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samedi 23 août 2014

Un ancien officier israélien : « Notre but était de semer la peur »


 Par LE MONDE, 22/7/2014

Des Israéliens lors d'un événement organisé par "Breaking the Silence", à Tel Aviv.

En novembre 2012, Israël a lancé à Gaza une opération baptisée « Amud Anan », qui peut se traduire littéralement par « colonne de nuages ». Le nom sous lequel elle a été officiellement désignée à l'étranger a pourtant été « Pilier de défense ». Il y a quelques jours, nous avons déclenché une nouvelle opération nommée « Puissante falaise », officiellement connue sous le nom de « Bordure protectrice ». Les deux dénominations choisies sont ostensiblement défensives. Mais quand j'entends les noms donnés aux opérations militaires à Gaza – notamment ceux destinés à un public international –, cela me rappelle mon service militaire dans l'armée israélienne, dont le nom complet est Forces de défense israéliennes (FDI).

Je me souviens ces jours-ci du fossé que j'avais découvert à l'époque de mon service militaire entre l'éthique que représente l'appellation même des FDI et les opérations militaires concrètes que nous menions en Cisjordanie. La tâche qui nous était assignée était défensive. Nous menions des opérations « préventives » permettant d'empêcher des actes terroristes. Mais mes amis et moi avions vite compris que l'adjectif « défensif » n'était qu'un terme qui pouvait dissimuler toutes sortes d'actions dont bon nombre étaient sans conteste des opérations offensives.


Moshe Yaalon, le chef d'état-major de l'époque devenu aujourd'hui ministre de la défense, nous exhortait à « brûler la conscience palestinienne ». Pour répondre à cet appel, on nous envoyait intimider et punir une communauté tout entière. Ces opérations étaient fondées sur la conviction que ces civils s'abstiendraient de se révolter si on les brutalisait, si on les opprimait et effrayait. Autrement dit, une « conscience brûlée » était une conscience effrayée.

« NOTRE BUT ÉTAIT D'EFFRAYER ET DE DÉSORIENTER LA POPULATION CIVILE »
Dans le cadre de cette « prévention », mes amis et moi avons appris à considérer tout Palestinien comme un ennemi et, en tant que tel, comme une cible légitime à attaquer. Lorsque nous partions en opérations pour « montrer notre présence », notre but était d'effrayer et de désorienter la population civile afin de lui faire comprendre qu'elle était sous notre contrôle. Nous remplissions cet objectif en patrouillant dans les rues et en pénétrant au hasard dans les maisons, à toute heure du jour et de la nuit. Ces opérations n'étaient motivées par aucune information précise des services de renseignement.
D'autres fois, nous « prévenions » le terrorisme en imposant une punition collective à des Palestiniens innocents. C'est une opération de ce genre qui nous fut confiée à la suite du meurtre d'une fillette de la colonie Adora par un Palestinien. Quelques heures après cet acte, nous avons bouclé le village de Tufach, à proximité de la colonie d'Adora. Pendant une journée entière, nous avons fouillé une par une toutes les maisons du village. Nous arrêtions les hommes et les envoyions à l'école du village, transformée en centre d'interrogatoire. Nous n'avons rien trouvé, mais en y repensant aujourd'hui, je m'aperçois que là n'était pas l'objectif. Par ces perquisitions et ces arrestations, nous avions semé la peur.
Les tirs de roquettes depuis Gaza sur les civils israéliens sont des actes horribles qui n'ont aucune justification. Ils menacent des vies d'hommes, de femmes et d'enfants dans tout le pays et ont d'ores et déjà blessé plusieurs personnes et tué un Israélien. Mais ces tirs de roquettes ne font pas de tous les habitants de Gaza les cibles légitimes d'une destruction de masse, tout comme le meurtre d'un enfant n'aurait pas dû faire des habitants de Tufach des cibles légitimes justifiant arrestations aléatoires et fouilles de logements. Plusieurs centaines de Palestiniens, civils pour la plupart, ont été tués jusqu'ici dans les attaques israéliennes.
Depuis quelques jours, toujours au nom de la notion de défense, nous attaquons même la population civile qui se trouve sous contrôle israélien. En dépit du retrait auquel nous avons procédé en 2005, nous exerçons un contrôle quasi total sur l'espace aérien et les eaux territoriales gazaouis, sur les zones tampons à l'intérieur de la bande de Gaza, et sur les entrées et sorties – des personnes comme des marchandises – du territoire gazaoui. Les registres d'état civil de la population sont sous contrôle israélien et pour qu'un Palestinien puisse obtenir une carte d'identité lorsqu'il atteint l'âge de 16 ans, les autorités israéliennes doivent donner leur accord. Ce contrôle se manifeste sous la forme de ces opérations militaires conduites périodiquement qui causent des dégâts terribles non seulement à l'infrastructure paramilitaire, mais aussi parmi les civils qui vivent à Gaza.

« IL EST TEMPS QUE CESSE L'OCCUPATION »
Cette réalité ne nous a pas été imposée. Elle résulte des choix opérés par nos dirigeants afin de perpétuer notre contrôle sur les territoires palestiniens et sur la population qui y vit. Je connais très bien les conséquences de ce choix, puisque en tant que simple soldat, et ensuite comme officier, j'ai participé à sa mise en oeuvre. J'ai appris que le maintien d'un tel contrôle requiert l'emploi permanent de la force. J'ai appris que du point de vue éthique, il est impossible d'imposer par la force, pendant des dizaines d'années, l'autorité d'un gouvernement étranger à une population de plusieurs millions d'habitants.
Baptiser les attaques répétées contre Gaza avec des noms défensifs ne modifiera en rien la nature de ces opérations. Les changements significatifs ne se produiront que le jour où l'occupation prendra fin. En vérité, il est difficile de savoir si les menaces pesant sur les villes et villages du sud d'Israël cesseront avec la fin de l'occupation. La seule chose dont nous puissions être sûrs, c'est que l'occupation n'a pour l'instant pas pris fin et que, si rien ne change, nous serons condamnés dans un an ou deux à mener une nouvelle opération, aussi sanglante que celle d'aujourd'hui.
Toute la sémantique du monde ne pourra changer cette réalité, une réalité dans laquelle Israël ne se contente pas de se défendre, mais attaque – et pas seulement en ces jours difficiles, mais tous les jours. Au lieu de nous évertuer à l'expliquer et à le justifier, nous devons agir pour qu'il en aille autrement. Le moment est venu où nous devons dire : il est temps que cesse l'occupation.
(Traduit de l'anglais par Gilles Berton)

Yehuda Shaul,
ancien fantassin puis officier de l’armée israélienne, est l’un des fondateurs de Breaking the Silence, une association d’anciens soldats critiques des autorités militaires de leur pays.

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