Spécialiste depuis de nombreuses années du Maghreb, le journaliste
espagnol Ignacio Cembrero apparaît comme la nouvelle victime de l'affaire de la vidéo d'Al-Qaida
au Maghreb islamique (AQMI) diffusée en septembre 2013 qui menaçait
pour la première fois le Maroc et dressait un portrait au vitriol du roi
Mohamed VI.
Dans un courriel intitulé Lettre à mes amis maghrébins, Ignacio Cembrero a annoncé vendredi 14 mars avoir été muté début février dans un autre service du quotidien El Pais où il travaille depuis 1979. "La
mutation s'est produite trois semaines après qu'une plainte déposée par
le premier ministre du Maroc, Abdelillah Benkirane, soit parvenue à
l'Audience nationale, la plus haute instance pénale espagnole", écrit-il.
Cette plainte, au nom du gouvernement marocain, a été déposée fin décembre 2013 contre le journaliste et le directeur d'El Pais pour "apologie du terrorisme".
Elle avait été annoncée dès le 17 septembre, aussitôt après la
diffusion de la vidéo d'AQMI, en même temps que le journaliste marocain
Ali Anouzla, directeur du site arabophone Lakome, était arrêté. Les
autorités marocaines reprochaient à ce dernier la publication d'un
article sur AQMI qui renvoyait sur la fameuse vidéo mise en lien sur le
blog d'Ignacio Cembrero, Orilla Sur, via le site internet d'El Pais.
Remis en liberté provisoire le 25 octobre après une forte campagne de
mobilisation au Maroc et à l'étranger, Ali Anouzla reste poursuivi
pour "assistance matérielle", "apologie" et "incitation à l'exécution d'actes terroristes".
Des chefs d'accusations très lourds contre lesquels se sont indignées
plusieurs organisations internationales des droits de l'homme comme
Human Rights Watch ou Amnesty International. Son procès, déjà repoussé,
est prévu le 20 mai.
Dès le 17 septembre 2013, El Pais a retiré de son site
Internet la fameuse vidéo de propagande djihadiste dans laquelle l'émir
d'AQMI Abdelamalek Droukdal "conseillait" aux jeunes Marocains de
rejoindre son organisation plutôt que "d'émigrer en patera" vers l'Espagne.
Le Maroc, objecte dans son courriel Ignacio Cembrero, "n'a pas porté plainte contre d'autres sites",
américains et spécialisés sur le terrorisme notamment, qui ont
également diffusé la vidéo. Autant d'arguments qui n'ont pas fait
fléchir Rabat, les autorités marocaines ayant maintenu leur action en
justice. L'Audience nationale n'a cependant fixé aucune date d'audience.
Contacté, le quotidien El Pais s'est borné de son côté à qualifier de "décision interne" la mesure prise à l'encontre de son journaliste. "C'est une décision interne et comme toutes les décisions que prend El Pais, nous n'avons pas à les expliquer à l'extérieur", a déclaré au Monde Pedro Zuazua, directeur de la communication du quotidien.
Ignacio Cembrero, qui n'a pas souhaité apporté de commentaires
supplémentaires, s'est donc résolu dans sa lettre à dire au revoir à ses
amis Maghrébins en les remerciant pour "toutes les infos, les
impressions et les réflexions, émaillées de thé ou de couscous, que vous
m'avez transmises tout au long de ces années et qui m'ont tant aidé à
faire mon boulot de journaliste".
(Avec Sandrine Morel, à Madrid)
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