; pour la sortie de l’euro et pour le remboursement de la
dette. Et ainsi de suite. Tout le monde connaît la formule du cardinal
de Retz selon laquelle on ne sort de l’ambiguïté qu’à ses dépens. Tel
est le moment dans cette famille. Danger qui ne nous menace pas.
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