MONDOVISION. Tout se passe comme si le roi Mohammed VI voulait moderniser la société... Il garde pourtant un contrôle absolu sur celle-ci.
Appelons ça de la nervosité plutôt que de la peur. Le Maroc a accusé le coup de l’attaque du Musée du Bardo, à Tunis, qui lui a rappelé un mauvais souvenir : l’attentat commis le 28 avril 2011 place Jemaa-el-Fna, au cœur de Marrakech, faisant dix-sept morts dont huit Français. Une cible touristique, des victimes étrangères, un choc immense...
Aujourd’hui, le Maroc redoute d’être de nouveau la cible des djihadistes, au
sein desquels figure un important contingent de jeunes Marocains, comme le
rappelait en couverture le
magazine "TelQuel" la semaine de l’attentat de Tunis.
A Rabat, où je me trouvais cette semaine-là, les patrouilles militaires et
policières étaient omniprésentes, et la Tunisie dans tous les esprits. Il y a
même eu un rassemblement spontané de solidarité devant l’ambassade de Tunisie,
et le ministre marocain des Affaires étrangères a été dépêché à Tunis avec un message du
roi.
Le contexte marocain est très différent de celui de la Tunisie, mais il n’en est
pas moins exposé à l’offensive djihadiste.
Audace royale...
Le Maroc vit une drôle de cohabitation entre un monarque
tout-puissant, Mohammed VI, un gouvernement qu’il a
confié aux "islamistes du Palais", comme on surnomme le Premier
ministre Abdelilah Benkirane et ses amis du Parti de la Justice et du
Développement (PJD), et une société civile, vivante et
remuante, qui a accompagné le "printemps arabe" en 2011 avant de
revenir à un rapport de forces plus classique.
Mohammed VI mène le jeu à sa manière, en surprenant parfois tout le monde.
Ainsi, le 16 mars, le roi a "ordonné" au gouvernement, ainsi qu’au
Conseil national des droits de l’Homme (CNDH) du Maroc, de préparer, avant un
mois, une réforme de la loi visant à légaliser sous conditions l’avortement ; sujet
sensible s’il en est, surtout s’agissant d’un gouvernement (modérément)
islamiste.
Le souverain réagissait à une polémique surgie au début de l’année,
lorsqu’un médecin marocain, le docteur Chafik Chraïbi, actif dans la lutte
contre l’avortement
clandestin, a été mis à pied dans son hôpital pour avoir participé à un reportage
de France 2. L’affaire avait fait grand bruit et attiré l’attention sur les
quelque 600 à 800 avortements clandestins quotidiens au Maroc, entraînant de
nombreux décès.
En prenant position sur une telle question, Mohammed VI se met du côté de la
société contre les plus conservateurs, à l’opposé de ce qui s’est plusieurs
fois produit lorsque, pour combattre les islamistes, les pouvoirs arabes ont
renforcé le poids de la tradition.
...et rétrécissement des libertés
Dans le même temps, pourtant, cette audace royale se double d’un
rétrécissement de l’espace de liberté au Maroc. Liberté de la presse
en berne, arbitraire policier, justice aux ordres... Tous les indicateurs sont
en régression. La semaine dernière, Hicham Mansouri, membre de l’Association
marocaine des journalistes d’investigation, était arrêté lors d’une descente de police chez lui et
accusé… d’adultère ! Tout se passe comme si le roi voulait moderniser la
société sans perdre son contrôle absolu sur celle-ci, un grand écart difficile
à tenir.
Parmi les jeunes citadins marocains, dont les aspirations à plus de liberté
restent intactes malgré l’échec des "printemps arabes", cette
régression inquiète, comme j’ai pu le constater lors d’un échange avec des
étudiants à Rabat.
S’il veut que les "modernistes", selon le vocabulaire à la mode,
fassent rempart contre la menace djihadiste, le roi doit
aussi entendre cette jeunesse-là. La génération internet marocaine ne veut ni
de l’intégrisme ni du retour de l’autoritarisme.
Pierre Haski
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