La
page du Danielgate semble aujourd'hui tournée au Maroc. Mais la
contestation de la grâce royale accordée au pédophile espagnol, née sur
les réseaux sociaux, a rassemblé bien plus que les traditionnels
militants. Et redonné vigueur au Mouvement du 20 Février.
Correspondance du Maroc
Le mouvement d’indignation né sur les réseaux sociaux contre la grâce accordée par le roi Mohamed VI au pédophile Daniel Galvan, condamné à 30 ans de prison pour le viol de onze mineurs, a réalisé ce dont aucune force politique n’avait été capable : amener le roi Mohamed VI à justifier et revenir sur une décision sous la pression de l’opinion publique.
Rida Benotmane, ancien détenu politique, aujourd’hui contributeur au journal Lakome et professeur de droit, a manifesté et subi la répression lors de la première manifestation à Rabat le 2 août dernier.
« La mobilisation a réussi parce que le sujet dépassait la sphère
militante et touchait tous les pères et toutes les mères de ce pays », souligne-t-il. « Comme
tous les Marocains, j'étais indigné de voir un pédophile bénéficier de
la grâce alors que les prisons marocaines sont remplies de jeunes
militants pro-démocratie qui auraient dû être graciés en
priorité. Dénoncer la grâce était pour moi un acte de patriotisme. »
Si, depuis le 7 août, le Danielgate ne fait plus descendre personne dans la rue, ce mouvement a redonné un souffle à la contestation initiée par le Mouvement 20 Février, il y a deux ans. Des manifestations ont eu lieu dans plusieurs villes – Agadir, Marrakech, Safi, El Jadida,Ouarzazate, Inezgane – où le mouvement s’était essoufflé.
« C'est la première fois du règne de Mohammed VI que la monarchie se trouve face à une contestation populaire directe et frontale », explique le journaliste et chercheur Abdelah Tourabi. Le roi Mohamed VI a dû répondre aux manifestants dans un communiqué du palais royal, puis annuler la grâce. Daniel Galvan est aujourd’hui en détention préventive en Espagne. Comment quelques milliers de manifestants, sans aucun discours politique pour bon nombre d'entre eux, ont-ils fait faire marche arrière au pouvoir marocain ?
« La force de ce combat, c’est que le peuple est sorti, pas seulement les militants », affirme Yassin Bezzaz, membre du Parti de l'avant-garde démocratique et socialiste (PADS) et du Mouvement 20 Février. Ce mouvement, né le 20 février 2011, dans la foulée des révolutions arabes, exigeait des réformes constitutionnelles. Depuis, des manifestations ont eu lieu régulièrement, jusque dans les villes les plus reculées, pour réclamer davantage de démocratie, une réelle séparation des pouvoirs, la lutte contre la corruption, mais aussi l’indépendance de la justice, l’un des mots d’ordre des manifestations du Danielgate.
Sami Nezar Bella, un cyber-activiste de 19 ans n’est pas « un grand habitué des manifestations ». Mais pour lui, ces manifestations contre la grâce sont « une continuité logique et évidente de la vague du 20 Février ». Même si, nuance-t-il, « sans le Mouvement, cette affaire douloureuse qui a touché le peuple aurait pu provoquer une vague d'indignation au sein de la société ».
« Nous avons gagné deux choses : la réponse du roi, historique, et le fait que les militants se sont retrouvés », souligne Hakim Sikouk, professeur de philosophie à Safi et membre fondateur du mouvement, lui aussi blessé par les forces de l’ordre lors de la manifestation du 2 août à Rabat. À Safi justement, les arrestations et les condamnations d’une trentaine d’activistes du Mouvement du 20 Février, la mort de Kamal Al Amari, tué en marge des manifestations en juin 2011, et de Mohammed Boudouroua, en octobre 2011, avaient progressivement eu raison de l’une des coordinations les plus actives. Avec le Danielgate, la contestation a repris.
Le mur de la peur
Le mouvement d’indignation né sur les réseaux sociaux contre la grâce accordée par le roi Mohamed VI au pédophile Daniel Galvan, condamné à 30 ans de prison pour le viol de onze mineurs, a réalisé ce dont aucune force politique n’avait été capable : amener le roi Mohamed VI à justifier et revenir sur une décision sous la pression de l’opinion publique.
