"La lumière sera ou l'humanité se perdra !"
C’est le 29 octobre que les syndicats Union Marocaine du Travail (UMT), Confédération Démocratique du Travail ( CDT) et Fédération Démocratique du travail (CMT) ont choisi comme date pour mener leur grève générale contre la politique du gouvernement dirigé par les islamistes du Parti de la Justice et du Développement (PJD)
et accusé de faire cavalier seul. Hasard du calendrier ou choix
délibéré, le 29 octobre est jour de deuil pour les marocains. Ils y
commémorent l’enlèvement de Mehdi Ben Barka en 1965, devant la Brasserie Lipp.
Le célèbre opposant disparaîtra sans laisser de traces, présumé
assassiné dans une villa de la banlieue française par le Général
Oufkir, assisté de barbouzes français. Nombreuse est la littérature
consacrée à cette tragédie. Il est une autre victime dont le nom
revient hanter les 29 octobre: Houcine Manouzi,
disparu en 1972 et dont la famille, après avoir combattu le
colonialisme, s’est trouvée confrontée à la dictature à laquelle elle a
payé un très lourd tribut.
- Le Commandant Brahim Manouzi, victime d’une exécution extra judiciaire, sur ordre du Général Oufkir, le 13 juillet 1971, et dont le corps n’a jamais été restitué à la famille.
- Moujahid Kacem Manouzi, mort sous la torture à Derb Moulay Chérif, au mois de septembre 1970, et dont le cadavre n’a jamais pas été rendu à la famille.
- Le docteur Omar Manouzi, que les tortures ont précipité dans la folie.
Le calvaire de Houcine Manouzi
Houcine Manouzi milite dans les rangs de l’Union Nationale des Forces Populaires (UNFP),
lorsqu’en 1971, il est accusé d’activités subversives et de complot
contre la sûreté de l’Etat. Il est condamné à mort par contumace. Enlevé
en Tunisie où il se trouve le 29 octobre 1972, il est transféré au
Maroc dans le coffre d’une voiture à plaques diplomatiques. Il passera
par le tristement célèbre Point Fixe numéro 2 (PF2), ou « Dar Mokri », puis par Point Fixe numéro 3 (PF3), lieux de détention et de torture, placés sous la responsabilité de la Direction Générale des Etudes et de la Documentation (DGED).
Ali Bourequat, dans son récit intitulé, « Dix huit ans de solitude »,
raconte comment Houcine, son co-détenu, fut l’un des inspirateurs de
l’évasion du 12 juillet 1975, en compagnie de quelques uns des
militaires impliqués dans le putsh de Skhirat de juillet 1971, le lieutenant-colonel Mohamed Ababou, le capitaine Mohamed Chellat, l’aspirant Ahmed M’zireg, et l’adjudant-chef Harrouch Akka. Au nombre des évadés, Ali Bourequat et ses deux frères Midhat et Bayazid
seront repris, dès le lendemain, dans un verger de pruniers, au Sud de
Rabat, en compagnie des militaires. Chellat qui avait refusé de suivre
le groupe sera repris à Rabat à l’aube du 13 juillet. La cavale de Akka
durera onze jours. Houcine Manouzi, lui, sera repris, à Aïn Aouda,
alors que, passager d’un vélomoteur, il tentait d’éviter les barrages
mis en place pour l’appréhender. Il ne réapparaîtra plus jamais.
Evasion et exécutions extra-judiciaires collectives
L’extrait saisissant d’horreur, du récit de Bourequat, sur la suite
que le régime marocain a cru devoir donner à cette affaire, pourrait
constituer un sérieux indice sur le sort qui aurait été réservé à
Houcine.
Il écrit :
« Le 17 juillet au soir, grand remue-ménage dans la cour.
Des dizaines d’individus parlent en même temps.
Soudain, un coup de feu claque. Je me lève d’un bond, me plaquant contre la lucarne. Je scrute la cour par le petit trou de vis.
Un homme vient d’être abattu. Il est grand, corpulent. Je reconnais sa djellaba. C’est Moulay Ali Fahim.
La cour, gardée par des gendarmes en treillis, qui ont
pris position en face de la salle de douches, est encore une fois pleine
de monde, comme le jour de notre capture. J’aperçois le colonel Dlimi,
le colonel Benslimane, commandant la gendarmerie, le général Moulay
Hafid, Houcine Jamil, les commissaires Ben Mansour et Ben Cherif, qui
m’ont torturé deux ans plus tôt, le capitaine Fadoul et plusieurs
hommes, en civil , mais armés.
Ils attendent la prochaine exécution.
On amène dans la cour le colonel Ababou. Il a un baillon
sur la bouche, un bandeau sur les yeux et des menottes dans le dos.
Aassou, un des gardes, le soutient. Il l’entraîne vers le terre-plein
situé devant les toilettes, le force à s’agenouiller. Un colosse, vêtu
d’une chemise et d’un pantalon, s’avance vers lui, un revolver à la
main, et lui tire une balle dans la nuque. Ababou est projeté en avant.
Deux autres gardes, Hamou Ben Othmane et Ahi Agherbi, se précipitent,
traînent le cadavre un peu plus loin.
On amène ensuite le capitaine Chellat et l’aspirant M’Zireg.
Chellat, résigné, se laisse conduire et meurt, sans une plainte.
M’Zireg, lui, se débat comme un lion, hurle à travers son
bâillon. fl faudra trois hommes pour le maîtriser, l’allonger sur le
ventre et le maintenir, le temps de lui tirer une balle dans la nuque.
Deux gardes s’approchent alors de ma cellule. J’ai juste
le temps de reculer pour ne pas être aperçu. Je me couche en chien de
fusil sur ma couverture, face au mur.
J’entends un dernier coup de feu, puis la voix de Dlimi, qui crie
- « Lâche-moi, lâche-moi ! Regarde ma chemise: elle est toute tachée du sang de Rachid ! »
Rachid est le prénom d’un des deux gardes que les militaires ligotèrent, le soir de l’évasion. »
Selon Ali Bourequat, Houcine Manouzi s’était emparé d’une arme de
poing, lors de l’évasion. On peut aisément imaginer quel aura été le
sort du malheureux, d’autant que, condamné à la peine capitale, le
régime aura, sans doute, préféré faire appliquer la sentence, plutôt que
courir le risque d’une nouvelle évasion.
A-t-il été exécuté plus tôt, sans que Bourequat n’en ait été témoin
? A-t-il été exécuté ailleurs. Au PF4, par exemple ? Seuls les
protagonistes de cette affaire, pourraient apporter des réponses aux
questions que continue de se poser la famille Manouzi.
De cette sinistre affaire, l’avocat de la famille a, un jour, eu ces
mots, où l’ironie le dispute à l’interpellation des consciences de la
prétendue nouvelle ère :
- « Quand j’ai pris en charge le dossier
Manouzi, j’étais un débutant avec quatre ans de carrière derrière
moi. Aujourd’hui, il ne me reste plus que quatre ans pour prendre ma
retraite. Ce serait bien de mettre le mot fin à ce dossier ».
Comble de l’ignominie, En 1994, la Direction de la Surveillance du Territoire (DST)
informait la famille que Houcine était encore vivant, lui conseillant
vivement, d’éviter toutes déclarations dans la presse, si elle voulait
le revoir. Puis, le 16 août 2001, les autorités remettaient aux parents,
un certificat de décès, ne portant aucun cachet et datant le décès au
17 juillet 1975, alors que plusieurs amis et co-détenus prétendent avoir
vu Houcine, en vie, après cette date.
Trente-neuf ans après le début de cette affaire, le pouvoir marocain
continue de compter des criminels dans ses rangs. Certains sont
disparus, de leur belle mort, pendant que d’autres, tapis dans l’ombre,
continuent d’officier, comme si de rien n’était, alors que la justice
internationale les recherche.
Comme un clin d’oeil à l’histoire de notre pays, à la grève promettent de se joindre les islamistes d’Al Adl Wal Ihssane, l’Union Générale des Travailleurs Marocains (UGTM)
et plus de vingt (20) organisations marocaines des droits de l’homme.
Une grève qui promet d’être largement suivie comme une magnifique
commémoration de ce satané 29 octobre.
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