Si, depuis le 7 août, le Danielgate ne fait plus descendre personne dans la rue, ce mouvement a redonné un souffle à la contestation initiée par le Mouvement 20 Février, il y a deux ans. Des manifestations ont eu lieu dans plusieurs villes – Agadir, Marrakech, Safi, El Jadida,Ouarzazate, Inezgane – où le mouvement s’était essoufflé.
« C'est la première fois du règne de Mohammed VI que la monarchie se trouve face à une contestation populaire directe et frontale », explique le journaliste et chercheur Abdelah Tourabi. Le roi Mohamed VI a dû répondre aux manifestants dans un communiqué du palais royal, puis annuler la grâce. Daniel Galvan est aujourd’hui en détention préventive en Espagne. Comment quelques milliers de manifestants, sans aucun discours politique pour bon nombre d'entre eux, ont-ils fait faire marche arrière au pouvoir marocain ?
Dans la manifestation du 7 août à Rabat
Après tout, ce n’est pas la première fois qu’un pédophile bénéficie
d’une grâce. Déjà, en 2006, le Français Hervé Le Gloannec, condamné à 4
ans de prison, avait été libéré, après avoir passé moins de deux ans en
prison, dans l’indifférence générale.« La force de ce combat, c’est que le peuple est sorti, pas seulement les militants », affirme Yassin Bezzaz, membre du Parti de l'avant-garde démocratique et socialiste (PADS) et du Mouvement 20 Février. Ce mouvement, né le 20 février 2011, dans la foulée des révolutions arabes, exigeait des réformes constitutionnelles. Depuis, des manifestations ont eu lieu régulièrement, jusque dans les villes les plus reculées, pour réclamer davantage de démocratie, une réelle séparation des pouvoirs, la lutte contre la corruption, mais aussi l’indépendance de la justice, l’un des mots d’ordre des manifestations du Danielgate.
Sami Nezar Bella, un cyber-activiste de 19 ans n’est pas « un grand habitué des manifestations ». Mais pour lui, ces manifestations contre la grâce sont « une continuité logique et évidente de la vague du 20 Février ». Même si, nuance-t-il, « sans le Mouvement, cette affaire douloureuse qui a touché le peuple aurait pu provoquer une vague d'indignation au sein de la société ».
« Nous avons gagné deux choses : la réponse du roi, historique, et le fait que les militants se sont retrouvés », souligne Hakim Sikouk, professeur de philosophie à Safi et membre fondateur du mouvement, lui aussi blessé par les forces de l’ordre lors de la manifestation du 2 août à Rabat. À Safi justement, les arrestations et les condamnations d’une trentaine d’activistes du Mouvement du 20 Février, la mort de Kamal Al Amari, tué en marge des manifestations en juin 2011, et de Mohammed Boudouroua, en octobre 2011, avaient progressivement eu raison de l’une des coordinations les plus actives. Avec le Danielgate, la contestation a repris.
Le mur de la peur
Ces derniers temps, beaucoup disaient le Mouvement 20 Février mort.
Ses manifestations attiraient au mieux quelques centaines de
manifestants. « Le mouvement n’est pas mort, il est congelé », affirmait, bien avant le Danielgate, Adil Yousfi, membre actif de l’Association marocaine des droits humains (AMDH). « Ses principes ne mourront jamais. »
Car il a permis aux langues de se délier, réconcilié une partie de la jeunesse avec la politique et surtout, il a fait reculer le mur de la peur.
Même si la critique du roi est toujours dangereuse au Maroc – Abdessamad Haydour est détenu depuis 18 mois pour avoir « insulté le roi » lors d’une manifestation ; Driss Bouterrada, un vendeur ambulant arrêté après avoir « imité » le roi lors d’un sit-in devant le parlement, purge une peine d'un an de prison officiellement pour trafic de drogue… –, sur les réseaux sociaux, les internautes n’ont pas épargné le roi, jugé unique responsable de cette grâce. Comme si les Marocains, longtemps sujets, devenaient progressivement de réels citoyens.
« À long terme, je rêve de la fin du système makhzen actuel fondé sur le clientélisme et la corruption. Il n y a que par une vraie monarchie parlementaire que nous pourrons accéder à la séparation des pouvoirs tout en préservant l'héritage politique de notre pays en évitant de diviser la société marocaine sur la question de la monarchie », analyse Rida Benotmane.
En 2011, le pouvoir marocain avait très habilement tué dans l'œuf la contestation grâce au discours du roi, le 9 mars, promettant de s'atteler à une « réforme constitutionnelle globale ». Les militants du Mouvement du 20 février ont retenu la leçon : à Rabat, lors de la dernière manifestation contre la grâce royale, des activistes disaient vouloir clore le dossier, l’objectif ayant été atteint. « Le palais royal a publié les communiqués, le roi a reçu les familles », explique Yassin Bezzaz. « Si nous entamons un bras de fer avec le système, nous allons perdre parce qu’il dispose de moyens que nous n’avons pas : les medias, l’argent, la propagande. »
Pour l’instant, le Danielgate n’a vraiment eu de conséquence
politique. S'il a permis, une fois de plus, d’attirer l’attention sur
l’absence d’une réelle séparation des pouvoirs et sur les pouvoirs
exorbitants du cabinet royal (véritable gouvernement de l’ombre), les
responsabilités n’ont toujours pas été établies. L’enquête promise n’a
pour l’instant pointé du doigt que Hafid Benhachem, le délégué général à
l’administration pénitentiaire et à la réinsertion proche de la
retraite, déjà critiqué pour sa gestion des prisons. Le conseiller et
proche du roi Fouad Ali El Himma, mis en cause dans les journaux Lakome et El País (il aurait contacté l’ambassade d’Espagne par téléphone, ce que l'ambassade a démenti)
et dont certains manifestants réclamaient la démission, ne s’est
toujours pas exprimé. Silence aussi du côté du chef de gouvernement
Abdelilah Benkirane.
Et le Parti islamiste Justice et Développement (PJD), muet lors de l’affaire et surtout lors de la répression de la première manifestation, semble davantage occupé à dénoncer le coup d’État égyptien. C'est toujours plus confortable de regarder ailleurs.
Car il a permis aux langues de se délier, réconcilié une partie de la jeunesse avec la politique et surtout, il a fait reculer le mur de la peur.
Même si la critique du roi est toujours dangereuse au Maroc – Abdessamad Haydour est détenu depuis 18 mois pour avoir « insulté le roi » lors d’une manifestation ; Driss Bouterrada, un vendeur ambulant arrêté après avoir « imité » le roi lors d’un sit-in devant le parlement, purge une peine d'un an de prison officiellement pour trafic de drogue… –, sur les réseaux sociaux, les internautes n’ont pas épargné le roi, jugé unique responsable de cette grâce. Comme si les Marocains, longtemps sujets, devenaient progressivement de réels citoyens.
« À long terme, je rêve de la fin du système makhzen actuel fondé sur le clientélisme et la corruption. Il n y a que par une vraie monarchie parlementaire que nous pourrons accéder à la séparation des pouvoirs tout en préservant l'héritage politique de notre pays en évitant de diviser la société marocaine sur la question de la monarchie », analyse Rida Benotmane.
En 2011, le pouvoir marocain avait très habilement tué dans l'œuf la contestation grâce au discours du roi, le 9 mars, promettant de s'atteler à une « réforme constitutionnelle globale ». Les militants du Mouvement du 20 février ont retenu la leçon : à Rabat, lors de la dernière manifestation contre la grâce royale, des activistes disaient vouloir clore le dossier, l’objectif ayant été atteint. « Le palais royal a publié les communiqués, le roi a reçu les familles », explique Yassin Bezzaz. « Si nous entamons un bras de fer avec le système, nous allons perdre parce qu’il dispose de moyens que nous n’avons pas : les medias, l’argent, la propagande. »
A Casablanca, le 6 août 2013, manifestation contre la libération du pédophile Daniel Galvan© Reuters
Et le Parti islamiste Justice et Développement (PJD), muet lors de l’affaire et surtout lors de la répression de la première manifestation, semble davantage occupé à dénoncer le coup d’État égyptien. C'est toujours plus confortable de regarder ailleurs.
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